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Interview

JO de Paris 2024 : pour le basketteur Peter Jok, l’aventure olympique du Sud-Soudan «va au-delà du sport»

Alors que les «Bright Stars» visent une qualification historique pour les quarts de finale en cas de succès contre la Serbie ce samedi 3 août à Lille, «Libé» s’est entretenu avec l’arrière du Soudan du Sud au parcours de vie cabossé par la guerre.
Peter Jok lors du match contre Porto Rico le 28 juillet. (Christina Pahnke - sampics/Getty Images)
publié le 3 août 2024 à 11h13

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Mercredi, Peter Jok affrontait LeBron James et les onze autres superstars de «Team USA». Samedi 3 août, lui et son équipe sud-soudanaise de basket s’apprêtent à défier Nikola Jokic et les vice-champions du monde serbes, à 21 heures à Lille, pour un sésame en quart de finale. Deux affiches de rêve, pour celui qui n’a jamais eu le temps d’en avoir enfant, à Rumbek, petit village de l’Etat des Lacs où l’arrière a vu le jour. Une existence fracassée par les interminables luttes armées lors de la deuxième guerre civile au Soudan. Il n’avait que 3 ans lorsque le corps de son père, général de l’Armée populaire de libération du Soudan (ALS), a été déposé devant sa maison. Obligeant sa famille à se réfugier en Ouganda, puis au Kenya, avant de rallier la communauté sud-soudanaise établie aux Etats-Unis. Et d’y découvrir le basket. Libération a pu échanger avec lui entre deux parties, pour causer joie : celle de porter la tunique de son pays aux Jeux, celle de voir le basket national se développer et celle d’apporter un peu de bonheur à un pays qui en a peu connu depuis son indépendance en 2011.

Qu’est-ce que ça fait de représenter son pays au Jeux olympiques ?

Cela signifie beaucoup, vous savez, qui plus est sur la plus grande scène de sport. De voir les gens dans les gradins avec les drapeaux… Et c’est important pas seulement pour moi d’ailleurs, mais pour tous les autres joueurs de l’équipe.

Vous êtes une équipe très jeune. Comment s’est-elle bâtie au fil des années ?

Lorsque Luol Deng [ancien joueur NBA d’origine sud-soudanaise, désormais à la tête de la fédération nationale, ndlr] a commencé à monter l’équipe, nous avions pas mal de grands joueurs partout dans le monde, mais nous n’avons jamais eu d’occasion de les mettre en lumière. Tout le monde ne pouvait pas venir, même si beaucoup de gars sont là depuis le premier jour, comme Kuany Kuany, notre capitaine. Nous avons d’abord essayé de nous qualifier pour l’Afrobasket [le championnat d’Afrique, en 2021]. Quand ça a été le cas, après, lors de chaque événement international, on a vu arriver des joueurs différents et le niveau a augmenté. Luol, quand il était coach, essayait simplement de choisir le meilleur cinq [majeur] pour représenter l’équipe, celui qui aura la meilleure alchimie. Ce n’est pas une question de qui est le meilleur, ou qui ne l’est pas. C’est de savoir qui va pouvoir jouer ensemble et réussir.

Comment Luol Deng est-il venu vous chercher pour intégrer la sélection ?

Dès le début du projet, il m’a immédiatement tendu la main. Je le connais depuis longtemps. Il me suit depuis l’époque où j’étais au lycée. Au début, je n’ai pas pu me rendre à toutes les rencontres et compétitions parce que ce n’est pas toujours facile quand on joue à l’étranger [il est notamment passé par Murcie, Cholet et Nantes]. Mais quand je suis autorisé à jouer, je viens jouer.

Où vous réunissez-vous lors des stages de préparation en amont des compétitions internationales ?

Pour les Jeux, nous avons dû nous entraîner au Rwanda cette année, puis en Espagne et à Londres avant de venir en France. Mais pendant l’été, certains d’entre nous ont commencé à travailler ensemble pour se préparer aux Jeux olympiques durant des camps d’entraînement. Certains gars aux Etats-Unis se sont réunis pendant quelques semaines pour travailler ensemble. Les camps d’entraînement sont toujours différents. Avant la Coupe du monde en 2023 (aux Philippines), nous étions en Australie par exemple.

Comment décririez-vous la culture basket au Soudan du Sud ?

Le basket s’est beaucoup développé au pays ces dernières années, notamment grâce à nos victoires et à leur diffusion. Cela permet de faire émerger des talents. En ce moment, Luol Deng œuvre à la construction d’une salle de basket couverte. Il y a des terrains extérieurs, mais aucune salle avec un toit. La fédération essaye aussi de former autant d’enfants que possible pour construire la prochaine génération. De notre côté, nous essayons d’être des modèles et d’ouvrir la voie aux autres, car ce n’est que le début.

Vos coéquipiers disent que votre épopée olympique est importante pour votre peuple en raison des conflits qui ont ravagé votre pays…

Ça va au-delà du basket, c’est certain. Notre pays a beaucoup souffert. Et pour nous, incarner l’espoir, unir tout le monde et voir notre peuple nous soutenir au plus haut niveau, c’est ce qui nous motive et nous fait avancer.

C’est d’autant plus vrai pour vous qui avez connu un parcours de vie chaotique. Aviez-vous déjà entendu parler de basket lorsque vous étiez enfant dans votre pays puis en Ouganda ?

J’ai quitté le pays quand j’étais tout petit, j’avais 3 ans, donc je ne m’en souviens pas vraiment. Pendant la plus grande partie de mon enfance en Ouganda, nous pouvions regarder du basket mais ça ne m’intéressait pas vraiment. J’étais plutôt un joueur et un fan de football. Une fois que nous sommes arrivés aux Etats-Unis, j’ai commencé à m’y mettre. J’avais environ 12 ans. J’ai compris que j’avais du potentiel, que je pouvais devenir un bon joueur et gagner de l’argent. Donc j’ai pris ce sport très au sérieux, c’est là que je me suis investi à fond.

Vous allez jouer votre dernier match de poules contre la Serbie. Avec les quarts de finale dans un coin de votre tête ?

Nous ne pensons pas à cela. Ce n’est pas notre objectif principal. On joue un match à la fois. Pour l’instant, on veut juste apporter un peu de joie aux gens.