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Libération
Récit

JO de Paris 2024 : pour l’équipe de France d’équitation, le fil mortel jusqu’à la médaille olympique

Stéphane Landois et ses coéquipiers Nicolas Touzaint et Karim Laghouag ont terminé deuxièmes du concours complet par équipe ce lundi 29 juillet. Le cavalier montait Chaman Dumontceau, un cheval qui avait écrasé la jeune Thaïs Meheust en 2019.

Stéphane Landois monte Chaman Dumontceau lors de l'épreuve de cross à Versailles, dimanche 28 juillet. (Zohra Bensemra/Reuters)
Publié le 29/07/2024 à 14h53

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Stéphane Landois se tient là, à l’ombre d’une petite zone mixte sous les peupliers. Les journalistes en face de lui y mettent une certaine distance respectueuse. Mais tout le monde, nous comme lui, sait qu’elle va exploser. Le Nantais de naissance ne tient pas seulement dans le creux de sa main l’argent olympique du concours complet par équipe, qu’il partage avec Nicolas Touzaint – sept Jeux en bandoulière – et Karim Laghouag, le doyen de l’équipe de France olympique de ces Jeux 2024. Mais aussi la plus sombre, la plus lumineuse, la plus indescriptible histoire de cette édition olympique toutes nations confondues.

Alors, la question finit par tomber. Elle portait sur Thaïs Meheust, jeune cavalière de 22 ans, morte en septembre 2019 sous le poids de son cheval, Chaman Dumontceau, lors d’un cross organisé au haras du Pin, dans l’Orne. Ça s’est passé sur le deuxième obstacle et elle a été tuée sur le coup. Son hongre gris lui avait été confié par son entraîneur d’alors, Stéphane Landois. Un signe de foi et de confiance : Chaman Dumontceau est le meilleur cheval qu’il ait jamais eu. Et après le drame, il l’a récupéré. Faisant de lui son cheval de tête jusqu’à Versailles et les fastes olympiques qui lui sont tombés dessus ce lundi 29 juillet.

«J’ai tout fait pour elle»

Le reporter y a mis les formes, comme on prend la température de l’eau – Landois est un calme. Et le cavalier a accepté la question, en y mettant une pudeur paradoxale. «J’ai vécu des moments [les trois jours du concours complet, le dressage samedi, le cross dimanche avant le saut d’obstacles ce lundi, ndlr] formidables. Rien n’a été difficile, chaque seconde passée était unique. Le doigt au ciel après le saut d’obstacles, bien sûr que c’était pour Thaïs. Je l’avais fait la veille, à la fin du parcours de cross. J’ai fait tout ça pour elle. Elle est une force pour moi. Elle m’a donné de la force à chaque fois que je me suis levé le matin ces derniers jours. Je sais aussi que ses parents étaient là. Ce cheval a une histoire particulière.» A cet instant, son visage est illisible. A la fois fixe et profondément animé, comme si la surface s’était complètement dissociée du fond.

Quinze minutes plus tôt, il pleurait dans les bras de ses coéquipiers. Et ceux-ci pleuraient aussi. Voilà quelques mois, un confrère de Ouest-France s’est posé dans le salon des parents de Thaïs Meheust et sa mère s’est vue poser la seule question qui vaille : quel sentiment vous traverse quand vous pensez à Chaman Dumontceau ? La réponse, terrible : «Je le déteste. Mais quand j’entends la voix de ma fille, je sais qu’elle l’aime de tout son cœur.» Le moment olympique du jour : un entrelacs où se mélangent des sentiments d’une complexité et d’une violence indescriptible, la contradiction au cœur des actions des hommes.

Mur de barbelés

Landois n’était pas là pour lui. Ni même pour Thaïs Meheust, ou pas seulement. Les chevaux des concours complets sont des compromis : aucune chance d’avoir une monture aussi apte au dressage, exercice minutieux s’il en est, qu’au cross, où leur résistance est poussée à l’extrême. Mais quand on lui a demandé quel était le point fort de Chaman Dumontceau, rebaptisé officieusement «Ride for Thaïs Chaman Dumontceau» par le cavalier, Landois a monté un mur de barbelés : «Les trois.» On y est revenu : «Les trois.»

Rien de ce qu’il partage avec son cheval ne regarde le monde extérieur. Et cette forme de consécration, pour autant qu’on puisse en juger sans présumer des tourments traversés par ces deux-là depuis cinq ans, aura eu pour théâtre les jardins de Versailles. C’est sur l’épreuve du cross de dimanche, traversant tout le parc, que l’affaire est la plus spectaculaire. Pour notre part, on aura surtout vu une sorte de décor posé autour d’un parcours de saut d’obstacles classique, encore que Nicolas Touzaint y aura vu un parcours copieux, treize sauts – dont un double et un triple quand même – sans parler de quelques perversités sur l’enchaînement des couleurs des obstacles et des angles de reprises de course. Des spectateurs brocardaient le folklore : les tribunes ne dépassant pas 22 mètres pour ne pas faire d’ombre (fut-ce deux petites semaines) aux arbres du parc acquis par les mécènes du monde entier ; ou encore les restrictions sur les équipements électrogènes.

Quelque chose, cependant, résiste. Et c’est la lumière, ou plutôt la façon dont elle modèle la dramaturgie du saut d’obstacles. C’est comme si elle la mettait sous cloche, l’annulait un peu. Plus rien n’est vraiment grave ou tendu, et dieu sait que l’histoire personnelle de Landois et de Chaman Dumontceau avait de quoi mettre le cœur au bord des lèvres. La lumière estivale du parc de Versailles, ce n’est pas seulement le poids du lieu. On a plutôt ressenti une immanence, quelque chose ayant à voir avec l’enfance ou ce qu’il en reste. Un truc dépassant le moment et même le monde sensible, comme si le lieu nous aspirait ailleurs. Ce lundi, jour d’un concours complet où Stéphane Landois et Chaman Dumontceau se sont glissés sur un podium olympique entre les Anglais et les Japonais, c’était un peu le thème du jour.