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Doublé

JO de Paris 2024 : pour les sabreuses Apithy-Brunet et Balzer, une journée d’or et d’argent

Doublé historique pour les Bleues en escrime. Ultrafavorite, Sara Balzer s’est inclinée en finale contre sa compatriote. Les fleurettistes hommes n’ont pas dépassé les quarts de finale. Récit d’une journée folle au Grand Palais.
La finale entre Sara Balzer Manon Apithy-Brunet, ce lundi 29 juillet, au sabre. (Fabrice Coffrini/AFP)
publié le 29 juillet 2024 à 23h07

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L’escrime française espérait une journée à deux médailles, ce lundi 29 juillet. La première, c’était écrit, devait être en or, remportée par Sara Balzer, meilleure sabreuse au monde. Mais une autre Française Manon Apithy-Brunet l’en a privée en finale. Quant au fleurettiste Enzo Lefort, qui ne masquait pas ses ambitions pour une médaille, il n’a pas dépassé les quarts de finale. Récit d’une journée folle au Grand Palais

10 h 25. Balzer entre en lice contre la Tunisienne Daghfous sur la piste bleue. Le public a à peine le temps d’échauffer sa voix tant la gauchère est expéditive. Elle démarre en trombe puis gère pour une victoire 15-9. Une vingtaine de secondes plus tard, Manon Apithy-Brunet, la numéro 2 française, s’impose sur un score un peu plus serré face à la Kazakhe Sarybay (15-12). Des commentaires après cette entrée en matière réussie ? Balzer fend la zone mixte où l’attendent les journalistes aussi vite que la lame de son sabre transperce l’aire du Grand Palais, sans un mot. On n’entendra pas plus Apithy-Brunet.

11 h 25. Avant les 8e de finale des deux escrimeuses, place à la récupération, analyse vidéo de la prochaine adversaire… A noter qu’à ce stade on perd, et c’est bien dommage parce que son nom ouvrait bien des perspectives, la Canadienne Pamela Brind’Amour. On pense aux danseuses du Lido qui ont aidé les Bleus du rugby à VII à parfaire leur coordination.

12 h 05. Enzo Lefort, sérieux espoir de médaille au fleuret, tête de série numéro 5 du tournoi entre en piste contre le Chinois de Taipei Yi-Tung Chen (numéro 28). L’académisme n’est pas au rendez-vous pour Lefort mais ça passe (15-12). Il n’est pas plus bavard que ses consœurs sabreuses. Il ne s’arrête même pas, balance au passage : «Je parlerai après ma compétition.» Le deuxième escrimeur français, Maxime Pauty, se qualifie lui aussi.

14 h 05. Retour de Balzer et Apithy-Brunet en piste. Les deux femmes ne traînent pas face à la Turque Erbil et la Coréenne Yu. Victoire 15-5 pour Balzer, 15-9 pour Apithy-Brunet dans la minute qui suit. «Too toootoo too toootoo», scande la salle avant d’enchaîner avec une Marseillaise (enfin le refrain et premier couplet, celui au-delà duquel les paroles de l’hymne national sont inconnues à 99,99 % de la population). Si ça rigole pour les deux Françaises, elles pourraient se retrouver en finale.

14 h 30. La troisième sabreuse, Cécilia Berder, entre à son tour en piste. Elle est battue sans conteste par la Grecque Theodóra Gkountoúra (7-15). Comme tous les autres tricolores qui ont foulé les pistes du Grand Palais, elle est estomaquée par l’ambiance : «Certaines touches, ce n’est pas nous qui les mettons, c’est le public.»

14 h 55. Retour en piste pour Lefort et Pauty contre l’Américain Menhardt et l’Italien Marini. Direction les quarts pour le premier (15-10), qui laisse le public se concentrer sur le second. Et il en a bien besoin face au longiligne Tommaso Marini, ancien champion du monde. On ne donne pas cher de sa veste alors qu’il est à une touche de la défaite. Passer de 11-14 à une victoire 15-14 contre un adversaire de ce calibre, c’est très difficile mais il l’a fait, chapeau. Les deux Français sont en quart de finale et pourraient se retrouver en demie pour le premier duel bleu-bleu depuis le débuts des épreuves d’escrime. On s’interroge. Le cas échéant, le volume sonore doublera-t-il dans les gradins ? La verrière se fendillerait-elle ? Ce serait ballot, elle qui a résisté à un incendie à la Libération de Paris en août 1944, et à la volonté de Le Corbusier de remplacer le bâtiment par un musée d’art du XXe siècle.

15 h 55. Quarts de finale pour Sara Balzer et Manon Apithy-Brunet. La première toujours sur la piste bleue, la deuxième abonnée à la jaune. Et toujours l’étrange synchronisation dans les scores entre les deux Françaises. A la pause, elles sont menées (respectivement 6-8 et 7-8). Et ensuite : 10-10 sur la bleue, 10-10 sur la jaune, 10-11, 11-10. 12-11, 12-11. 14-11, 13-12. La touche de la victoire 15-11 pour Balzer, et celle du 14-12 dans la même demi-seconde. Balzer reste sur sa piste alors que sa copine exulte mais sa touche qu’elle pensait victorieuse est invalidée par l’arbitre, la suivante aussi. Sara est toujours spectatrice, Manon encore actrice. César du suspense. Elle s’impose 15-13. Deux Françaises en demies c’est une, voire deux médailles assurées : le bronze si elles perdent toutes les deux au prochain match (elles se rencontreront pour la 3e place), l’or et l’argent si elles se retrouvent en finale.

16 h 20. Retour de Lefort et Pauty pour les quarts de finale. Pauty est à une touche de refaire le coup du 8e de finale en recollant de 10-14 à 14-14. Mais le Japonais Omura porte la touche victorieuse. Dans le même temps, Lefort ferraille face au Chinois Cheung, qui l’accule en bout de piste. Les deux hommes tombent, involontairement, dans les bras l’un de l’autre (au rugby on parlerait d’un plaquage à la carotide, sanctionnable d’une expulsion). Les Français ont décidé de jouer avec les nerfs des spectateurs. Pause d’une minute. Ultime attaque de Lefort, parade riposte. C’est fini pour les deux fleurettistes qui s’inclinent sur le même score.

17 heures. Devant les journalistes, Lefort rejoue les dernières touches de son dernier match. «J’arrive à 14-12 en l’agressant un peu. Sur la touche à 14-13, j’ai tenté quelque chose de trop audacieux, en tout cas mal exécuté. Je sens qu’il y a 490 grammes sur la cuirasse [de pression de la lame sur l’adversaire, ndlr] alors qu’il en faut 500. Sur la dernière. Il s’est bloqué en milieu de piste, ce qu’il n’avait pas fait avant, alors que je pensais qu’il allait reculer et que je pourrais l’agresser. Il a été plus malin. Bravo à lui. Le public m’a donné énormément d’énergie. C’était assez agréable d’avoir Max [Faute] sur la piste d’à côté, de voir qu’il arrivait à s’en sortir. Les regrets, ça sert à rien, je ne peux pas retourner sur la piste pour faire les choses différemment. Mon seul regret, c’est que j’ai été à une touche des demi-finales.»

19 heures. La grande pompe au Grand Palais. A partir des demi-finales, les combattants saluent la salle depuis le balcon intérieur et descendent l’escalier monumental jusqu’à la piste. Pour cette demi-finale, Sara Balzer rencontre une légende du sabre féminin : l’Ukrainienne Olha Kharlan. Quintuple médaillée olympique mais jamais titrée, 61 victoires en Coupe du monde (un record), elle se multiplie sur les fronts diplomatico-sportifs depuis l’invasion de son pays par la Russie. Disqualifiée et suspendue par sa fédération après avoir refusé de serrer la main d’une adversaire russe aux Mondiaux 2023, elle ne doit sa présence à Paris qu’à l’invitation personnelle de Thomas Bach, président du CIO, qui a réussi à faire plier les autorités de l’escrime. A Ouest-France, Balzer a raconté que la défaite d’Olga Kharlan au premier tour à Tokyo alors qu’elle était ultrafavorite, qu’elle avait vue des tribunes, l’avait marquée : «Elle était tellement rongée par le stress que ses jambes s’entremêlaient. Normalement, c’est un monstre sur la piste et là, elle était complètement perdue. Je m’étais dit : “Je veux faire les Jeux en individuel mais jamais je ne veux perdre comme ça.”» Balzer démarre fort sa demi-finale contre l’Ukrainienne et s’impose 15-7. Olga Kharlan a 34 ans, usée par les combats sportifs et politiques, prendra une pause après les JO. Elle ne sera sans doute jamais championne olympique. Ce sera un petit peu à cause de Sara Balzer.

19 h 20. Au tour de Manon Apithy-Brunet de descendre les marches du Grand Palais. Sa demi-finale est beaucoup moins lourde de symboles que celle de Balzer. Sur le papier, la médaillée de bronze à Tokyo part largement favorite face à la Coréenne Choi Sebin, sans aucune référence internationale. La Française mène tout le match, sauf quand son adversaire revient à 8-8. Elle s’impose 15-12, la France est assurée de faire le doublé au sabre féminin.

21 h 05. Olga Kharlan embrasse son casque, la piste, son entraîneur. Elle salue les supporters ukrainiens. Elle vient de s’imposer 15-14 dans le match pour la 3e place contre la Coréenne Choi Sebin. Le bronze suffit à son bonheur.

21 h 45. Pas de round d’observation dans cette finale. Le sabre est la plus rapide des armes de l’escrime, mais les deux filles font très fort. En moins de cinq secondes, déjà quatre touches inscrites. Manon Apithy-Brunet, qui a remporté deux des trois duels contre Sara Balzer, se détache (8-3). Elle ne laisse pas son adversaire respirer et imposer son jeu. Entre les deux tireuses, le cœur du public balance. L’ambiance est moins chaude que d’habitude sous la verrière. Apithy-Brunet garde un petit matelas et s’offre trois touches de match (14-11). L’arbitre doit vérifier la vidéo à chaque assaut. C’est finalement Manon qui bat Sara (15-12). Les deux filles s’étreignent et le public, jusque-là comme gêné de devoir choisir, peut exulter. Le protocole vole en éclats. Toute l’équipe de France sabre monte sur la piste. Les deux tireuses giclent de leurs bras. Etreinte collective. C’est la fin d’une journée si particulière, si semblable pour les deux femmes. Mais il fallait une gagnante.