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Quoi qu’il se passe pour eux par la suite, eu égard à leurs tableaux dantesques, une chose ne peut être démentie : les frères Lebrun ont inscrit la France sur la carte mondiale du tennis de table. En disant cela, on ne voudrait pas tailler des croupières aux anciens, notamment Jean-Philippe Gatien et Patrick Chila, mais qui, franchement, aurait pu imaginer 7 000 personnes craquant presque leurs tee-shirts pour des pongistes ?
20 heures. Pour son entrée en lice dans ces Jeux olympiques, Félix, le plus jeune des deux frères, qui ressemblent à des jumeaux mais qui n’en sont en fait pas, déclenche une liesse de rock star. Les gradins exultent, tapent furieusement des pieds sur le barda métallique, et scandent «Let’s go Félix, Let’s go». On se demande alors si tout cela ne s’avérera pas envahissant pour un jeune homme de 17 ans, certes bien arrimé dans la caboche. Le tableau lui proposait ce dimanche le 86e joueur mondial, l’Indien Harmeet Desai, loin d’être un peintre mais issu des qualifications.
Trente minutes plus tard, l’affaire était déjà pliée. Victoire souveraine, 4 sets à 0, non sans peine, tout de même, sur les deux premières manches. Etait-ce l’envahissant décor qui causait ces fautes directes inhabituelles chez lui ? Pas vraiment à l’en croire, lui qui s’est dit «galvanisé», après le match, par cette Arena en extase : «Moi, j’aime regarder la salle, les autres matchs pendant les pauses. J’ai besoin de me déconcentrer trente secondes pour me réenfermer dans le match.» La veille, il était venu assister à la rencontre de son frère aîné Alexis, qui jouait en double, pour faire une reconnaissance et se familiariser avec les lieux. Suffisant pour qu’une fois malaxé avec sa maturité, l’ensemble suffise à lui faire garder ses nerfs.
Stoïcisme tibétain
Le reste ne fut que sa redoutable mécanique : sa prise porte-plume (tenir la raquette comme un stylo, avec deux doigts devant et trois derrière), l’un des meilleurs services au monde (plus de 80 sortes différentes, selon lui), et un revers éreintant pour l’adversaire. «Mon style, c’est d’être agressif, confirmait Félix Lebrun en zone mixte. Entrer très fort sur la première balle et conclure le plus rapidement possible.» Questionné sur la hardiesse de son tableau, qui lui promet dès ce lundi le Suédois Anton Källberg, 25e mondial, Félix Lebrun s’est montré d’un stoïcisme tibétain : «Il est certain que le programme est costaud, mais j’ai déjà battu tous les joueurs qui m’attendent, alors on verra. J’ai surtout hâte d’être à demain.» Bluffant pour celui des deux qui porte désormais les principales chances de médaille, après une inversion de la hiérarchie familiale.
Il y a un an tout pile, lorsqu’on rencontrait les frères Lebrun dans leur salle d’entraînement de Montpellier, Alexis, l’aîné, 19 ans éclipsait encore le marmot. Il faut dire qu’il venait de déboulonner le numéro 1 chinois, prouesse pas si courante pour un joueur européen. Les deux s’étaient aussi amusés à parier sur leur futur classement mondial : Alexis pariait alors, beau prince, que Félix allait le dépasser. Il avait vu juste.
22 heures. Tout commence cette fois par une huée mémorable. Sauf qu’elle vise Santiago Lorenzo, 80e joueur mondial, l’adversaire d’Alexis Lebrun. Il est de nationalité argentine, ce qui crispe le public français depuis la défaite en finale de la Coupe du monde 2022 au Qatar, et les frasques péniennes du gardien de l’Albiceleste, Emiliano Martinez. Lorenzo est pourtant franco-compatible, puisqu’il évolue au club d’Amiens, dans la Somme. Lui n’aura tenu que vingt-sept petites minutes devant le deuxième représentant du ping tricolore. Car c’est la meilleure version d’Alexis Lebrun qui s’est montrée, offensif à souhait sur le service-remise. Et lorsque son adversaire parvenait à faire durer l’échange, le Montpelliérain l’écrasait avec ce coup droit parmi les plus puissants du monde, le reléguant souvent aux confins de la table. Lundi, il jouera, encore à 22 heures, le longiligne croate (1m98) Tomislav Pucar, 53e mondial. Un horaire nocturne qui ne semble pas le déranger : «A cette heure-là, les gens sont chauds. Ils ont profité toute la journée.» Ensuite, il est l’heure d’aller au plumard, et de rejoindre Félix, avec qui il fait piaule commune au village olympique.