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Tous les connaisseurs le savent et pas seulement eux : le talent ne suffit pas, sur une piste d’athlétisme, pour aller chercher la victoire et la ramener avec soi en la tenant par la main. La tête peut aussi beaucoup aider. Jakob Ingebrigtsen, certifié plus pur joyau du demi-fond de sa génération depuis l’adolescence, ne l’ignore pas. Mais, pour une raison qu’il serait bien incapable d’expliquer lui-même, le Norvégien semble parfois oublier cette évidence du sport de haut niveau. Il laisse sa tête en chambre d’appel, pour n’emmener avec lui que ses jambes.
Mardi 6 août, par exemple. Au Stade de France, pour la finale olympique du 1500 m. Sur le papier, la course lui semblait promise. A 23 ans, il détient le titre olympique. Son meilleur chrono, un temps de 3′26′'73 réalisé le mois dernier à Monaco, le situe au 4ème rang de l’histoire, à moins d’une seconde du record du monde (3′26′'00) du Marocain Hicham El Guerrouj. Jakob Ingebrigtsen a tout. A commencer par une confiance extrême, frisant souvent l’arrogance. «Josh Kerr ? Juste un mec comme un autre, j’y prête peu d’attention», répète-t-il depuis l’an passé en référence à son rival britannique, qui l’a pourtant privé du titre mondial à Budapest en août dernier.
«J’ai tout gâché moi-même»
Les jambes, le Norvégien les a bougées en tête de la course dès les premières foulées de la finale olympique. Il s’est installé en tête, comme on s’assoit à l’avant du bus pour un voyage de groupe. La meilleure place pour tout voir. En tête à un rythme d’enfer. Pour étouffer la concurrence, imposer son allure et laisser tous les wagons se décrocher un à un. Seul ennui, mais de taille : Jakob Ingebrigtsen n’a distancé personne. Il a durci la course, mais sans pouvoir la tuer.
Résultat : un dernier virage pas vraiment conforme à son scénario personnel. Et une ligne droite dont il revivra longtemps les images, mais dans ses pires cauchemars. Le Norvégien n’a pas pu résister à l’attaque de Josh Kerr. Il n’a pas opposé plus de résistance au sprint de mort de faim de l’Américain Cole Hocker. Et, affront suprême, il a vu l’autre Américain, Yared Nuguse, lui chiper la médaille de bronze. Jakob Ingebrigtsen termine 4e. La place du con. Après une telle course, l’expression n’est pas exagérée. Elle lui va même comme un gant. «J’ai tout gâché moi-même», a résumé le Norvégien.
Cole Hocker fondeur habité
Le vainqueur ? Cole Hocker. L’intrus. Un palmarès fin comme une feuille de soie – 6e aux Jeux de Tokyo 2020, 7e aux Mondiaux 2023 –, un record personnel à 3′30′'70, un parcours d’athlète de haut niveau à construire. Originaire de l’Indiana, Cole Hocker découvre la course à pied à l’école primaire, dans la boue du cross-country. Pas très fun, mais il adore. Au point d’annoncer à son père, au retour d’une course, sa volonté d’en faire son métier, d’aller étudier dans l’Oregon, la Mecque de l’athlétisme aux Etats-Unis, et de devenir plus tard un olympien. Cole Hocker est un fervent chrétien. Il prie longuement avant ses courses et n’oublie jamais de remercier le Seigneur de lui avoir donné un talent pour le demi-fond.
Sa victoire, l’Américain l’a enjolivée d’un record olympique (3′27′'65). Il donne à son titre tout le crédit qu’il mérite. «C’est un sentiment incroyable, a-t-il confié à sa sortie de la piste. J’ai eu l’impression d’être porté par le stade et par Dieu. Mon corps l’a fait pour moi. Mon esprit était tout entier avec moi, il m’a montré la ligne d’arrivée. Je savais que je pouvais prétendre à une médaille. Et je savais que, si j’y parvenais, elle serait en or.» Cole Hocker avait les jambes. Pas seulement les jambes.