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En chantier

JO de Paris : «Pour nous, c’est fini», les bâtisseurs des sites olympiques s’apprêtent à passer la main

JO Paris 2024dossier
La phase de travaux se termine dans douze jours pour la Solideo, l’établissement public chargé des infrastructures olympiques. Son patron, Nicolas Ferrand, a vanté ce mardi 19 décembre des délais et un budget tenus, à trois exceptions près.
Le Village olympique, début novembre, en Seine-Saint-Denis. (Drone Press/ABACA)
publié le 19 décembre 2023 à 17h57

Chacun y va de son souvenir, et de son image, mais le soulagement est perceptible. «L’an dernier, on était dans une yourte et il faisait très froid», se remémore la directrice de la com de la Solideo, l’établissement public chargé des infrastructures olympiques, en accueillant - au chaud - les journalistes pour une vaste visite de chantier à Saint-Denis, ce mardi 19 décembre. A l’hiver 2022, «on était dans un plat de nouilles», renchérit Nicolas Ferrand, patron de la Solideo, après avoir vanté les travaux sur les échangeurs autoroutiers en Seine-Saint-Denis, dont une passerelle piétonne en bois du Morvan qui a donné des sueurs froides aux ingénieurs parce qu’on n’avait jamais fait d’ouvrages en bois au-dessus d’une autoroute. «Mais aujourd’hui, ça roule», au sens propre comme au figuré, assure le directeur.

Créée en 2017, la Solideo a bossé d’arrache-pied pendant soixante-quinze mois et dix-sept jours et il ne reste que douze jours avant la fin prévue des travaux, le 1er janvier. Mais l’heure est déjà au satisfecit général. «Quand on crée la Solideo, l’opinion générale, c’était qu’on n’y arriverait pas», se rappelle Ferrand, qui, lui, a gagné dans l’opération des tempes poivre et sel et une silhouette encore plus filiforme. Et qui a du mal à cacher son émotion : «Pour nous, c’est fini, c’est la dernière fois qu’on vient vous présenter les choses», dit-il à la presse. Le DG a pourtant encore de quoi se faire quelques cheveux blancs : à partir de début janvier s’ouvre une période de «réserve» de deux mois pour des modifications éventuelles. Puis, le 1er mars, l’ingénieur remettra solennellement les clés du village au comité d’organisation (Cojo), qui prendra possession des lieux en vue des jeux olympiques (du 26 juillet au 11 août) jusqu’à la fin des paralympiques, le 8 septembre.

Tests d’étanchéité

Quand le polytechnicien prend les manettes de la société publique il y a six ans, les grands projets («inutiles et imposés», selon la formule des écolos) mordent la poussière, de l’aéroport Notre-Dame-des-Landes à EuropaCity, à Gonesse (Val-d’Oise). «Tout le monde pensait que les ouvrages olympiques sortiraient dans la douleur quelques jours avant les épreuves mais nous y sommes», souffle-t-il. Ravi d’avoir mis sur rails un projet faisant de la France un «grand pays bâtisseur», rien de moins, avec 70 réalisations et un budget de 4,5 milliards d’euros (constructions et rénovations). De fait, sur l’ensemble des travaux olympiques, la promesse était d’atteindre 89 % de chantiers achevés au 31 décembre. Finalement, ce sera 84 % avec un budget «stable en euros 2016», ce qui veut dire sans la rallonge de l’Etat en 2022 pour absorber l’inflation.

La Solideo a quand même pioché dans son bas de laine, la «réserve compléments de programme», créée pour absorber toutes les modifications de dernière minute : sur 100 millions d’euros, 43 millions ont été dépensés jusque-là. Tenir les budgets et les délais, cela veut dire, entre autres, que les bassins du Centre aquatique olympique (CAO) en sont aux tests d’étanchéité avec de l’eau plus colorée pour pouvoir déceler facilement les éventuelles fuites. Ou que l’Arena de la porte de la Chapelle, prévue pour le badminton et la gymnastique, fait des tests de climatisation compliqués vu que pour l’épreuve avec ruban il faut pouvoir ventiler sans faire passer d’air du tout.

Carrelage et «cœurs de forêt»

Pour la direction de la construction, ce résultat ne tient pas du miracle : il est question d’esprit collectif et de Churchill en figure tutélaire, mais on parle quand même de cinq ans de chantier jalonnés par le covid, le «lockdown chinois», dixit Ferrand, quand Pékin avait fermé ses frontières et ses usines, et la guerre en Ukraine synonyme d’une explosion des coûts des matières premières. Trois dossiers ont cependant pris du retard : le Grand palais, où doit se dérouler la compétition d’escrime et de taekwondo ; l’écoquartier Pichet, une partie du village olympique (soit 500 lits livrés à la bourre sur un total de 14 500) ; et la piscine de Colombes qui doit accueillir les entraînements de natation synchronisée où ce sera «vraiment très serré».

Autour de l’ancienne Cité du cinéma, qui deviendra un gigantesque réfectoire pour les athlètes, le patchwork d’immeubles colorés du village a pris sa forme définitive. A sept mois des Jeux, le long d’un bras de Seine, la «place olympique» et son chêne central ressemblent encore à un terrain vague et on peine à comprendre comment les athlètes pourront venir à la rencontre de la presse et de leurs familles sur une structure moitié béton, moitié jardin encerclée d’une rampe descendante. Dans les bâtiments, on en est à poser du carrelage et du parquet, plus au gros œuvre même si les voies d’accès sont toujours coupées pour laisser le champ aux véhicules de chantier.

Un brin mélancoliques à l’idée de devoir bientôt confier leur bébé, les officiels de la Solideo s’enflamment pour défendre «un urbanisme de bateaux permettant de faire entrer les vents de la Seine» sur le site (et espérer déjouer une éventuelle canicule en juillet) et des «cœurs de forêt» plantés au milieu des bâtiments rose layette ou tout de bois et de blanc. Forêts qui seront en réalité de simples jardins et doivent encore sortir de terre. Ce sera le job du printemps.