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Abandon

JO d’hiver 2030 dans les Alpes : pourquoi Martin Fourcade, un temps pressenti, renonce à la présidence du comité d’organisation ?

Longtemps favori pour prendre le poste, l’ancien champion français de biathlon fait volte-face ce lundi 3 février, selon une information du «Parisien», pointant de nombreux «désaccords», notamment sur le mode de gouvernance et la vision du projet.
Le biathlète Martin Fourcade à Annecy, en juillet 2022. (Simone Perolari/Opale)
publié le 3 février 2025 à 11h58
(mis à jour le 3 février 2025 à 18h40)

Ce ne sera finalement pas lui, et c’est un séisme dans l’organisation des JO d’hiver 2030, dans les Alpes. Pourtant plébiscité par Emmanuel Macron, Martin Fourcade ne sera pas le futur président du Cojo des Alpes 2030 «pour ne pas sacrifier» ses «convictions». Le biathlète aux six titres olympiques l’a fait savoir ce lundi 3 février, date qui, à l’origine, aurait dû être celle de sa nomination, dans un courrier adressé aux «membres fondateurs» de l’événement sportif, et dont l’AFP a eu copie, confirmant une information du Parisien.

«Aujourd’hui les désaccords restent trop nombreux pour pouvoir envisager sereinement cette mission. Le mode de gouvernance, la vision, l’ancrage territorial : nous n’avons pas réussi à nous retrouver sur ces sujets fondateurs», écrit notamment celui que le président Macron avait qualifié de «Tony Estanguet des montagnes», en référence au président du Cojo de Paris 2024.

L’épilogue de plusieurs mois de mésententes et dissensions autour du nom Fourcade. Son revirement amplifie le flou et les incertitudes concernant l’organisation des JO. Voici ce que l’on sait de la situation et ses répercussions sur le rendez-vous.

Les dissensions Fourcade-Wauquiez au cœur du revirement

C’est l’un des principaux points évoqués dans la lettre : «Permettre à chaque acteur de comprendre les spécificités de la montagne d’aujourd’hui me paraît indispensable pour appréhender pleinement les défis propres aux Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver», développe Martin Fourcade. Pour lui, «cette vision n’est pas partagée par tous les acteurs de ce dossier et je le regrette».

Ce week-end, Le Dauphiné et Le Progrès brandissaient déjà la menace de l’abandon, en raison des «divergences suscitées par sa candidature». Le biathlète ne donne pas de noms, mais les réticences du président du groupe LR à l’Assemblée, Laurent Wauquiez et, dans une moindre mesure, de celles du patron de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur Renaud Muselier concernant Fourcade, sont connues depuis l’annonce de sa candidature. L’ex-président de la région Aura «se méfiait de Fourcade», explique une source qui connaît bien les rouages. Son «indépendance» aurait agacé, assuraient déjà plusieurs voix en novembre. Ce que tend à confirmer son entourage ce lundi : «Ça a chauffé sur pas mal de questions de gouvernance mais qui étaient liées, pas tant à l’intitulé du poste, mais plus à la latitude et à l’autonomie du comité d’organisation», a-t-on fait savoir dans le cercle proche du multimédaillé.

Le champion considère en outre que sa «vision» du projet n’est «pas forcément entendue», décrypte son entourage. «Mon ambition pour ces Jeux est claire : ils doivent être en phase avec leur époque, pleinement conscients des enjeux écologiques et ancrés dans la réalité économique de notre pays», écrit Fourcade, connu pour être sensible aux questions environnementales, et très au fait des problématiques engendrées par le réchauffement climatique sur la pratique des sports d’hiver.

Depuis plusieurs semaines, Michel Barnier, mandaté par l’Etat pour une mission temporaire et bénévole consistant à encadrer cette gouvernance des Jeux, a joué aux médiateurs pour tenter d’apaiser les choses. Martin Fourcade avait même échangé au téléphone avec Renaud Muselier et ce dialogue avait levé les malentendus avec le Sud, précise le Progrès. Un acteur du projet annonçait même mercredi dernier à l’Equipe que «tout le monde est d’accord sur Martin Fourcade». En vain.

L’emplacement du siège du Cojo, l’autre point de discorde

C’est une autre des raisons avancées par Martin Fourcade dans sa missive. «Organiser ces Jeux depuis un territoire de montagne est à mes yeux essentiel», soulève celui qui vit avec sa famille, au bord du lac d’Annecy (Haute-Savoie). Or depuis fin novembre, il a été acté que le siège du Cojo serait implanté «à proximité» de l’aéroport de Lyon-St Exupéry en raison de son «accessibilité», selon Matignon.

Pas en adéquation avec le souhait du Catalan, qui a remis le sujet sur la table la semaine dernière. «J’ai proposé Grenoble, Chambéry, Aix-les-Bains, Albertville… des villes proches des sites, c’est un projet de montagne», martelait alors le biathlète à l’Equipe.

«Lyon, on l’a validé il y a deux mois, ce n’est pas une surprise quand même. D’un coup ça ne marche pas, c’est quand même très surprenant», grince Renaud Muselier auprès de Libération. «Depuis vendredi, on voit bien que monsieur Fourcade essaye de trouver un prétexte complémentaire pour se retirer de la candidature.» L’élu Renaissance n’épargne pas l’ex-candidat : «Depuis que son nom est sorti, on n’a que des difficultés, sur le plan financier, sur le plan opérationnel. Le projet, il le connaît par cœur. Il l’a soutenu au CIO. Il n’y a rien qui a changé, pas une ligne, pas une virgule, pas un point. Donc il n’y a pas de surprises.»

Un possible conflit d’intérêts ?

Laurent Wauquiez redoutait aussi plusieurs contrats de sponsoring du Pyrénéen, susceptibles de faire naître des conflits d’intérêts. Le nom du biathlète retraité apparaît en effet sur des contrats paraphés avec les entreprises Odlo et Rossignol. Deux partenariats «au long cours» qui ne sont, selon lui, «pas en contradiction avec les enjeux de partenariat du comité d’organisation», comme s’était défendu l’intéressé dans un entretien à l’Equipe le 23 octobre, lequel faisait office d’acte de candidature.

Sa candidature devait justement être soumise au contrôle de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) qui devait rendre son avis dans la semaine. L’instance n’aura donc pas besoin de le faire, mais le timing de l’annonce de Fourcade interpelle.

Vincent Jay, Marie Martinod, Michel Barnier… Qui pour le poste ?

La volte-face de Martin Fourcade rebat complètement les cartes de la présidence du Cojo. Les prétendants ne sont pas légion. A l’origine, deux autres personnes s’étaient officiellement portées candidats avec Fourcade : l’ancien biathlète Vincent Jay soutenu par Wauquiez, et la championne de ski acrobatique Marie Martinod. «Ils sont toujours dans la course mais ils ont été rejoints par quelques autres», informe Renaud Muselier. «Aujourd’hui, à partir du moment où Martin n’est plus là, y a des gens qui veulent s’inscrire dans un collectif et avancer en la matière.» Sans donner de noms pour autant.

Plusieurs articles de presse font également part d’un éventuel duo composé d’une personne issue du mouvement sportif accompagnée de Michel Barnier – un poste que ce dernier a déjà occupé lors des précédents Jeux d’Albertville 1992.

L’annonce du prochain Tony Estanguet version hiver pourrait être faite à l’occasion de l’Assemblée générale constitutive du Cojo, le 18 février. Une date confirmée par la ministre des Sports, Marie Barsacq. Renaud Muselier confirme la «validation de l’organisation structurelle du Cojo», et l’annonce de l’identité de son directeur général. «On n’aura peut-être pas la réponse de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique sur les nouvelles personnalités, mais on y verra beaucoup plus clair», glisse en revanche le patron de Paca.

Quelles conséquences pour l’organisation des JO ?

Son renoncement n’arrange à l’évidence personne, et complexifie un dossier olympique déjà bien épineux depuis que la France a vu son dossier - pourtant léger - accepté l’été dernier, faute d’autres candidatures solides.

Avant le couac Fourcade, le dossier alpin avançait déjà au ralenti, notamment en raison de la crise politique française. La valse des Premier ministres et la censure ont empêché de voter le budget, qui contient la garantie financière de l’État en cas d’annulation des JO. Le CIO a donné sa deadline pour mars. Sont aussi dans la balance budgétaire les 9 premiers millions d’euros accordés à la future société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) sur les 20 prévus, selon un amendement du gouvernement.

A cinq ans pile de l’événement, de nombreux projets de construction demeurent en suspens, et bon nombre d’élus locaux commencent à s’impatienter. Une ville comme Val-d’Isère ne sait toujours pas si elle est retenue comme site de compétition. Or le temps commence sérieusement à presser.

Mis à jour : à 18 h 30 avec les déclarations de Renaud Muselier.