Le lieu ne semblait pas, sur le papier, le plus propice à une révolution de palais. Costa Navarino est une très chic station balnéaire du Péloponnèse, élégamment posée entre mer et montagne. A une centaine de kilomètres du site d’Olympie, berceau des Jeux antiques. Le parfait décor pour feuilleter avec des gestes lents, à l’ombre, les pages de la longue histoire olympique. Et pourtant, surprise, la 144e session du Comité international olympique (CIO), réunie au grand complet dans un luxueux resort, a choisi de lui tordre le cou. Au respect du passé, elle a préféré le souffle du changement. Invitée à désigner par un vote à bulletin secret un successeur à l’Allemand Thomas Bach, aux manettes depuis douze ans, la centaine de membres de l’instance a fait le choix de l’audace. C’était peu prévu. Jeudi 20 mars, elle a désigné la Zimbabwéenne Kirsty Coventry, la plus jeune des sept candidats avec ses 41 ans et ses longs cheveux blonds, la seule femme de la course, l’unique représentante du continent africain. Ça l’était encore moins.
Le CIO a bousculé ses traditions. Son dixième président en plus de cent trente ans d’existence sera une présidente. La première. Une ancienne nageuse au parcours sportif en béton armé – sept médailles olympiques dont deux en or sur 200 m dos (Athènes 2004 et Pékin 2008) – entrée dans la maison en 2013 par la commission des athlètes, puis restée dans la place sous l’aile protectrice de Thomas Bach lui-même. Avant le scrutin, son nom était souvent cité parmi les plus solides prétendants, avec l’Espagnol Juan Antonio Samaranch Jr. et le Britannique Sebastian Coe. Mais en coulisses, ils étaient nombreux à suggérer que le CIO, une vieille demeure aux usages souvent très conformistes, n’était pas encore tout à fait prêt à se choisir une femme tout juste quadragénaire, après avoir toujours été dirigé par des hommes venus d’Europe ou des Etats-Unis.
«Un mouvement mondial et diversifié»
Sa victoire, Kirsty Coventry est allée la décrocher du mât de cocagne sans même un regard pour une concurrence pourtant présentée comme la plus coriace de l’histoire. Sept candidats, un record. La promesse quasi certaine d’un scrutin à rallonge, avec une succession de tours et un aléatoire report des voix. Mais, autre surprise de la journée, la décision s’est jouée sans avoir à relancer une seule fois les boîtiers du vote électronique.
L’ancienne nageuse originaire de Harare, la capitale du Zimbabwe, a raflé la mise dès le premier tour. Elle a obtenu 49 voix sur les 97 suffrages exprimés, contre 28 à Juan Antonio Samaranch Jr., malgré son réseau et son ancienneté dans la place, et huit à Sebastian Coe, le grand battu de la journée. Comme prévu, David Lappartient s’est glissé un rang derrière, mais avec seulement quatre voix, le même score que le Japonais Morinari Watanabe. Les deux autres prétendants, le Britannique d’origine suédoise Johan Eliasch et le prince Feyçal al-Hussein de Jordanie, n’ont pas pesé très lourd, malgré leurs immenses moyens, avec deux petites voix chacun.
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Avec Kirsty Coventry, le CIO s’offre une nouvelle image. Plus jeune, plus féminine, plus universelle. «Un message fort, la preuve que nous sommes vraiment un mouvement mondial et diversifié», a commenté la gagnante du jour. Toujours bon à prendre, même si le mouvement olympique aurait pu vivre sans, après des Jeux de Paris 2024 salués comme une réussite exemplaire et des caisses toujours aussi bien remplies (18,4 milliards de dollars de revenus assurés pour la période 2025-2036).
Les codes pas bousculés
Au-delà des apparences, l’arrivée de Kirsty Coventry aux commandes n’annonce toutefois pas un grand changement pour le mouvement olympique. Il n’est un secret pour personne que l’ancienne nageuse, actuelle ministre des Sports du Zimbabwe, était soutenue par Thomas Bach. Elle s’en est défendue, lui aussi. Mais l’ampleur de sa victoire, et les scores de ses rivaux, suggèrent que le dirigeant allemand a su trouver les mots pour convaincre un corps électoral dont les deux tiers des membres ont été nommés sous sa présidence.
«Je sais, grâce à toutes les conversations que j’ai eues avec chacun d’entre vous, à quel point notre mouvement sera plus fort lorsque nous nous retrouverons et que nous concrétiserons certaines des idées que nous avons tous partagées», a expliqué Kirsty Coventry après l’annonce de sa victoire, au moment d’adresser ses premiers mots à l’assemblée. Ses idées ? Donner la priorité aux athlètes. Se tourner vers l’intelligence artificielle. N’exclure personne. Séduire les nouvelles générations. Propager partout les valeurs olympiques. Rien de très nouveau. Kirsty Coventry ne bousculera pas les codes. Mais elle leur donnera une autre allure.