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Interview

Le Coq sportif suspendu de la Bourse suisse : l’équipementier de l’équipe de France olympique «n’a pas de difficulté déclarée ou de défaillance comptable»

JO Paris 2024dossier
La holding à la tête de l‘équipementier officiel de la France aux JO de Paris 2024 a été suspendue par la Bourse helvétique lundi 3 juin. L’économiste du sport Christophe Durand explique pourquoi il ne faut pas s’affoler, même si des questions subsistent sur la solidité de ce partenaire.
«Certains avaient déjà émis des doutes sur la capacité technique et logistique du Coq sportif à assurer la commande de 150 000 pièces», souligne l’économiste du sport Christophe Durand. (Martin Colombet/Libération)
publié le 6 juin 2024 à 7h37

Entre les difficultés de circulation, la qualité des eaux de la Seine, les implications sociales de l’événement et maintenant le sponsor, l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques 2024 continue d’interroger les observateurs. Lundi 3 juin, l’opérateur de la Bourse suisse a annoncé avoir suspendu l’action de la société de participation (holding) Airesis. Cette dernière détient depuis 2005 la marque du Coq Sportif, devenue en 2024 l’équipementier officiel de la délégation française pour les JO. En cause, un retard dans la publication de ses résultats annuels, après une année difficile et une série de bilans dans le rouge. Or, le partenaire doit bientôt délivrer 150 000 pièces pour habiller la plupart des athlètes tricolores, mais également les officiels et les arbitres.

De quoi faire craindre une faillite de l’entreprise, alors que le président du comité olympique français, David Lappartient, avait fait savoir la semaine passée qu’il «y a un petit peu de retard» dans la livraison des équipements ? Pour Christophe Durand, économiste spécialiste du fonctionnement économique du sport professionnel à l’université de Caen, il faut savoir raison garder, aucune défaillance comptable n’ayant été signalée pour l’instant. Toutefois, il alerte sur le risque d’un manque de trésorerie de l’équipementier.

Pourquoi la Bourse suisse a-t-elle suspendu le Coq sportif ?

C’est un processus automatique. Les sociétés cotées en Bourse sont soumises à un certain nombre d‘obligations d’informations financières. La holding suisse Airesis, qui n’a que le Coq sportif dans ses comptes [elle en détient 78%, ndlr], avait obtenu fin avril un délai qui courait jusqu’au 31 mai à l’opérateur boursier suisse pour publier son rapport annuel 2023. Elle ne l’a pas rendu à temps, ce qui a mécaniquement engendré sa suspension de la Bourse suisse. Je suppose qu’il s’agit ici d’un problème de certification, même si je reste prudent car je ne suis pas expert des subtilités du droit suisse. En France, les comptes sont arrêtés au 31 décembre puis contrôlés successivement par deux experts-comptables. C’est peut-être au moment de la deuxième certification que le processus a pris du retard.

Cependant, il n’y a pas d’ambiguïté : il n’y a aucune procédure de sauvegarde ouverte à ce jour en France ou en Suisse et il n’y a pas de difficulté déclarée ou de défaillance comptable. Une entreprise dite en faillite doit ouvrir ce que l’on appelle une «procédure collective» [c’est-à-dire une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire]. Avec le Coq sportif, on n’en est pas là.

Quelles pourraient être les conséquences ?

La mesure concerne la seule cotation de l’action sur le marché suisse. C’est une toute petite Bourse, et il n’y a que peu voire aucune conséquence directe, sauf peut-être certains fournisseurs qui peuvent s’inquiéter si les paiements tardent… Ou une médiatisation de cette suspension, ce qui n’est jamais très bon. Et qui dit médiatisation très forte, dit question de la fumée ou du feu.

C’est-à-dire ? L’appréhension risque de grimper avec l’échéance des JO ?

Depuis le début, la signature du Coq sportif sur ce marché-là a été une surprise. Il y avait du monde sur l’affaire. Certains avaient déjà émis des doutes sur la capacité technique et logistique de l’entreprise à assurer les commandes. C’est une jolie marque, marquée par l’histoire de Yannick Noah. Mais pour livrer 150 000 pièces, il faut être un gros. Nike ou Adidas savent faire, ils traitent des millions de pièces par an et ont des partenariats avec beaucoup de gros clubs. Si c’était une filiale de LVMH, on n’aurait pas d’inquiétude. Mais le Coq sportif n’a pas forcément la même capacité technique. Quand on signe un contrat de ce type, on regarde la solvabilité du fournisseur. Même si l’on sait que les comptes 2022 d’Airesis n’étaient pas en difficulté [avec une hausse de 4 % du chiffre d’affaires], ils affichaient malgré tout une perte de 2 millions de francs suisses [2,06 millions d’euros]. Pour 2023, on ne sait pas.

Vous craignez aussi la «malédiction du vainqueur», théorie selon laquelle les organisateurs surévaluent les bénéfices et sous-estiment les pertes ?

Ce «winner curse» a pour origine la volonté des acteurs de remporter à tout prix un marché, quitte à trop pousser leur offre, et être dans l’incapacité de l’amortir par la suite. On a eu le cas pour les droits télé en Ligue 1, avec le fiasco Mediapro entre 2018 et 2020. Comme l’explique le chercheur de la faculté des sciences et du sport de Paris Sud Saclay Antoine Feuillet, la somme payée par Mediapro pour obtenir le marché de la Ligue 1 était tellement élevée qu’on ne voyait pas comment ils pouvaient retrouver l’équilibre avec les droits télé. Et dès le deuxième versement, ça a craqué.

Il subsiste donc la question du financement du Coq sportif par la holding. Quand votre entreprise grossit, il y a un besoin d’injecter de la trésorerie pour amortir le choc. Ici, il faut que la holding puisse être le banquier de sa propre filiale dans le cas où elle a besoin de financer l’augmentation de l’activité. Or, Airesis n’est pas un très gros opérateur. Si vous avez les fonds, vous passez le cap. Mais là, est-ce que la holding a les reins assez solides ? Avec le Coq sportif, il y a des interrogations.