Menu
Libération
Comme un ROC

Malgré la façade neutre, les Russes se prennent aux Jeux

Jeux Olympiques de Tokyo 2021dossier
La Russie participe aux JO de Tokyo sans son nom, son hymne, ni son drapeau. La population, qui ne fait pas semblant de croire à cette prétendue neutralité, s’intéresse un peu plus chaque jour à la compétition olympique.
Le siège du Comité olympique de Russie (ROC) à Moscou en décembre 2017. (Pavel Golovkin/AP)
par Léo Vidal-Giraud, à Moscou
publié le 3 août 2021 à 20h42

Plus personne, en Russie, ne s’embarrasse à jouer le jeu. Sur les compteurs de médailles des sites d’actualité sportive, dans les articles de journaux et les communiqués officiels, pas de trace du drapeau neutre ni de l’acronyme ROC, pour «Comité olympique de Russie», remplacés sans fausse pudeur par le drapeau rouge-bleu-blanc et le mot Russie. Ce n’est pas la disparition de l’hymne russe, remplacé par le Concerto n°1 de Tchaïkovski, ou du drapeau national pourtant toujours visible sur les uniformes, qui forceront public et commentateurs russes à faire semblant de croire à la fiction selon laquelle leur pays est banni des JO de Tokyo.

Au contraire. Plus il s’avère que la Russie, cinquième à ce stade au tableau des médailles, est bel et bien présente à Tokyo en tout sauf en son nom, plus le public russe se reprend d’intérêt pour une compétition qu’il avait d’abord accueilli avec indifférence. Si, au lancement des Jeux, seuls 8 % des Russes étaient capables de nommer l’un de leurs sportifs, des héros ont, depuis, émergé : Marta Martynova, l’escrimeuse qui disputa la finale de fleuret avec un pied cassé pour permettre à son équipe de remporter l’or contre les Françaises ; le nageur Evgeny Rylov, vainqueur de l’Américain Ryan Murphy en 100 m et 200 m…

«Qu’ils aillent se plaindre au Tribunal arbitral du sport»

Quant à l’indignation de certains sportifs et médias anglo-saxons, elle ne fait qu’ajouter au bonheur des Russes, avec une certaine dose de zloradsvto, cette joie méchante cousine de la schadenfreude allemande. «Nos victoires semblent beaucoup énerver certains de nos collègues», déclarait le Comité olympique russe en réponse à des critiques émises par des nageurs britanniques et américains. «Oui, nous sommes aux Jeux olympiques, que cela plaise ou non. On nous rejoue la musique fatiguée du dopage russe […]. Nous ne vous consolerons pas. Que ceux qui sont plus faibles que nous nous pardonnent : Dieu les jugera. Nous, il nous aide.» De son côté, le ministère des Affaires étrangères relaie chaque victoire des sportifs russes accompagnée du hashtag «WewillROCyou»…

Même la presse libérale s’y met ! Pourtant peu suspect de sympathies pour le Kremlin, un éditorialiste du journal d’opposition Novaya Gazeta écrivait la semaine dernière : «C’est difficile de se taire, quand la victoire revient à ceux que l’on voulait voir rester chez eux, sans hymne et sans drapeau. Il n’a pas fallu une semaine pour que l’on commence à tirer sur nos athlètes. […] Personnellement, cette réaction ne fait que m’enchanter davantage des victoires de cette équipe tout sauf neutre. Quant à tous les mécontents, qu’ils aillent se plaindre au Tribunal arbitral du sport. Mais pour l’instant, c’est le moment de gagner des médailles, et c’est ce que font nos athlètes.» On en oublierait presque que l’actuelle cinquième place russe est en réalité légèrement deçà des résultats des JO d’été de 2016 et 2012… et loin derrière les Etats-Unis.