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Eau vive

Paris 2024 : ça y est, enfin un baptême réussi pour la nage dans la Seine

Pour la première fois, une course internationale de triathlon s’est tenue dans la Seine ce jeudi 17 août. Un test grandeur nature à un an des Jeux, où le parcours sera identique. Il s’est déroulé sans remous, deux semaines après le couac de la course en eau libre, annulée en raison de la pollution du fleuve.
Lors de la session d'entraînement préalable au triathlon, mercredi, à Paris. (Bertrand Guay/AFP)
publié le 17 août 2023 à 15h12

Cette fois, le rendez-vous a bien eu lieu. Tôt ce jeudi 17 août, la Seine a accueilli pour la première fois dans son lit une épreuve internationale de triathlon. Spectacle sur-mesure en prime : en tête du classement mondial, la Britannique Beth Potter a battu au finish Cassandre Beaugrand, sa dauphine cette saison. La Française affichait malgré tout une mine satisfaite. Sa place sur le podium est synonyme de qualification directe pour les JO de Paris. Ce qui n’est pas le cas de la toute jeune Emma Lombardi (21 ans), la Savoyarde échouant à la 4e place.

Ce «test-event» au format olympique - 1 500 m de natation, 40 km à vélo et 10 km de course à pied - faisait office de répétition générale à fort enjeu. Autant pour les triathlètes, avec des places qualificatives pour les JO à la clé, que pour les organisateurs, à moins d’un an de l’échéance (l’épreuve est prévue le 30 juillet) sur un parcours identique. Avec un enjeu majeur : est-ce que la Seine était praticable ?

«Peut-être qu’on sera malade, on ne sait jamais»

La course achevée, les athlètes n’ont pas pu esquiver le sujet qui brasse bon nombre de discussions ces dernières semaines. Il est «trop tôt pour en parler», a estimé la vainqueur du jour, Beth Potter. «On vient de finir de nager, peut-être qu’on sera malade, on ne sait jamais. J’espère que non mais c’est le risque qu’on prend en nageant en eau libre.» Sa dauphine, la Française Cassandre Beaugrand, a balayé les doutes formulés par les uns et les autres. «On a nagé dans des eaux bien pires, il faut arrêter de se focaliser là-dessus», a dédramatisé en zone mixte la médaillée de bronze du relais mixte à Tokyo, il y a deux ans. «Honnêtement, la qualité de l’eau de la Seine est très satisfaisante», s’est félicité le patron du comité d’organisation (Cojo) Tony Estanguet.

Même si, selon les règlements de World Triathlon, le niveau de bactérie Escherichia coli mesuré, supérieur à 500 UFC pour 100 mL, ne permet pas de classer l’eau du fleuve comme «de très bonne qualité». Reste qu’il est repassé sous les 1 000 UFC pour 100 mL, le seuil maximal autorisé par World Aquatics. Son dépassement avait conduit à l’annulation du test event de la natation en eau libre, il y a moins de deux semaines (il était enregistré à 1300 UFC /100 ml), en raison des fortes pluies tombées pendant plusieurs jours précédant la tenue de l’épreuve, qui ont fait déborder les égouts et ont ramené les eaux usées dans le fleuve.

Le Cojo, la ville de Paris, ou encore la préfecture d’Ile-de-France ont évacué l’échec, arguant que des précipitations du genre sont «exceptionnelles» pour la saison. La préfecture avait tout de même pris un arrêté le 27 juillet pour autoriser dans son principe la compétition, en se basant sur 42 résultats d’analyses d’eau de juin et juillet. Mais après une ultime entrevue nocturne entre le Cojo, la ville de Paris, les fédérations sportives, entre autres, pour étudier les dernières analyses, la décision avait été prise de ne pas faire plonger les nageurs et nageuses du Pont Alexandre III, en plein centre de Paris, pour cette épreuve de Coupe du monde.

Hors de question de reprendre le risque d’envoyer tout le monde à l’eau, à peine une semaine après la très mauvaise expérience de Sunderland. Le week-end du 30 juillet, au moins 57 personnes ont souffert de diarrhées et vomissements après avoir nagé lors de l’étape des Championnats du monde de triathlon au Royaume-Uni, selon les autorités sanitaires britanniques. Des analyses effectuées par l’Agence de l’environnement à la plage de Roker beach - où la qualité des eaux est habituellement très bonne - trois jours avant la compétition ont mis en évidence une présence de bactérie Escherichia coli 39 fois supérieure au taux habituel.

«Le plan B ? La Seine»

Depuis le couac début août, la qualité de l’eau de la Seine est revenue depuis à un «seuil satisfaisant», a rassuré la mairie de Paris ce mercredi, précisant que le niveau de bactérie Escherichia coli était repassé sous le seuil maximal réglementaire. La qualité de l’eau doit rester sous surveillance pendant les quatre jours de compétition (17 au 20 août) avec des analyses quotidiennes en laboratoire et des outils de mesures instantanées.

Malgré tout, ce scénario des intempéries demeure redouté par tous les acteurs. Dans l’optique des Jeux, plusieurs chantiers sont en cours pour essayer d’y parer, comme le bassin d’Austerlitz, encore en construction, qui doit permettre de stocker des eaux pluviales (50 000 m3), et devrait être livré pour le premier semestre 2024. Interrogée sur la perspective d’un plan B prévu par le Cojo en cas de météo capricieuse, Brigitte Légaré, responsable des compétitions dans le centre de Paris, rappelle que la compétition dans la Seine se tiendrait à la fin de la quinzaine olympique (26 juillet-11 août), les 8 et 9 août, et qu’il serait possible de la «décaler» si besoin. «Si une immense pluie survient avant les épreuves, il faudra qu’on les décale», confirme le préfet de région Marc Guillaume.

Reste que dans une telle configuration, la marge de manœuvre est serrée : les organisateurs auront «deux-trois jours de marge», indique Pierre Rabadan, adjoint aux JO et à la Seine de la maire de Paris Anne Hidalgo. «S’il pleut une semaine des torrents, ce sera compliqué», reconnaît l’élu pour qui les relevés de l’été 2022 - «avant tous les travaux en cours» - étaient satisfaisants à 92 % pour autoriser la baignade. «Avec l’épisode historique (de précipitations) qu’on vient d’avoir, on va regarder ce qu’on a mis en place, s’il y a des choses qu’on peut changer, améliorer», pointe Brigitte Légaré. En cas de pluies prolongées, pourrait-on voir les nageurs s’agiter ailleurs que dans la Seine ? «Non, le plan B c’est qu’on va nager dans la Seine, a assuré Brigitte Légaré. Je suis confiante, je travaille avec les autorités depuis quatre ans sur le sujet ici à Paris et je vois l’évolution, on va y arriver.»

«Ça va continuer à s’améliorer, promet Tony Estanguet. […] Quand on organise des événements il y a toujours des aléas, il peut se passer beaucoup de choses mais on a vu la capacité de réaction des équipes.» Pour les Jeux, le calendrier des épreuves peut-être reporté ou anticipé, si d’importants orages sont prévus par exemple. «Les règles de World Triathlon autorisent même à enlever la natation, remarque Tony Estanguet. C’est déjà arrivé.» Une telle éventualité serait tout de même dommageable.

1,4 milliard d’euros d’investissements

Et pas que pour Paris 2024. Rendre la Seine à nouveau baignable, comme ce fut le cas un siècle plus tôt jusqu’à ce que le fleuve soit interdit à la baignade en 1923, est une promesse formulée par Anne Hidalgo dès la candidature parisienne en 2016, et abondamment martelé depuis. Pour éliminer la pollution du fleuve, l’Etat et les collectivités locales franciliennes ont déboursé, depuis 2016, environ 1,4 milliard d’euros.

Outre la construction de bassins de stockage et de stations d’assainissement, d’autres chantiers sont actuellement menés dans l’agglomération parisienne afin, notamment, d’éviter que l’eau de pluie ne vienne entraîner les eaux usées dans le fleuve. Certains doivent aboutir à la modernisation des usines d’épuration. Les particuliers propriétaires d’habitations aux mauvais branchements, dans lesquels les eaux usées et fluviales ne sont pas séparées, et ceux de péniches, doivent aussi engager des travaux pour une évacuation qui ne polluera pas le fleuve.

Une partie de l’enveloppe est par ailleurs consacrée à rendre baignable la Marne, le principal affluent, avec notamment la mise en conformité de la collecte des eaux usées, via la fin des «mauvais branchements privés» en amont de la capitale. À partir de 2025, le grand public est censé pouvoir se baigner dans la Seine sur trois sites : le Bras Marie (IVe arrondissement), Grenelle (XVe) et Bercy (XIIe), a précisé Anne Hidalgo le 9 juillet. Les plans d’eau seront «surveillés», «délimités par des bouées» et accessibles au moyen d’un «ponton», selon la municipalité. En attendant, les triathlètes continuent à jouer les cobayes, les épreuves se poursuivant jusqu’au 20 août. Chez les hommes, Léo Bergère, Pierre Le Corre et Dorian Coninx seront autant de chances de podium pour le triathlon français, eux qui avaient réalisé un incroyable triplé l’an dernier lors des Championnats d’Europe.