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Géopolitique olympique

Paris 2024 : entre Russie, Ukraine, Israël, des championnats d’Europe de judo, amuse-bouche diplomatique avant les JO

JO Paris 2024dossier
Le non-serrage de mains entre adversaires de pays en conflit ne fait plus réagir grand monde, comme on a pu le constater à Zagreb. De son côté, l’équipe de France est repartie de Croatie avec sept médailles.
Le Russe Inal Tasoev, à Zagreb le 27 avril 2024, où il a remporté le titre de champion d'Europe des + 100 kg. (Sanjin Strukic/Pixsell.Icon Sport)
publié le 29 avril 2024 à 12h31

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Un champion d’Europe sur son podium, en principe, c’est radieux. A fortiori à trois semaines des championnats du monde et quatorze de Jeux olympiques qui, sur le papier, sont l’objectif d’une vie. Mais de jeudi à dimanche, en Croatie, le sourire était plutôt en accent circonflexe sur les visages cornérisés de Kristina Dudina, Matvey Kanikovskiy et Inal Tasoev, impériaux respectivement en -48, -100 et +100 kg. Depuis l’invasion de l’Ukraine par leur pays, les trois Russes arborent comme leurs camarades bélarusses un dossard AIN, l’acronyme pour «athlètes indépendants et neutres». C’est ce signe extérieur de marginalité qui est hissé en étendard à mesure que retentit l’hymne de la Fédération internationale de judo (FIJ). Les mêmes précautions diplomatiques avaient peu ou prou été prises en 2017 lors du grand chelem d’Abou Dhabi, de crainte que la victoire de l’Israélien Tal Flicker ne hérisse l’alors très susceptible public émirati.

A Zagreb, viralité des réseaux sociaux oblige, le moindre impair est susceptible de générer son effet papillon. Mais jeudi, lorsqu’un combat opposant un Ukrainien à un «AIN» au premier tour des -60 kg voit les duettistes se quitter sans la poignée de main de courtoisie habituelle, personne ne tique… ou presque. Une note vocale nous parvient aussitôt, du Caire, où se déroulent en même temps les championnats d’Afrique, pour dénoncer un «double standard» occidental. Tout un continent se remémore en effet l’affaire Islam El Shehaby, du nom de ce +100 kg égyptien qui, aux Jeux de Rio en 2016, fit scandale en refusant de serrer la main de son rival israélien. Ses justifications étaient alambiquées sportivement mais d’une logique imparable : «Il n’est nulle part indiqué dans les règles du judo que la poignée de mains est obligatoire». Ce qui fait tacitement jurisprudence depuis. A Zagreb ce week-end, un +100 kg turc a refusé à son tour de serrer la main de son adversaire israélien : nul ne moufte plus.

Quel avenir olympique pour le numéro 1 mondial russe ?

Etre dans le camp du bien est la conviction la mieux partagée par temps clivants. C’est le cas de l’Ukrainienne Darya Bilodid, radieuse et célébrée au sommet des -57 kg après une longue traversée du désert autant due à des paramètres sportifs (un double changement de catégorie de poids) qu’extra-sportifs (3 400 km en voiture avec mère et sa grand-mère pour s’exiler en Espagne au début de la guerre). C’est le cas aussi de l’Israélienne Raz Hershko, enfin en or en +78 kg pour sa troisième finale continentale d’affilée, et qui dédicace sa victoire «aux otages, à leur famille et aux soldats de Tsahal». C’est le cas enfin du Russe, Inal Tasoev, câlinothérapeute velu spécialisé dans l’emplâtrage tout en toucher de ses rivaux. L’homme qui fait pleuvoir des hommes donna bien du fil à retordre à Teddy Riner en finale des mondiaux 2023, au point que le titre leur fut co-attribué. Le voici désormais double champion d’Europe. A sa sortie de tapis, le numéro 1 mondial des lourds s’immobilise soudain, regard haut et fier, le poing droit levé façon Tommie Smith. Fera-t-il les Jeux ? Son niveau plaide l’évidence, mais sa nationalité et ses amitiés exhumées des réseaux sociaux par le camp adverse ?

Des médailles tricolores, baume au cœur des privés de JO

Pour le reste, ces 73es championnats d’Europe ont été une belle fête. Des révélations, des confirmations, des repartis la queue basse. L’émotion de cette équipe de réfugiés, dont l’entraîneur iranien Vahid Sarlak, lui-même en exil en Allemagne depuis ce jour de 2009 où il eut le malheur d’affronter un Israélien, rappelle : «Les autres nations rentrent dans leur famille après un évènement mais pas cette équipe. Ils n’ont qu’eux-mêmes et n’habitent pas dans le même pays. Notre famille à nous, c’est cette équipe…» De son côté, avec six médailles individuelles et le titre retrouvé par équipes mixtes, la France est dans les standards de ses veillées d’armes olympiques : huit médailles en 2021, sept en 2016, six en 2012… Avec une différence de taille, pourtant. Sur les cycles précédents, c’était l’équipe A qui s’y collait. En 2024, seuls deux des quatorze sélectionnés pour les JO sont venus en Croatie. La raison ? Un calendrier démentiel. Les précédents championnats d’Europe de Montpellier se sont tenus il y a cinq mois à peine. Les trois premières semaines de mai voient s’enchaîner coup sur coup les trois ultimes strapontins pour Paris, dont les mondiaux aux Emirats arabes unis, du 19 au 24. Il faut doser.

Tous les entraîneurs le savent : le plus dur dans un collectif n’est pas la gestion du talent des titulaires, mais celle de l’ego meurtri des remplaçants. Epicentre à venir du sport mondial, le judo français a un qualifié d’office par catégorie à Paris. Un cadeau empoisonné, tant certaines sélections ont suscité d’incompréhension. Zagreb 2024 faisant partie du SAV, les médailles récoltées en Croatie font du bien à Audrey Tcheuméo, Julia Tolofua, Blandine Pont, Léa Fontaine ou Cédric Revol, et donnent une street-crédibilité à Joan-Benjamin Gaba et aux jeunes membres de l’équipe mixte titrée dimanche. Là où les Russes – encore eux –, avec leur art consommé de se cacher en pleine lumière, annoncent préparer déjà la génération… 2032, l’équipe de France, elle, n’a d’abord d’yeux que pour les trois prochains mois. Au vu du nombre de paramètres à maîtriser, c’est en soi déjà bien assez.