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Et vous, vous êtes plutôt fan de Miyazaki ? De Claude Ponti, Moebius, Jérôme Bosch ou Martin Handford, le papa des albums cherche et trouve Où est Charlie ? Preuve que le pari médiatico-artistique est réussi, ce sont toutes ces grandes figures de l’illustration que la presse a citées pour décrypter mardi 5 mars les affiches des JO et des Jeux paralympiques dessinées par Ugo Gattoni et dévoilées la veille par le comité d’organisation des Jeux de Paris (Cojo). Comme tout le monde, Libération a joué et décrypte neuf détails qui vous ont peut-être échappé. Avec un joker de taille slash guide touristique appelé Joachim Roncin, directeur du design pour Paris 2024.
La devise reliftée
C’était un cri du cœur nocturne, à la découverte de la double affiche : «Han, les pauvres, ils ont laissé une faute d’orthographe maousse au premier plan.» Citius, altius, fortius qui flottent dans les eaux turquoise du plongeoir, OK on voit, c’est la devise. Mais communiter, il y a un problème : soit c’est communauté, soit c’est communiquer. Oui… mais non en fait. Pour faire plus inclusif, le CIO a en effet ripoliné la devise avant les JO de Tokyo. En français, elle est devenue «Plus vite, plus haut, plus fort - Ensemble». En anglais : «Faster, higher, stronger - Together». Et en latin donc «Citius, altius, fortius - Communiter». ça nous apprendra à dormir pendant les cours de civilisation romaine… «On aurait pu mettre juste un logo mais ça aurait été une simple affiche, pas une histoire», raconte Roncin à Libé. Pour lui, la fresque de Gattoni «fera jurisprudence» un peu à la manière du logo des JO de Mexico en 68, qui est devenu un marqueur pour les graphistes du monde entier.
Une bouteille flambante
On avoue qu’on s’est aussi frotté les yeux en haut de l’affiche paralympique : que diable une bouteille de Perrier fines bulles (version restaurant) faisait en train de barboter dans la mer Méditerranée tout au bout d’une jetée tapissée d’un damier vert et violet ? Réponse simple à la portée de tous les olympiadophiles : parce que ce n’est pas une bouteille de Perrier. Réponse un peu plus élaborée : c’est la torche olympique dessinée par Mathieu Lehanneur qui attend sa flamme.
Sobriété écolo oblige, la torche version 2024 est en en acier 100 % recyclé et seules 2 000 seront fabriquées pour le relais de la flamme, contre 10 000 lors des précédents JO. Cette torche qui flotte, c’est l’un des détails préférés de Joachim Roncin dans la fresque parce que Lehanneur «a beaucoup insisté sur la symétrie synonyme d’égalité et de parité et qu’Ugo Gattoni a dessiné le reflet de l’autre moitié de la torche dans les ondes de l’eau. Design, illustration, valeurs, tout se rejoint».
Et la flamme va…
Et qui va donc apporter la flamme, qui sommeille en Grèce entre deux olympiades, jusqu’en France le 8 mai ? Bah le trois-mâts niché en haut à gauche de la version olympique de l’affiche, pas trop loin du trimaran d’Armel Le Cléac’h. On ne plaisante pas du tout : la flamme olympique fera Athènes-Marseille par la mer, à bord du Bélem, un navire bâti au XIXe siècle pour transporter des fèves de cacao entre le Brésil et la France.
Et le symbole sera beau puisque le bateau, qui a paradé, entre autres, lors du jubilé de diamant de la reine Elizabeth d’Angleterre, est aussi une entreprise d’insertion : à bord 16 marins et une vingtaine de jeunes qui largueront les amarres le 27 avril.
Où sont les Phryges ?
La présentation de ces petites peluches dont la forme évoque irrémédiablement un clitoris avait d’abord fait sourire. Depuis, on s’y est fait à ces petits bonnets phrygiens rouges que l’on risque de voir partout à l’été dans la capitale. L’œuvre d’Ugo Gattoni n’y échappe pas : le dessinateur en a glissé huit dans son affiche que le spectateur est censé retrouver. Bon courage car si certaines Phryges sautent aux yeux (comme celle qui flotte près de la tour Eiffel ou les deux en version statues de pierre accueillant le monde) d’autres sont particulièrement bien cachées.
Il faut un œil bionique pour repérer la mascotte dessinée sur l’un des spectateurs au balcon en bas à gauche de l’affiche (mot-clé : porte-clef) et franchement bien chercher du côté du métro aérien ou dans les tribunes et les gradins.
Une croix faite sur la croix
Voilà une polémique que le Cojo n’avait pas vu venir et dont il se serait bien passé. Dès la présentation de l’affiche au musée d’Orsay lundi, l’extrême droite ainsi que certaines huiles catholiques s’insurgent devant la disparition de la croix au sommet du dôme des Invalides. Pour Marion Maréchal, on chercherait à «cacher ce que nous sommes», quand François-Xavier Bellamy accuse les organisateurs de «nier la France jusqu’à travestir la réalité pour annuler son histoire». Rien que ça…
«Quand on produit quelque chose de novateur, on s’expose à la critique, balaie le directeur du design de Paris 2024. Ce que je retiens c’est que cette affiche artisanale c’est un savoir-faire à la française.» Le dessinateur a également dégonflé les envolées de la fachosphère : «Je ne cherche pas à représenter les bâtiments de manière conforme. Je les évoque tels qu’ils m’apparaissent à l’esprit et sans arrière-pensée.» Il n’y a strictement aucune «volonté de déchristianiser quoi que ce soit», tonne-t-on au siège du Cojo. Les Invalides ne sont pas les seuls à avoir vu leur architecture modifiée sans que les réacs ne s’en soient offusqués, comme le stade de France encastré tel un donut sur une Tour Eiffel rose ou le pont Alexandre III privé d’une partie de ses statues.
Le pigeon parisien qui n’en est pas un
Ah mais quelle riche idée d’avoir mis un pigeon au premier plan, sur le bras du plongeur façon Christ du Corcovado ! Avec leurs plumes qui vont d’anthracite à argenté, les bisets, colombins et ramiers sont devenus malgré eux des symboles de Paris vu qu’on en dénombre plus de 20 000 dans la capitale. Sauf qu’à bien y regarder, le volatile est d’une blancheur immaculée.
Et pour cause puisque, renseignements pris, il s’agit d’une colombe, symbole de paix depuis l’arche de Noé. Paix et concorde mondiales auxquelles les JO seraient censés contribuer tous les quatre ans. On en reparlera avec les athlètes ukrainiens mais en attendant, côté bestiaire olympique, on peut aussi partir à la recherche des lions et des flamants roses cachés par Ugo Gattoni dans Paris. «Pour la première fois, on est dans quelque chose qui n’est pas institutionnel. Aujourd’hui, on est dans les choses toutes cuites alors que là on titille l’imaginaire et on s’adresse jusqu’aux plus jeunes», se félicite Joachim Roncin.
Exit Napoléon, bonjour les femmes
Dans ce monde un peu foufou, on joue donc au tennis-fauteuil sur le toit de l’Arc de triomphe. Mais ce n’est pas tout. Certes c’est le bâtiment parisien où on célèbre les armistices et la victoire de la paix sur la guerre mais ses murs sont plutôt en mode belliqueux avec des représentations des guerres révolutionnaires et des victoires de Napoléon 1er, du pont d’Arcole à Austerlitz.
La version Gattoni est pacifique : les bas-reliefs représentent la longue marche des femmes en général et les étapes du marathon entre l’Hôtel de ville et Versailles en particulier, décrypte Roncin.
20 024 amateurs pour un marathon cinq étoiles
Derrière un coureur qui trace, flamme olympique à la main, ils sont des dizaines sur le pont Alexandre III. Mais pas la peine d’y chercher les Kenyans Eliud Kipchoge ou Peres Jepchirchir, les deux champions olympiques en titre du marathon. Ces personnages c’est vous et nous. Enfin on se comprend : des coureurs du dimanche qui auront l’occasion, le 10 août, en nocturne, d’avaler les 42 kilomètres qui les emmèneront de Versailles à la Tour Eiffel en passant par les Invalides ou le Louvre. Ça s’appelle le «marathon pour tous». Quelques heures après les pros, 20 024 amateurs s’élanceront sur le tracé cinq étoiles. Une expérience inédite à laquelle des dizaines de milliers de personnes rêvent de participer et se battent, depuis des mois, pour obtenir un dossard.
Les premiers paralympiques à l’honneur
Pourquoi enfin avoir niché, en haut à droite de l’affiche, un morceau de falaise accueillant des terrains de sport et baraquements précaires ? Sur une petite arche, on peut lire (en plissant les yeux) «Stoke Mandeville Games». Pour accentuer le côté inclusif des jeux de Paris, l’illustrateur a donc présenté deux affiches qui se rejoignent, symbole de l’union entre les olympiques et les paralympiques, mais aussi rendu hommage à cette petite ville anglaise où tout a commencé, dans un hôpital, à l’initiative d’un neurologue allemand qui voulait que ses patients paraplégiques se remettent plus vite grâce au sport.
Au début, en 1948, il n’y avait que des rencontres de tir à l’arc et de netball, une sorte de basket fauteuil, entre vétérans de l’hôpital, mais la compétition est peu à peu devenue un rendez-vous régulier et international. Avant de prendre le nom de Jeux paralympiques pour la première fois en 1960 à Rome, où 23 nations et 400 athlètes concouraient. A la fin de l’été à Paris, ils seront dix fois plus nombreux.