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Jeux olympiques

Paris 2024 : le solo de l’athlétisme sur les primes aux médaillés sème le bazar dans le sport de haut niveau mondial

La décision inédite de la fédération internationale d’athlétisme de verser des primes aux médaillés d’or des JO de Paris sème la zizanie dans le monde de l’olympisme. Ni le CIO ni les autres fédérations internationales, moins riches pour la plupart, n’ont été consultés.
Les médailles d'or paralympique (ruban rouge) et olympique (ruban bleu) accrochées à la tour Eiffel. La fédération internationale d’athlétisme veut verser 50 000 dollars aux athlètes médaillés d'or. (Paris 2024)
par Hicham Bennis
publié le 19 avril 2024 à 16h47

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50 000 dollars, soit un peu plus de 46 000 euros. La rondelette somme que vont recevoir les médaillés d’or en athlétisme lors des Jeux olympiques de Paris 2024 provoque une grogne internationale, parmi les fédérations et les athlètes et jusqu’au Comité international olympique (CIO). Cette initiative «soulève plus de questions complexes qu’elle n’en résout», a fait savoir vendredi 19 avril l’association regroupant les sports olympiques d’été (ASOIF), qui compte informer World Athletics (la fédération internationale d’athlétisme) des «préoccupations» de ses fédérations membres. «Une médaille d’or olympique n’a pas de prix et ne devrait pas en avoir», insiste l’ASOIF.

L’enveloppe permettant de primer les 48 épreuves d’athlétisme, soit 2,4 millions de dollars (environ 2,2 millions d’euros), sera prise sur l’allocation versée tous les quatre ans par le CIO à World Athletics (WA), qui avait perçu près de 40 millions de dollars après les JO de Tokyo comme après ceux de 2016 à Rio. Aucune fédération internationale n’a annoncé vouloir imiter World Athletics : celle de tennis a indiqué que tout plan de ce type devrait être «conçu en consultation avec l’ASOIF et le CIO», et celle de basket a rappelé qu’elle soutenait déjà «ses fédérations membres de diverses manières, pour couvrir leurs coûts d’organisation ou de participation aux compétitions de sélections».

«Cela différencie les sports d’élite des autres»

Dès le lendemain de l’annonce du patron de la World Athletics, Sebastian Coe, le quintuple champion olympique d’aviron anglais Steve Redgrave tirait à boulets rouges sur cette décision, par souci d’équité entre les sports plutôt que pour respecter les valeurs de l’olympisme sur le sport amateur. «C’est un peu dur pour les sports qui ne peuvent pas se le permettre […] Nous allons avoir un processus à deux vitesses […] Cela différencie les sports d’élite des autres, comme l’aviron, le canoë-kayak et la plupart des sports de combat», attaquait la légende de la voile dans les colonnes du Daily Mail. L’ex-champion de 62 ans suggère d’utiliser l’enveloppe de 2,4 millions de dollars pour «aider d’autres sports olympiques à être au même niveau [de ressources]». Le président de la World Rowing (la fédération internationale d’aviron) a tracé le même sillon. «Je respecte complètement la décision de WA tant qu’elle concerne les athlètes de son sport mais aux Jeux olympiques, ça ne concerne pas votre sport, mais tous les sports», a-t-il lâché à Olympie en marge de la cérémonie d’allumage de la flamme olympique.

Mercredi, à Paris, c’est le président du comité olympique français, David Lappartient, qui montait au créneau. Pour lui, si la décision de Coe «devait aller jusqu’au bout, c’est un changement des valeurs olympiques. Depuis le début, les champions olympiques ne touchent pas d’argent, et c’était un principe de Coubertin. Mais surtout cela se concentre, à nos yeux, entre très peu d’athlètes. Ça va être des happy few, il y en aura trois. Aujourd’hui, les moyens qui sont alloués par le CIO aux fédérations internationales notamment, le sont pour le développement du sport, pour la solidarité. Ça veut dire que toute cette mission-là, elle partirait.»

«Renflouer les comptes en banque des athlètes»

Même analyse pour l’association des comités olympiques africains pour qui cette décision est contraire «aux principes de solidarité prônés par le mouvement olympique». «La solidarité doit être de mise au sein des pays et organisations sportives afin d’amoindrir le gouffre qui existe entre les athlètes issus des pays les plus nantis et ceux en voie de développement, écrit-elle dans un communiqué publié mardi. La proposition de World Athletics […] vise simplement à renflouer les comptes en banque des athlètes non nécessiteux, plutôt que d’aider ceux qui en ont le plus besoin.»

De son côté, Andy Anson, directeur général du comité olympique britannique a livré une analyse plus conciliante, critiquant plus la forme que le fond. «Je pense que ce qui n’était pas bien dans l’annonce de la semaine dernière, c’est qu’un sport fait quelque chose tout seul, sans inclure les autres, le CIO ou les comités nationaux olympiques, a-t-il expliqué au micro de Sky Sport mercredi. Cela crée un vrai problème, car maintenant les autres sports vont être observés, et on peut s’attendre à une pression de la part d’athlètes qui diront : comment ce sport peut-il le faire et pas nous ? C’est un débat que nous pouvons avoir, mais nous devons l’avoir au bon moment, au bon endroit et ensemble.»