Inscrivez-vous ici pour recevoir gratuitement tous les vendredis notre newsletter Libélympique.
Difficile de faire plus criant comme silence. Sur le site internet de l’Elysée, les Jeux olympiques de Paris 2024 sont logiquement rangés dans l’onglet «Fiertés». Au pluriel puisqu’ils côtoient les 80 ans du Débarquement, la francophonie et Notre-Dame. Et même si le décompte olympique figure sur la page d’accueil, la dernière publication de la colonne JO remonte au… 8 mai. Il y a deux mois, quand tout le monde au sommet de l’Etat se frottait les mains en admirant la patrouille de France dessiner les anneaux olympiques dans le ciel de Marseille et la flamme olympique débarquer du Bélem. Un show populaire et réussi au millimètre près qui mettait Paris 2024 sur les meilleurs rails possibles. C’est peu dire que l’aiguillage a été brutal, le 9 juin au soir. Quand Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée, c’est l’effet «waouh» des JO qui a pris l’eau direct. En plus de jouer avec le feu démocratique en faisant monter le Rassemblement national à un niveau historique, «il a foutu le bordel dans les têtes», résume une source olympique, dépitée de voir «sept ans de super taf passer au 27e plan des préoccupations» ces cinq dernières semaines, au moment où tous les voyants médiatiques auraient dû passer en mode 100 % JO.
Juste avant de casser son jouet olympique, Emmanuel Macron ne reculait pourtant devant rien pour promouvoir l’été des JO, vitrine de cet «esprit français» si cher à ses yeux. C’est lui qui trompettait que ces Jeux allaient générer six milliards d’euros de retombées économiques pour le pays et qui expliquait partout avoir appelé les patrons du Real Madrid pour qu’ils libèrent Kylian Mbappé le temps du tournoi olympique de foot. Avec un sens aigu du détail, le président épistolaire avait même écrit le 18 mai aux élèves d’une maternelle près de Montbéliard pour les féliciter de leur hymne maison, les Zozolympiques.
«La pire balle dans le pied»
Mais la dernière apparition officielle des mots «jeux» et «olympiques» dans la bouche présidentielle remonte à cinq jours après la dissolution, le 14 juin. Emmanuel Macron se disait alors serein sur l’issue des législatives anticipées parce que les Français allaient «intégrer les Jeux olympiques dans leurs choix» de vote. «C’est la pire balle dans le pied de l’histoire du tir sportif olympique, grince l’ancien député socialiste Régis Juanico, aujourd’hui consultant en politiques publiques sportives. Depuis toujours, les JO sont percutés par la politique mais là c’est énorme. Emmanuel Macron a tué la bouffée d’oxygène que tout le monde attendait. La ferveur populaire, la montée en puissance, ils l’ont gâchée.» «Dans les kermesses de fin d’année, les habitants nous parlaient plus de leur peur de voir le RN arriver au pouvoir que des JO», se désole Mathieu Hanotin, le maire de Saint-Denis qui, comme le reste du département, joue gros avec les JO.
Officiellement, étant donné que les grandes décisions (budgétaires et opérationnelles) étaient prises, la crise politique n’a rien fait bouger. «On est embarqué depuis dix ans dans les Jeux», rappelle un Tony Estanguet aminci mais impassible à chacune de ses apparitions médiatiques, manière d’insister sur le temps long plutôt que sur les soubresauts, même s’ils étaient historiques. Fluctuat nec mergitur le Cojo ? Si près du but, «il ne faut pas changer de mindset», confirme son entourage, friand de novlangue et d’anglicismes qui déteignent sur tous les acteurs de ces JO. Depuis mi-juin, «on a plus d’output de leur part, ils vivent en tortue romaine», glisse un partenaire impliqué dans l’organisation. Toutes les cases à cocher le sont, de la livraison du sable pour le stade de beach-volley sous la tour Eiffel à l’accueil des chefs de délégations sportives au village olympique, ce vendredi, avant l’arrivée des athlètes à partir de mercredi prochain. Une répétition de la cérémonie sur la Seine, récemment annulée en raison du très fort débit du fleuve, est programmée mardi, a fait savoir le ministère des Sports. On serre les rangs et on croise les doigts.
«Au niveau local, ça n’a rien changé»
Dans la tourmente, le Cojo a cependant veillé à modifier le parcours de la flamme olympique les deux jours de scrutin les 30 mai et 7 juillet afin de ne pas compliquer l’accès aux bureaux de vote. Parce que le relais, c’est le baromètre maison du Cojo, qui se rassure de le voir toujours aussi suivi sur le terrain à chaque étape. Après un premier mois réunissant un million de spectateurs, on est passé à 4,5 millions de personnes sur les routes au bout de deux mois et 500 000 lors des shows d’allumage de chaudron olympique chaque soir. Le succès populaire du passage de la flamme «montre la passion des Françaises et Français pour les sports et les JO», s’est enthousiasmé Thomas Bach, le président du CIO, vendredi dans la petite cité viticole de Vougeot (Côte-d’Or), traversée par le parcours du flambeau. Dans certains villages, «on a parfois eu 3 000 spectateurs alors qu’il n’y avait que 2 000 habitants, se réjouit Grégory Murac, directeur délégué du relais. Toute la séquence politique, on en parle au niveau national mais au niveau local ça n’a rien changé. On n’a pas vécu une baisse de tension sur le public» venu récupérer des bobs aux couleurs des sponsors et prendre des photos des porteurs de la précieuse torche, célèbres ou inconnus. Comme un Tour de France olympique. Comment parler de désamour populaire quand 2 000 communes ont organisé des événements liés aux JO cet été et que 43 villes franciliennes ont préparé des «zones de célébration» pour les 19 jours de compétition, questionne le préfet d’Ile-de-France, Marc Guillaume, quand il croise des journalistes. Pensé il y a des mois pour éblouir le monde à douze jours du but, le parcours de la flamme dans les lieux les plus emblématiques de Paris ce week-end est désormais attendu avec un mélange d’angoisse (logistique) et de soulagement politique. «La politique a embolisé les têtes et les médias jusque-là mais ce week-end marquera une bascule, analyse Emmanuel Grégoire, ancien premier adjoint d’Anne Hidalgo devenu député de Paris dans l’intervalle. Les gens ont besoin d’une fenêtre. La France a besoin de souffler et de faire la fête ensemble.» De s’engueuler sur le score des Bleuets et de ne plus pleurer que sur le sort de Kévin Mayer.