Une coureuse qui s’étale de tout son long avant la ligne d’arrivée sur des bruitages du jeu Mario Kart. Un triathlète aveugle qui cherche à tâtons son casque de vélo au rythme d’accords de Beethoven. Des publications de ce genre sont postées régulièrement depuis quatre ans sur le compte TikTok officiel du Comité international paralympique (IPC), utilisant des extraits de compétitions pour tourner les athlètes en dérision, musique à l’appui. Et les vidéos du compte aux 4,5 millions d’abonnés cartonnent, avec au total plus de 170 millions de mentions «j’aime».
Mais les blagues s’enchaînent et laissent chez certains un goût amer. «Ces vidéos cautionnent et encouragent des moqueries et des abus que subissent déjà tous les jours les personnes handicapées dans la société», s’indigne David Lysaght, paracavalier et président de LegUpAbility, un organisme de soutien et de services aux sportifs de para-équitation. Sur son compte Instagram, le paracavalier irlandais a appelé au boycott de cette campagne de communication qui «dénigre le dévouement des athlètes paralympiques et décrédibilise leur sport».
«Je fais de l’humour sur mon handicap et je ne m’humilie pas»
Une critique que réfute de son côté le Comité paralympique. «Sur notre compte, il y a aussi beaucoup d’informations sur les sports. On utilise l’humour en plus pour attirer une audience plus jeune qui va ensuite s’intéresser aux épreuves de Paris 2024 et les regarder», justifie Craig Spence, responsable de la marque et de la communication de l’IPC. Derrière le compte se cacherait d’ailleurs un athlète paralympique dont l’identité n’a pas été révélée. «Personne ne peut mieux comprendre le handicap que quelqu’un qui a un handicap», ajoute l’organisateur. Une réponse qui ne convainc pas David Lysaght : «Il existe des centaines de handicaps, celui de cet athlète ne lui donne pas le droit de représenter tous ceux qui ont un handicap.»
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D’autres sont au contraire conquis par les vidéos humoristiques et soutiennent qu’elles donnent une juste visibilité aux sportifs paralympiques. «On ne s’interdit pas de rire de certaines situations dans lesquelles se trouvent des athlètes dits “valides”, alors c’est normal que les athlètes handicapés soient traités de la même manière. C’est l’inverse que j’aurais trouvé inacceptable», commente Arnaud de Broca, président du Collectif Handicaps. Il admire la communication autour des Jeux paralympiques qu’il trouve, cette année, très efficace : «Le plus important c’est qu’on parle des Jeux paralympiques et je n’ai pas le souvenir d’une telle campagne pour les éditions précédentes.»
Le second degré est d’ailleurs régulièrement utilisé par les athlètes eux-mêmes pour parler de leur sport, comme l’haltérophile Axel Bourlon qui promeut sa discipline dans un court sketch publié sur Instagram. Certains y voient un bon moyen d’aborder le sujet du handicap. «Parfois, par l’humour, on arrive à faire passer des messages et à toucher les gens, ça passe mieux», soutient Younès Hichami. Ce volontaire de 19 ans pour les Jeux olympiques et paralympiques ne trouve pas les vidéos «choquantes», au contraire : «Moi-même je fais de l’humour sur mon handicap et je ne m’humilie pas, il faut avoir le sens de l’autodérision.» Reste à voir si ce ton humoristique persistera pendant et après les épreuves. Pour Arnaud de Broca, «à un moment donné, il faudra quand même que ça s’arrête et souligner les exploits des sportifs, comme on l’a fait pour les athlètes des JO».