L’adolescence n’est plus ce qu’elle était dans l’univers scintillant du patinage artistique. Elle résiste désormais à tout. Et même au-delà. Aux Jeux de Pékin, une jeune Russe de seulement 15 ans, Kamila Valieva, occupe toutes les conversations depuis près d’une semaine. Elle s’est installée bien malgré elle en tête des sujets les plus médiatisés de la bulle olympique, pour avoir été contrôlée positive à un médicament interdit, fin décembre en Russie. Puis, surtout, pour avoir été autorisée à disputer sa compétition, l’épreuve individuelle, par les trois juges du Tribunal arbitral du sport (TAS).
Mardi soir, la jeune Russe a patiné. Enfin. Au menu, le programme court, première des deux épreuves de la compétition. Un peu moins de trois minutes sur la glace. Trois fois rien, à l’échelle des Jeux. Mais cette première sortie patins aux pieds depuis le début de «l’affaire Valieva» a rempli toutes les travées de la tribune de presse, au Capitol National Stadium de Pékin. Pour les médias, il fallait en être. Au plus près. En être pour la voir, la Kamila. Et constater de visu quel effet un tel déchaînement médiatique avait pu avoir sur une jeune fille.
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Plus tôt dans la journée, la patineuse avait assuré à une chaîne russe, Channel One, qu’elle était soulagée de pouvoir participer, mais se sentait «émotionnellement fatiguée». On le serait à moins. Le CIO, de son côté, avait laissé l’un de ses membres, le Suisse Denis Oswald, lever le voile sur les explications du camp russe pendant l’audition devant le TAS. «D’après ce que j’en sais, a confié Denis Oswald, ils ont raconté que Kamila Valieva avait ingurgité, par erreur, un médicament destiné à son grand-père pour soigner une maladie du cœur.» Il fallait y penser.
La thèse de l’ingestion accidentelle, qui permet d’obtenir une suspension provisoire, ayant été retenue, restait l’épreuve de vérité. La glace. Le programme court. A l’échauffement, avant le passage du dernier groupe de six patineuses, Kamila Valieva garde longtemps son masque. Son port n’est plus obligatoire, à ce stade de la compétition, mais elle donne l’impression de vouloir retarder le moment où elle se montrera à visage découvert. La patinoire n’a d’yeux que pour elle. Les médias la suivent du regard dans l’attente d’un indice. Un geste, une faute, qui trahiraient son état. Mais rien ne vient.
A l’annonce de son nom, les cris et les encouragements se font plus nombreux que pour les autres patineuses, mais il est difficile d’en mesurer l’origine dans une enceinte où les spectateurs se comptent seulement par centaines. Le clan russe se fait entendre, à l’excès, pour signifier à la jeune fille qu’elle n’est pas seule au monde. «Kamila, Kamila», scande une équipe de la télévision russe. Curieuse ambiance.
La suite se joue sur la glace. Kamila Valieva attaque son programme avec des gestes raides, presque trop mécaniques. Son premier saut, un triple axel, ne lui ressemble pas. Elle part de travers, se récupère d’un rien et évite de peu la chute. Mais le reste du programme la remet en bon ordre. Elle résiste. Les juges retiennent leur notation, mais le décompte final, un score de 82,16 points, suffit à lui assurer la première place. Elle est en tête et n’en bougera plus. Ses deux suivantes, une autre Russe, Anna Shcherbakova (80,20 pts), et la Japonaise Kaori Sakamoto (79,84 pts), ne sont pas distancées. Mais leur défaite est consommée.
Attendue par les médias à sa sortie de la glace, la Russe passe en trombe devant les caméras. Masquée, elle signifie d’un mouvement de la tête qu’elle ne répondra pas. «No interview», martèle son coach, la blonde Eteri Tutberidze. Elle ne passera pas plus en zone mixte. Et laisse sa chaise vide en conférence de presse, où sont pourtant attendues les trois premières du programme court. A défaut de Kamila Valieva, un journaliste interroge Anna Shcherbakova sur la performance et les tourments de sa jeune partenaire. «Je n’ai aucun commentaire à faire, désolée», répond la Russe.
En tête avant le programme libre, Kamila Valieva peut s’offrir jeudi soir un titre olympique qui fera encore couler des litres d’encre. Elle en a le talent. Et il est désormais certain qu’elle en possède aussi la force mentale.