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Reconversion

Pékin 2022: et au milieu des cheminées d’usine coule la piste du «Big air»

JO d'hiver de Pékin 2022dossier
Le site pour les épreuves de ski et de snow freestyle, implanté au beau milieu d’un ancien complexe industriel en banlieue ouest de Pékin, suscite l’indignation chez beaucoup de spectateurs. Les organisateurs mettent en avant la reconversion réussie du territoire, métamorphosé en parc de loisirs «vert et écologique».
La sino-américaine Eileen Gu, lors de l'épreuve de ski freestyle sur le site du «Big air» près de Pékin, lundi. (Manan Vatsyayana/AFP)
publié le 10 février 2022 à 10h21

Pour son grand baptême olympique, le «Big air» jouait gros à Pékin. Vendue comme l’une des nouvelles attractions de la quinzaine hivernale par un Comité olympique (CIO) soucieux de fédérer une nouvelle frange de spectateurs, l’épreuve de ski et de snow freestyle se devait de réussir ses Jeux, portée par ses atouts : un immense tremplin, du spectacle, de l’adversité et une bonne dose de suspens pour la médaille. Contrat jusqu’ici respecté, avec en point d’orgue le scénario dingue de la finale des freestyleuses féminines, et une première médaille d’or chinoise à la clé.

Les acrobaties d’Eileen Gu, Tess Ledeux et consorts ont beaucoup séduit. Mais elles ont été en partie éclipsées par une controverse abondamment relayée sur les réseaux sociaux : le site de la compétition, déballé par les organisateurs chinois au beau milieu d’une friche industrielle de la banlieue ouest de Pékin.

Une juxtaposition de photos très reprise sur la toile montre un hors-piste aux airs de décor dystopique, idéal pour y tourner un remake de la franchise «Mad max», ironisent ceux qui dénoncent l’absurdité écologique d’un tel choix. «Une blague», «une honte», «du ski dans une centrale nucléaire !?», peut-on lire entre autres commentaires désabusés.

Derrière la rampe de lancement du tremplin, qui culmine à 60 mètres de hauteur, impossible de ne pas s’attarder sur cette étendue grisâtre où se mêlent cheminées, hauts fourneaux et tours de refroidissement, vestiges d’un ancien complexe industriel gigantesque sur lequel la Chine et le CIO ont cru bon de parier.

Réhabilitation

Une quinzaine d’années plus tôt, le lieu, qui s’étend sur la rive du lac Qunming, était l’apanage du groupe Shougang, une immense entreprise d’aciérie privée. Un véritable fleuron de l’industrie chinoise : encore en 2020, il faisait partie des dix plus gros producteurs d’acier par tonnage du pays. L’usine géante, emblématique de Pékin, figurait parmi les plus gros employeurs de la capitale et ses environs. Parmi les sites les plus polluants, aussi.

Avant les Jeux olympiques de 2008, plusieurs initiatives de restructuration économique et de contrôle de la pollution initiées par le gouvernement forcent le groupe à se mettre partiellement à l’arrêt, avant de déménager en 2010 à Caofeidian, dans la province voisine du Hebei.

Les autorités locales ont un temps laissé le site désert, avant de le réhabiliter au fil des ans en un vaste parc de loisirs – «Shougang Park» – tout en conservant son vécu sidérurgique. La ville de Pékin considère d’ailleurs le site comme une «zone de démonstration verte et écologique», qui pourrait essaimer dans d’autres territoires en déclin.

C’est dans ce contexte que la Chine a reçu l’aval du CIO pour planifier l’édition 2022 des Jeux d’hiver. Les organisateurs ont donc jugé pertinent d’y installer ce qui constitue à ce jour le premier et unique site de «Big air» permanent. Tant pis s’il manque un simulacre de décor montagnard pour donner l’illusion d’être en station d’altitude.

Les organisateurs se défendent en mettant en avant la «reconversion réussie» de l’endroit, en passe d’accueillir un complexe d’immeubles de bureaux, un musée, un centre commercial, des cafés ainsi qu’un parc aquatique. Et des installations sportives, donc. Outre le tremplin, plusieurs bâtiments historiques adjacents ont été intégrés à l’aventure olympique : les centres d’entraînements ont été érigés au milieu des anciens fourneaux, tandis qu’une ancienne tour de stockage de minerai de fer abrite actuellement le quartier général de Pékin 2022, qui vante les investissements réduits du processus, a contrario d’autres projets créés de toutes pièces.

Reste qu’en termes d’image, le contraste du site, accentué par la neige artificielle, risque de rester comme une bonne épine dans les spatules de la Chine et du CIO. D’autant que le site du «Big air» n’est pas le seul à se faire vilipender par l’opinion. Celui de Yanqing, où se déroulent les épreuves de ski alpin à 484 m d’altitude, a été vivement critiqué pour son emplacement en plein cœur de la réserve naturelle nationale de Songshan, fondé en 1985 dans le but de protéger ses forêts denses et ses prairies.