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1924-2024, les JO à Paris

Pour les JO de Paris 1924, on s’inquiétait déjà : la canicule allait-elle faire du marathon «une course à la mort» ?

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Il y a un siècle, la France accueillait les Jeux d’été. Et la presse de l’époque s’alarmait des risques que faisaient prendre les organisateurs aux athlètes en un mois de juillet qui tournait à la fournaise.
L'épreuve de marathon des Jeux olympiques de 1924. (Memento Images/Aurimages)
publié le 3 mai 2024 à 10h20

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Avec RetroNews, le site de presse de la BNF, retour sur les Jeux de Paris 1924 tels que la presse de l’époque les a racontés.

Mais qui a pu avancer un jour que le climat breton était pourri ? Depuis longtemps, il fait bon vivre en Bretagne, il peut même y faire chaud. La preuve ? L’Ouest-Eclair (ancêtre de Ouest-France) écrit dans son édition du 13 juillet 1924 qu’il fait plus chaud à Rennes (29 °C) que 1 200 kilomètres plus au sud, à Antibes, et que les nuits celtes affichent les mêmes températures que les occitanes. Conséquence hautement symbolique : «Par suite de la vague de chaleur, la revue du 14 juillet sera supprimée ou avancée [plus tôt dans la journée].» Le problème est pris au sérieux jusqu’au sommet de l’Etat, puisque au Sénat, Edouard Herriot, président du Conseil, l’a évoqué, autorisant les commandants des corps d’armée à supprimer en province les revues en cas de chaleur excessive.

Nous sommes donc le 13 juillet. Huit jours plus tôt ont officiellement démarré les JO de Paris, où l’on sue également. La presse s’inquiète. «C’est assez que les Jeux olympiques soient un four sans en faire une hécatombe», tempête l’Œuvre à sa une. Principale source de préoccupation, les athlètes engagés dans des courses de longue haleine, en premier lieu desquelles le marathon qui doit se courir le soir même pour clore les épreuves d’athlétisme. L’Œuvre, progressiste, soutien du cartel des gauches en 1924 puis du Front populaire n’hésite pas : «La course de marathon sera-t-elle une course à la mort ?» «La chaleur suffocante que nous subissons attire l’attention sur cette compétition dont la sévérité se trouvera aggravée par une température dangereuse.» Les organisateurs ont certes repoussé le départ de 16 heures à 17 h 30. mais «cette disposition est-elle suffisante ?» s’interroge le quotidien qui rappelle que la veille, l’épreuve de cross-country a tourné au jeu de massacre : «Il a fait courir de gros dangers à plusieurs coureurs. Un de ceux-ci a dû être transporté, en mauvais état, à l’hôpital Beaujon. Sur quarante partants, les trois quarts abandonnèrent, asphyxiés par la chaleur.»

Ce cross-country de 10 kilomètres a fait couler des gouttes de sueur mais également beaucoup d’encre. Celle de l’Excelsior, par exemple, qui décrit des scènes d’apocalypse. «Je préférerais aller aux travaux forcés que de courir un cross olympique par cette chaleur», a confié au journal un coureur américain parvenu au bout du bout de l’effort. «De nombreux concurrents abandonnèrent au cours des premiers kilomètres, raconte le quotidien fondé en 1910, qui révolutionna la presse française par la large accordée à la photo. Wide, le grand coureur suédois, souffrant d’une insolation, dut être transporté à l’hôpital.» Idem pour le Français Lausseig. Quant à son compatriote Marchal, «complètement groggy il tomba comme mort à 25 mètres du poteau». Mauvaise pub pour le sport estime le journal, qui souligne : «Le cross-country est un sport d’hiver et les membres de la Fédération internationale qui ont laissé partir cette course ont fait un tort considérable au sport.» Un sport d’hiver disputé par 32,9°C, cherchez l’erreur.

Ce cross sous un soleil de plomb fut un «véritable calvaire» mais «semble avoir fait connaître les limites du courage humain», admire l’Echo d’Alger du 14 juillet. Les coureurs ont «trouvé, dans les chemins creux du début de leur trajet, des nids de chaleur qui constituaient de véritables fournaises» : «Il y eut certes, dans ce cross, une lutte de muscles d’athlètes mais il y eut surtout une lutte de volontés. La tâche imposée était si formidable qu’elle a fait d’innombrables victimes.» Quant à ceux qui ont pioché au fin fond de leur volonté et de leur courage la force d’aller au bout des 10 kilomètres, le journal les qualifie curieusement (points d’exclamation d’origine) : «Quels pauvres, quels grands athlètes ! ces exténués qui s’approchent du poteau ! Quels grands enfants dans leur vaillance !»

Et le marathon finalement ? Il s’est couru alors que «Paris dansait par 33 degrés à l’ombre» : «Le ciel était aussi ardent que celui de l’Hellade [les provinces centrales de la Grèce antique, ndlr]», décrit le Quotidien du 14 juillet. Paris-Soir parle, lui, de «température sénégalienne». Mais point de drame comme lors du cross-country. «Malgré la chaleur [somme toute très supportable, avec 25,1°C], aucun accident ne s’est produit», rapporte la Croix du 15 juillet qui se félicite que le départ de la course ait été reporté à 17 h 30. «Le marathon ne fut nullement tragique, se félicite le Petit Journal au lendemain de l’épreuve. Evidemment, il faisait moins chaud et moins lourd que la veille.» Presque le temps idéal pour sortir un marathonien. «Tous ceux qui avaient assisté la veille à la dramatique fin de course de l’épreuve de cross-country étaient étreints d’une angoisse compréhensible, rappelle le Journal. Ce marathon allait-il se transformer en catastrophe ? […] Heureusement, le soleil torréfiant de la veille s’est fait moins ardent. […] La course a pu se dérouler non seulement sans accident mais même dans les meilleures conditions qu’on pouvait rêver.»

Le champion olympique 1924 du marathon se nomme Albin Stenroos. Un Finlandais comme Paavo Nurmi, médaillé d’or des 1500, 5 000 m, du cross-country, et Ville Ritola premier des 3000 m steeple et 10 000 m. Ces trusteurs d’or remportent également les 3 000 m et cross-country par équipes. On les surnomma «les Finlandais volants». Des hommes venus du froid plus forts que la canicule. Peut-être la magie des Jeux olympiques.