Après les Bleus de l’athlétisme à Rome, c’était au tour des nageurs tricolores de tout donner pour se qualifier aux Jeux de Paris. A six semaines de l’ouverture, l’équipe de France de natation avait rendez-vous à Chartres (Eure-et-Loir), de dimanche à vendredi, pour des championnats de France de natation à la saveur particulière. Tous les yeux étant tournés vers l’échéance parisienne, les nageurs n’avaient qu’une obsession : décrocher leur ticket pour Paris 2024.
Pendant six jours, la tension est restée à son paroxysme entre les murs de l’Odyssée, le complexe aquatique de la métropole de Chartres. Dans chaque finale présente aux JO, il fallait finir dans les deux premiers, et faire mieux que les minimas olympiques fixés par la fédération internationale. A ce jeu, il y a deux équipes. Pour une poignée de sportifs, les minimas ne sont qu’une formalité – encore faut-il ne pas se louper. Et le reste se bat dans l’espoir d’arracher une qualification. A l’arrivée, ils sont 17 à s’être qualifiés pour des épreuves individuelles, auxquels il faut ajouter ceux qui nageront sur les relais. Libération fait le bilan.
Les vedettes
Quintuple champion du monde et détenteur du record du monde sur 400 mètres 4 nages (subtilisé à la légende Michael Phelps), Léon Marchand a parfaitement géré sa semaine. En lice pour ses deuxièmes Jeux du haut de ses 22 ans, il repart de Chartres avec quatre tickets, après ses succès dans les finales du 400 mètres 4 nages lundi, du 200 mètres papillon et du 200 mètres brasse mercredi (disputées à moins d’une heure d’intervalle), puis du 200 mètres 4 nages vendredi. A l’issue de son marathon qualificatif, il affichait une mine soulagée : «Evidemment, je pense à Paris un peu tous les jours car c’est pour ça que je me prépare. Là, j’ai fait l’étape qui était la plus difficile pour moi, et après ça va être que du kif.»
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Le capitaine de l’équipe de France, Florent Manaudou, a débarqué à Chartres bien affûté après avoir perdu 8 kilos (il est revenu à 101 kilos, le poids qu’il faisait entre 2013 et 2021). Le vétéran de 33 ans a deux ambitions aux Jeux : en campagne pour être porte-drapeau de la France, il vise également une quatrième médaille olympique sur 50 mètres nage libre. Sur ce second objectif, il fallait d’abord assurer la qualification, et Manaudou savait qu’il n’aurait droit qu’à une chance : «Les sélections olympiques, c’est la pire compétition de l’année. Dans d’autres sports, il y a plusieurs chances de se qualifier. Mais nous, on doit être là le jour J. Il fallait être là à 18h13 le 20 juin.» Le sprinteur a répondu présent jeudi s’imposant en 21′'54 dans la finale. A la sortie du bassin, il savourait : «Rendez-vous à Paris. Quatrièmes Jeux, en plus à la maison, j’ai hâte.» Lors des séries, Manaudou a même signé la cinquième meilleure performance de la saison, et la neuvième de sa carrière (en 21″52). Bref, le «Gorille» a prouvé qu’il faudra encore compter sur lui.
Maxime Grousset est lui aussi un expert du sprint et lui aussi a débarqué en pleine forme à Chartres. Mais il ne place pas tous ses œufs dans le même panier. Aux Jeux, il pourra disputer jusqu’à trois épreuves : le 100 mètres papillon (après avoir largement dominé les débats, en bon champion du monde qu’il est) ; le 100 mètres nage libre (dont il a gagné la finale, en réalisant le troisième chrono mondial de la saison ainsi que son meilleur temps personnel) ; et le 50 mètres nage libre (où il s’est imposé comme le dauphin de Manaudou). Sur cette dernière distance, le Néo-Calédonien ne sait pas s’il concourra à Paris, car 50 mètres nage libre et 100 mètres papillon se chevauchent dans le programme olympique : «J’ai mon ticket sur le 50, on verra bien ce que j’en fais.»
Les favoris
La spécialiste du demi-fond Anastasiia Kirpichnikova s’est qualifiée pour Paris sur ses trois distances fétiches, le 400 mètres, 800 mètres et 1 500 mètres nage libre. Si elle s’est chaque fois largement imposée, Kirpichnikova a parfois frôlé les chronos requis pour se qualifier aux Jeux. «J’ai fait un bon 400, un 1 500 moyen parce que je commençais à fatiguer et le 800 était ma dernière distance donc il fallait tenir mentalement et physiquement, analysait la nageuse d’origine russe au sortir de sa dernière course. Je suis fatiguée mais très contente.» Avec ces qualifications olympiques, la Russe prend sa revanche sur les mois où elle a été privée de compétition à cause de la guerre en Ukraine. Elle est finalement de retour dans l’élite de la natation grâce à sa naturalisation française en avril 2023.
L’ancienne capitaine des Bleus Mélanie Hénique s’est imposée dans le 50 mètres papillon. Portée par «l’engouement» du public, auquel elle ne «s’attendait pas», elle s’est fait plaisir dans sa discipline phare, sans pression car elle n’existe pas aux JO. Pour quand même assurer sa présence à Paris, Mélanie Hénique avait concentré sa préparation sur le 50 mètres nage libre. La doyenne des Bleues (31 ans) s’est qualifiée grâce à son temps de 24′'53 (minimas olympiques à 24′'70). Juste derrière Béryl Gastaldello (24′'51) et juste devant Marie Wattel (24′'57), que la troisième place prive de qualification. Mélanie Hénique savoure : «Je suis vraiment contente parce que c’est mon meilleur 50 mètres de la saison et je le fais en finale des championnats de France».
Impérial, Mewen Tomac s’est offert le triplé 50 mètres-100 mètres-200 mètres dos. Et même un record de France sur le 200. Le dossiste décroche donc deux tickets pour les Jeux (le 50 mètres ne figure pas au programme olympique). Tout proche d’un podium sur 200 mètres aux derniers Mondiaux (cinquième en 2022, puis quatrième en 2023), Mewen Tomac a clairement affiché son objectif pour Paris : «La médaille.» Son principal concurrent français, Yohann Ndoye-Brouard, s’est emparé de la deuxième place et de la qualification olympique sur les mêmes distances.
David Aubry peut souffler. Le demi-fondeur s’est assuré d’être triplement qualifié – en 400 mètres, 800 mètres et 1 500 mètres nage libre – sans briller mais en faisant mieux que les minimas olympiques. Un soulagement pour le médaillé de bronze sur 1 500 mètres aux Mondiaux de Doha en février, qui s’était mis une immense pression, au point d’en perdre le sommeil. «Je n’avais pas le droit de me louper», lâchait-il, encore tremblant, après sa première course. Sur le 1 500 mètres, il sera accompagné de Damien Joly, ancien détenteur du record de France sur cette distance, qui participera, à 32 ans, à ses troisièmes Jeux (après Londres et Rio).
Les revenants
Marie Wattel a été la première, dimanche, à composter son billet pour les Jeux en gagnant sur 100 mètres papillon. La bande-son de sa victoire serait sûrement Libérée, délivrée : depuis son titre de vice-championne du monde du 100 mètres papillon en 2022, la Nordiste de 27 ans a beaucoup douté après avoir enchaîné les blessures. Marie Wattel s’est même ensuite offert une seconde qualification, mardi, en 100 mètres nage libre. En finissant sa course en 58′'61, elle a atteint les minimas olympiques au centième près.
Pour Charlotte Bonnet, la cocapitaine de l’équipe de France, le début de la semaine n’avait été que désillusion. L’ancienne Niçoise, qui a récemment déménagé en Suisse pour suivre son conjoint, avait à cœur de décrocher son billet pour la quatrième, et dernière, olympiade de sa carrière. Dimanche, elle est montée sur la première marche du podium en 100 mètres brasse, mais avec un chrono insuffisant pour aller aux Jeux. Mardi, elle a fini au pied du podium sur 100 mètres nage libre, une distance dont elle a pourtant été vice-championne d’Europe en 2022. Finalement, le salut est venu du 200 mètres 4 nages, vendredi. En touchant le mur en 2′11′'18, Charlotte Bonnet a arraché sa qualification (les minimas sont à 2′11′'47). «Pardonnez-moi l’expression, mais putain je l’ai fait quoi», jubilait-elle quelques minutes plus tard, les yeux humides.
Au pied du podium sur 100 mètres dos, Pauline Mahieu s’est «accrochée» pour aller chercher la qualification sur 200 mètres. Après une avant-course habitée par les «pleurs» et les «doutes», elle a pu savourer sa deuxième place, et son chrono qui l’envoie à Paris. En sortant du bassin, elle exultait : «C’est un soulagement et une fierté immenses.»
Les surprises
C’est peu de dire qu’il a frappé un grand coup. Rafael Fente Damers, 17 ans à peine, rejoint l’équipe de France olympique, grâce à sa belle performance sur 100 mètres nage libre. En 48′'14, pas loin des minima olympiques fixés à 48′'34, il a réalisé son meilleur chrono personnel. N’en revenant pas, le jeune sprinteur a tapé l’eau de son bras gauche, si fort qu’il s’est luxé l’épaule et a dû attendre l’arrivée des secours pour s’extraire du bassin. Après une batterie d’examens médicaux, Fente Damers était de retour à Chartres, vendredi, avec des nouvelles rassurantes : «Ça ira pour les JO, je n’ai aucune inquiétude. J’ai déjà eu des blessures de ce style par le passé et je suis toujours revenu plus fort.» Il n’en est qu’au début : en 2025, il rejoindra Bob Bowman, l’entraîneur de Marchand, à l’université du Texas. Pour devenir le nouveau Rafa, celui des piscines ?
#Chartres2024 | 🏆 Maxime Grousset champion de France pour la cinquième fois d'affilée sur le 100m nage libre !
— francetvsport (@francetvsport) June 18, 2024
💪 Le Néo-Calédonien signe son record personnel et se qualifie pour les Jeux de Paris. Il sera accompagné du jeune Rafael Fente Damers qui réalise aussi les minima ! pic.twitter.com/8G08AClQ28
Autre dauphin de Grousset, Clément Secchi a pris la deuxième place sur la finale du 100 mètres papillon, privant Mehdy Metella d’une qualification tant attendue. A 24 ans, Secchi disputera sa première olympiade, lui qui se définit comme «un petit nageur» (1,80 mètre) et a dû «trouver d’autres moyens de prendre l’avantage».
Dans la finale du 800 mètres, David Aubry était favori, mais c’est Pacome Bricout qui s’est imposé. A seulement 19 ans, et malgré la mononucléose qui l’a exténué l’hiver dernier, le nageur de demi-fond prendra part à ses premiers Jeux.
Surtout attendue sur 200 mètres dos, Emma Terebo a surpris son monde en s’imposant d’abord sur 100 mètres, lundi. La dossiste s’est offert la qualification et même le record de France, avec un temps de 58′'79. En sortant de la finale du 200 mètres, qu’elle a également remportée, Terebo a laissé exploser sa joie : «Partir pour les Jeux de Paris sur le 100 mètres et 200 mètres, c’est comme je l’ai rêvé. Je suis tellement heureuse.»
Les déçus
Les dossistes françaises étaient cinq au total à prétendre à la qualification sur 100 mètres dos. Seules les deux premières, Emma Terebo et Béryl Gastaldello, sont reparties de Chartres avec un ticket pour Paris. Pour les troisième et cinquième, Mary-Ambre Moluh et Analia Pigrée, la pilule est difficile à avaler : elles ont beau avoir performé ensuite sur le 50 mètres dos, la spécialité n’est pas olympique.
Cyrielle Duhamel (400 mètres 4 nages), Hadrien Salvan (200 mètres nage libre), Lucile Tessariol (200m nage libre), Zia Dupont (200 mètres brasse) ou Lara Grangeon de Villele (200 mètres papillon) ont tous été sacrés sur leurs disciplines respectives, mais ont échoué à se qualifier en individuel.