Finalement, il a choisi de venir nager. Pour respecter le «mana» – la force sacrée – du futur site de surf des JO de 2024, le président de Polynésie, Moetai Brotherson, a rejoint dans l’eau les opposants à l’organisation de cette épreuve à Teahupoo, berceau d’une vague légendaire. A mi-chemin entre stratégie politique et respect des coutumes locales, la démarche de Brotherson a été saluée par les opposants locaux. «Ce que je retiens aujourd’hui, c’est que le Président était avec nous, on s’est tous mis en cercle ensemble, on a tous pris un moment de silence […] pour montrer le respect qu’on a pour Teahupoo. Le mana est là. Tant qu’on est soudés, je garde espoir», a raconté un des opposants locaux, Lorenzo Avvenenti à la chaîne Polynésie la Première.
Ambitions revues à la baisse
A huit mois des Jeux de Paris, la polémique ne cesse d’enfler sur le choix de ce site et les infrastructures que nécessiterait la compétition, notamment la construction d’une nouvelle tour des juges en pleine barrière de corail même si ses dimensions et ses ambitions ont été revues à la baisse mi-novembre. Vendredi, une barge a brisé des morceaux de corail lors des premiers tests techniques pour construire cette nouvelle tour. Pour les défenseurs de l’environnement, c’était écrit et cela pourrait être pire à l’avenir puisque ces essais ont été faits à marée haute et avec une barge à vide, donc plus légère.
«On entendait le craquement des coraux se briser sous la barge et les hélices des moteurs. Cela nous a mis en colère et nous a attristés. On les avait prévenus, a dénoncé Astrid Drollet, secrétaire de l’association Vai Ara o Teahupoo. Les surfeurs nous l’ont dit : l’accès est impossible.» Embarqués sur une flottille, surfeurs et opposants ont filmé la scène – une immense barge avançant dans une eau cristalline et peu profonde – avant de la diffuser massivement sur les réseaux sociaux, ce qui a provoqué une réaction en chaîne.
Manifestation à San Diego
Et d’une, Moetai Brotherson a annulé sa venue officielle sur le site prévu samedi et a suspendu les travaux qui devaient débuter ce lundi. Et de deux, l’association internationale de surf (ISA) a organisé dimanche une manifestation contre l’organisation de l’épreuve à… 6 700 kilomètres de Tahiti, à San Diego, sur la côte californienne. «Don’t Concrete the Reef», «Ne bétonnez pas la barrière de corail», pouvait-on lire sur leurs pancartes. Fin octobre, c’est la gloire planétaire du surf, Kelly Slater, qui avait réclamé l’arrêt de l’aménagement de Teahupoo.
Teahupoo, la «montagne de crânes» en polynésien, une vague aussi large que haute, en raison notamment du fond du lagon très escarpé et truffé de corail, coupant comme du verre. Elle est réputée pour être l’une des plus dangereuses du monde, ce qui, en plus de son bleu profond, la rend mythique aux yeux des surfeurs du monde entier.
«Aujourd’hui, on a cassé du corail»
Les organisateurs de la compétition ont revu leur copie mi-novembre, avec un projet de tour en aluminium pour les juges allégée afin de «limiter au maximum les atteintes à l’environnement». La tour passera ainsi de 14 à 9 tonnes et sa superficie sera réduite de 50 m² pour revenir à la taille de l’ancienne tour en bois. Le câble prévu pour fournir l’électricité sera démonté après les Jeux et la tour ne sera plus raccordée à l’eau potable ou aux eaux usées. Exit la clim et les toilettes ultramodernes du projet initial.
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L’incident de vendredi a relancé la polémique et la mobilisation. «Aujourd’hui, on a cassé du corail. Demain, si on utilise ces anciens dispositifs, ce sont des vies qu’on met potentiellement en danger, je ne prendrai pas cette responsabilité, a déclaré Moetai Brotherson sur la chaîne de télévision locale TNTV. Si, au final, il n’y a pas de solution puisqu’on ne pourra de toute façon plus réutiliser les anciennes fondations [ni] l’ancienne tour, il faudra se poser la question de la pérennité des épreuves de surf à Teahupoo.»
En réalité, la suite risque d’être compliquée : Teahupoo est le seul site à avoir postulé pour accueillir la compétition l’été prochain et on imagine mal comment le Comité d’organisation des JO pourrait décider d’annuler purement et simplement une épreuve. Interrogé vendredi par l’agence Reuters, le Cojo a expliqué qu’il souhaitait «plus que jamais» poursuivre le dialogue avec les surfeurs et les ONG.