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Volley assis aux Jeux paralympiques : pour Morteza Mehrzad, «cette discipline a eu un impact immense sur ma vie»

Star de la discipline, le joueur iranien de 2,46 mètres dit avoir trouvé dans le sport l’issue à un isolement mortifère.
Morteza Mehrzad et ses coéquipiers de l'équipe de volley assis, à Téhéran le 20 juillet. (Atta Kenare/AFP)
publié le 30 août 2024 à 6h44

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Morteza Mehrzad, ou la preuve éclatante de la pertinence de Ludwig Guttmann, précurseur des Jeux paralympiques. Quand, en 1943, le neurologue allemand accepte de prendre la direction du Centre national des lésions de la colonne vertébrale à l’hôpital militaire de Stoke Mandeville, au nord-ouest de Londres, il pose cette condition : pas d’ingérence, totale liberté sur ses méthodes. Parmi elles, figure l’intégration du sport dans la rééducation. L’idée paraît totalement perchée : le centre en question a été créé en vue d’accueillir des soldats qui reviendraient paraplégiques de la guerre. A l’époque, pareille condition est synonyme d’une espérance de vie de trois mois, les patients succombaient des suites d’escarres, de pneumonies et d’infections urinaires. Mais Guttmann ne vise pas que la survie et affirme ceci : le sport ne sert pas seulement à développer les muscles d’un patient mais à «contrecarrer les attitudes psychologiques et antisociales anormales – l’attitude d’une personne handicapée envers elle-même se détériorant en un complexe d’infériorité caractérisé par l’anxiété et la perte de confiance en soi et de dignité personnelle, entraînant l’apitoiement sur soi et l’auto-isolement». Le sport, dit le praticien allemand qui a émigré à Oxford pour fuir les persécutions nazies, peut permettre à ces personnes de réintégrer la communauté, «leur redonner leur dignité et en faire des citoyens heureux et respectés». Quelques années plus tard, en 1948, Guttmann lance les Jeux de Stoke Mandeville, germe des Jeux paralympiques.

Tour de contrôle avec effet de muraille

Morteza Mehrzad, 36 ans, est iranien. Il n’est pas paraplégique ni tétraplégique, il est géant : à 2,46 mètres, il est le deuxième plus grand homme vivant au monde – après le Turc Sultan Kösen, 2,51 mètres. Cette taille démesurée résulte d’une acromégalie, sécrétion excessive de l’hormone de croissance qui provoque une augmentation anormale de la taille, des pieds, des mains et une déformation du visage. Sur le terrain de volley assis, Morteza Mehrzad est immanquable, véritable tour de contrôle qui toise les autres joueurs, avec effet de muraille : quand il a les bras levés, il dépasse de 80 centimètres le filet – qui atteint, dans cette version parasport pratiquée les fesses au sol, 1,15m pour les hommes et 1,05m pour les femmes. Son arrivée sur la scène internationale, en 2016, a d’ailleurs obligé les autres équipes à revoir leurs tactiques (notamment en introduisant plus de vitesse) et leurs compositions. Même le Brésil, qui disposait de joueurs de 2m et 2,06m, était dépassé. Certains pays ont déposé une réclamation auprès des instances paralympiques en arguant d’un «avantage». En vain. Avec cet atout maître, la république islamique d’Iran conforte sa domination sur le volley assis, qui ne se dément pas depuis 1988, avec sept médailles d’or et deux en argent au compteur.

Mais réduire Morteza Mehrzad à sa taille, postuler qu’il lui suffit de lever les bras pour faire la différence, est aussi grossier qu’inepte. En action, le géant s’avère mobile, réactif, rapide, endurant, qualités qu’exige le volley assis. Le combo donne un redoutable serveur, contreur et attaquant. Le voir ensuite, hors terrain, mouvoir sa grande carcasse de 140 kilos, renforce l’admiration : depuis un accident de vélo avec fracture du pelvis quand il avait 16 ans, Mehrzad claudique sévèrement, la jambe droite dont la croissance a été perturbée est plus courte de 15 centimètres que la gauche, d’où le recours au fauteuil roulant ou à des béquilles.

«Tout le monde le regardait bizarrement»

L’acromégalie est non seulement une pathologie lourde et à risques – épaississement des os, augmentation du volume des muscles et de tous les organes dont le cœur, risques de diabète et d’hypertension – mais aussi excluante. «Avant qu’il ne devienne célèbre, lorsqu’il sortait de chez lui, tout le monde le regardait bizarrement. Maintenant, tout le monde veut prendre une photo. Il est devenu un champion», se félicite l’entraîneur de l’équipe iranienne de volley-ball assis, Hadi Rezaei. C’est ce coach, légende de la discipline et militant de l’empouvoirement des personnes handicapées par le sport, qui a repéré Mehrzad, 24 ans à l’époque, dans une émission de télévision consacrée à des personnes présentant des anomalies physiques inhabituelles. Morteza Mehrzad, qui est né et a grandi à Rudsar, ville côtière au nord de Téhéran, a alors intégré un centre de formation avant d’officier dans des clubs régionaux puis d’être appelé en équipe nationale.

«Cet athlète paralympique de 2,46 mètres s’est assis et a commencé à se faire remarquer», titrait à son propos le New York Times en 2016, au moment des Jeux paralympiques de Rio. Dans une rare interview, accordée à la télévision iranienne, le joueur lui-même a confirmé que le sport avait été comme une issue de secours inespérée : «En raison de ma déficience, j’étais très déprimé. J’avais l’impression d’être en prison – j’avais peur de sortir à cause de mon apparence. Je n’arrivais pas à imaginer un avenir pour moi. Mais le volley-ball assis a eu un impact immense sur ma vie.» Les images de groupe de l’équipe iranienne de volley assis sont vertigineuses. Morteza Mehrzad en émerge tel un séquoia. Mais le géant autrefois solitaire fait corps avec l’équipe, et en est sur le terrain un de ses bras les mieux armés.