C’est une page d’histoire. C’est aussi une histoire de survivants. Les volleyeurs de l’équipe de France ont offert à leur sport samedi à l’Ariake Arena de Tokyo sa première médaille d’or olympique en dominant la Russie en cinq sets (25-23 25-17 21-25 21-25 15-12). Revenus de nulle part, à l’arrache. En apothéose d’un tournoi olympique bien mal embarqué et d’une aventure qui aurait pu tourner court avant même de commencer.
La médaille d’or des volleyeurs est la neuvième entreposée dans le coffre-fort de la délégation française à Tokyo, la 32e au total tout métal confondu. Après l’or des handballeurs, l’argent des basketteurs et le bronze des basketteuses, elle confirme aussi la forme éclatante des sports co indoor français tandis que les handballeuses chasseront à leur tour une médaille d’or dimanche face à la Russie.
«C’est un beau conte de fées et j’espère qu’ils se souviennent, dès leur premier entraînement, en disant: ‘on rêve de Jeux olympiques’. Et pour gagner les Jeux olympiques, Il faut y penser tous les jours. Ce chemin, cette idée de toujours penser à ça, je crois que ça a compté à la fin. Il fallait aussi être patients, il fallait avoir des joueurs très talentueux et aujourd’hui, c’était une équipe, pas que des joueurs talentueux, c’était une équipe qui a été monstrueuse», résume sur France Télévisions Laurent Tillie, qui coachait samedi son dernier match à l’issue d’un mandat de neuf ans à la tête de la sélection française. «Il faut juste garder la persévérance, la résilience et y croire.»
Montagnes bleues, montagnes russes
Comme en phase de poule, le 31 juillet, les Bleus ont fissuré le ROC, l’acronyme du Comité olympique russe qui sert de drapeau neutre aux athlètes russes présents aux Jeux de Tokyo. Mais il a fallu s’accrocher et garder ses nerfs. «C’est un match à l‘image de notre compét’, toutes les émotions, beaucoup de tensions mais on s’en est sortis. C’était une finale olympique, ça ne pouvait que se terminer comme ça», résume après le podium la star de l’équipe, le flamboyant Earvin Ngapeth, aux stat’ monstrueuses dans cette finale (21 points sur 40 tentatives, aucun attaquant de part et d’autre du filet n’a été aussi sollicité que lui dans cette finale).
Les choses sont pourtant mal embarquées dans le premier set, les Russes se détachant 22-18. Mais une attaque annoncée mordue et deux aces d’Antoine Brizard inversent tout. Une paire d’attaques d’Earvin Ngapeth, maître du block-out où l’attaquant va chercher les mains du contre adverse pour faire sortir la balle des limites, et un smash rageur de Trévor Clévenot bouclent l’affaire (25-23).
Remontée russe
Attaques rageuses de Jean Patry, d’Earvin Ngapeth, le génial Jenia Grebennikov qui se démultiplie en défense : les Bleus prennent vite le large dans le deuxième set. A 23-17, une attaque violente de Patry confirmée après un challenge demandé par Laurent Tillie offre aux Tricolores sept balles de set. La première leur suffit (25-17 en 27 minutes).
Dans le troisième set, un combo défense-attaque de Maxim Mikhaylov permet aux Russes de passer devant (16-15). Mais la défense bleue tient le choc et Jean Patry continue son festival. A 19-19, Ngapeth cherche un nouveau block-out mais les trois contreurs russes enlèvent les mains. La balle fuse hors des lignes. 20-19.
Sur l’action suivante, Ngapeth est contré. 21-19 pour les Russes. Jamais deux sans trois ? Non, cette fois Ngapeth ne se rate pas. Les services de Yaroslav Podlesnykh font mal, Tillie se trompe sur un challenge, et à 24-21 pour les Rouges, Antoine Brizard prend son risque au service. Dehors. Le ROC, qui a sorti en demi-finale le favori brésilien, tenant du titre, après avoir lâché la première manche, reste en vie.
Le quatrième set voit la bande à Ngapeth se détacher puis les Russes revenir sous l’impulsion d’Egor Kliuka et de Maxim Mikhaylov. A toi, à moi, l’alternance est mathématique. De 8-8, le tableau d’affichage passe à 13-14. Une frappe lourde de Kiuka donne deux points d’avance aux Russes. Un bloc autoritaire de Nicolas Le Goff et les Bleus recollent à 16-16. Relâchent. Reviennent pour relâcher encore. 23-20 pour les Russes dans le money-time puis 24-21 et 25-21. On se souvient alors qu’à Londres, en 2012, les Russes étaient allés chercher l’or après avoir perdu les deux premiers sets. Les Brésiliens avaient même eu deux balles de match dans la balle de set.
Irrespirable
Le tie-break s’annonce irrespirable. Les Russes prennent le large (6-3) mais se mangent quatre points d’affilée. Au bout d’une action initiée par un service vicieux d’«ENG», les Français s’arrogent un break d’avance (10-8). Patry sert le plomb. Son ace, le 8e pour les Bleus depuis le début de la finale, met les Français sur une trajectoire parfaite (13-11) et une malice de Brizard offre deux balles de match aux Tricolores. C’est fini. Non pas tout à fait encore, puisqu’il est écrit qu’il faut survivre à tout. La dernière attaque russe est donnée dehors. Les Bleus exultent. Le staff rouge demande un challenge. Quelques secondes d’attente. La décision arbitrale est confirmée. Les Bleus improvisent un french cancan, soulèvent leur coach dans les airs.
«Il y a pas de mot, c’est incroyable, j’en reviens pas, je crois qu’on ne réalise pas trop, je ne sais pas comment décrire la sensation, c’est... (long silence) champion olympique, quoi !» Jean Patry, au micro de France Télévisions, a plus de mal que lorsqu’il cherche la diagonale. «Encore une fois on est revenus de loin, on gagne les deux premiers [sets], on pensait que tout était perdu [quand les Russes ont recollé à deux sets partout, ndlr] et au final, on s’accroche comme on le fait depuis le début et on sort un bon tie-break. On démarre mal dans le tie-break et on arrive à trouver la force avec cette équipe de fous furieux, de dingues, cette grande famille et on arrive à trouver tous ensemble pour aller chercher le match», poursuit-il.
Vainqueurs de la Ligue des nations en 2015 et 2017, troisièmes en juin dernier, champions d’Europe en 2015, les volleyeurs français n’avaient jamais réussi à atteindre les quarts de finale d’un tournoi olympique. Leur entrée dans la compétition a été cahoteuse avec une défaite contre les Etats-Unis puis l’Argentine avant une qualification in extremis grâce aux deux sets arrachés aux Brésiliens lors de l’ultime journée de la phase de poule. «Dans ce tournoi, on est des survivants», notait Earvin Ngapeth dans le journal du bord qu’il tient pour Libé avant le quart de finale homérique face aux Polonais.
Le mode survie a même commencé bien avant. Au Tournoi de qualification olympique de Berlin, en janvier 2020, les Bleus sont menés deux sets à zéro en demi-finale par la Slovénie avant de renverser la table et de tamponner leur billet pour Tokyo. Une histoire de survivants.
Tout au long de l’aventure des volleyeurs français à Tokyo, Earvin Ngapeth, le réceptionneur-attaquant de l’équipe de France de volley-ball, a ouvert son journal de bord à «Libé»
Mis à jour à 18 heures avec les déclarations, le contexte.