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Libération
Reportage

«Ze Louvre is on ze left !» : à l’approche des JO, Paris découvre la «zone grise»

JO Paris 2024dossier
Ce jeudi 18 juillet, touristes et parisiens arpentent, perplexes, le périmètre sécurisé où se déroulera la cérémonie d’ouverture. Du Grand Palais au Louvre, «Libération» a longé une portion de la rive droite.
Des gendarmes contrôlent les QR codes des piétons et cyclistes, le 18 juillet près du Louvre. (Dimitar Dilkoff/AFP)
publié le 18 juillet 2024 à 18h16

VIIIe arrondissement de Paris. En se rendant vers la place de la Concorde, via des Champs-Elysées cernés une armada de policiers et de gendarmes ce jeudi 18 juillet, on peut lire sur la statue du général de Gaulle : «Il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde». La grandeur de la France, des cyclistes la cherchent en cette matinée ensoleillée. «On peut passer par là pour les Invalides ?», demande une petite femme aux cheveux gris qui zieute vers le Grand Palais. «C’est un peu chiant», grommelle une autre. «La croix et la bannière !» renchérit la première.

Pour le premier jour de la mise en place du périmètre de sécurité intérieure et de lutte contre le terrorisme (Silt), Libé s’est aventuré à proximité de la rive droite parisienne, s’infiltrant dans une partie de cette «zone grise» qui doit accueillir la cérémonie d’ouverture, le 26 juillet. Ne peuvent y circuler que les riverains, les professionnels et les visiteurs disposant de réservation dans un hôtel, un restaurant ou un musée. Tous doivent présenter un pass numérique (QR code), obtenu sur le site www.pass-jeux.gouv.fr.

Un impératif qui s’avère plutôt théorique pour cette chaude journée de jeudi. En contournant la place de la Concorde, on est arrêté à l’un des nombreux points de passage quadrillant la «zone grise». Un gendarme nous demande notre pass, puis nous autorise à passer «exceptionnellement» sans. «Aujourd’hui on fait de la sensibilisation, demain ce sera vachement plus hermétique.» Peut-on s’attendre à des scènes incongrues ? Le gendarme s’amuse : «Vous n’allez pas être déçu.» Avant de se reprendre : «Mais il faut écrire qu’on est gentils hein ?»

«Mais c’était marqué qu’en zone rouge c’était bon non ?»

En tout cas, ils sont pédagogues. Rue de Rivoli, on constate rapidement que tout le monde n’a pas eu le mémo concernant les nouvelles règles. Nombre de piétons tentent de s’engouffrer, persuadés que l’accès leur avait été accordé. «La plupart ont eu les infos il y a un mois sur le site, n’ont pas regardé les modalités depuis, et sont surpris que ça ait changé», reconnaît un gendarme. Un homme travaillant à l’ambassade américaine se présente : «On avait reçu un mail nous disant que c’était bon, car on ne peut pas trop télétravailler. Je vais faire mon QR Code, mais j’espère qu’il va arriver vite». Un cycliste s’interroge : «Mais c’était marqué qu’en zone rouge c’était bon non ?» «Oui mais là c’est la zone grise monsieur». Et trois vélos de faire demi-tour.

Deuxième constat, les touristes semblent mieux renseignés que les Parisiens. «C’est souvent comme ça», sourit une gendarme. Les vélos foncent comme des balles sur les check-points depuis la rue de Rivoli, les trottinettes se bousculent, les taxis bouchonnent dans ces nouveaux culs-de-sac. Et pendant ce temps, des familles de touristes japonais ou mexicains, préparées depuis des semaines, montrent aimablement leurs pass. Toutefois, en s’approchant de Palais-Royal, la nuance finit par s’estomper.

«Vous avez le QR code ?»

Du côté des forces de l’ordre, consigne est donnée de rediriger les touristes vers le pont de l’Alma. Ou vers le pont Alexandre III. Ça dépend des check-points. «On a reçu les sept pages de documents hier soir à 23 heures pour ce matin 5 heures», souffle un gendarme, soudain coupé par les gros yeux de son supérieur. Oups, c’était confidentiel. Les autres militaires interrogés confirmeront à demi-mot ou nieront timidement. Venues du Doubs, de Melun ou des Ardennes pour donner un coup de main à leurs confrères parisiens, les équipes partagent le café et se relayent. Et répètent en boucle «Vous avez le QR code ?» au flot ininterrompu des égarés. A force, la sensibilisation se fait moins évidente. «Et ce n’est que le premier jour», rigole l’un d’eux, tandis que sa collègue hurle «ze Louvre is on ze left !»

Interdit, effectivement, de passer par la place du Carrousel pour se rendre vers le plus célèbre musée du monde si l’on n’y travaille pas. «Comment j’aurais pu savoir, moi je n’ai pas Internet», remarque un jeune passant en montrant son vieux téléphone. On tente de recueillir les impressions d’un cycliste refoulé par le barrage : «Mais ferme ta gueule toi, j’ai du travail putain !»

Un peu plus à l’ouest, une autre passante maugrée devant les barrières qui la séparent de la voie olympique de Rivoli : «Je ne reconnais plus ma ville… Heureusement que je pars pour l’été.» Pas l’avis de Marie-Claire, septuagénaire au brushing impeccable et polo tricolore. Elle estime qu’«il faut être vraiment teubé… Euh, idiot pour ne pas comprendre les consignes.» Elle loue des policiers «souriants, gentils, aimables», qui assurent son passage vers la passerelle Léopold-Sédar-Senghor, le dernier corridor qui permet de traverser la Seine sans QR code avant le pont Notre-Dame, deux kilomètres plus loin. Ensuite, pour traverser la Seine, il ne reste que les ponts de Sully, et pour finir, tout à l’est, le pont Charles-de-Gaulle.