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Libération
Paris 2024

Judo : reprise en douleur pour Ugo Legrand

Le forfait annoncé ce jeudi 16 novembre par le judoka normand, à 48 heures des championnats de France est une douche froide tant pour l’athlète que pour une certaine idée de la discipline.
Ugo Legrand le 24 juillet 2023, à Montpellier. (Frederic Lancelot /Presse Sports)
publié le 16 novembre 2023 à 16h44

Et soudain l’éclipse. A nouveau, avec ce forfait annoncé ce jeudi 16 novembre pour les prochains championnats de France de judo. Comme ce 8 octobre 2015 où, à 26 ans, Ugo Legrand officialisait déjà, brutalement, sa première retraite. Derrière son sourire taillé pour dispenser des leçons de vie à la guitare au coin d’un feu sur la plage d’Ipanema, «Victoire Ugo» laisse surtout le souvenir d’un judo «rogerfederesque», tout en arabesques et en sensations. Son palmarès ferme bien des bouches et lui vaut ce surnom éloquent de «Monsieur Jour J» – sept médailles en -73 kg dont un titre continental et une médaille de bronze aux JO de Londres en 2012. «Je n’avais plus ce feu», résume-t-il.

S’ensuivent huit années de silence, passées en Californie dans le sillage de sa compagne maquilleuse. Il surfe, masterclasse, start-uppe, voyage d’Amérique latine en Polynésie, enseigne à Santa Monica, retape et revend des meubles au marché aux puces de Los Angeles puis se reconvertit en décorateur de plateau. «Le haut niveau, il faut le vivre intensément puis vite en sortir pour se rendre compte que c’est une niche. Tant d’autres challenges t’attendent dans la vraie vie !» Mi-juin 2023, pourtant, il annonce qu’il revient, à 34 ans. Pourquoi ? Comment ? A Noël 2022, estimant avoir fait le tour de leur aventure étatsunienne, les Legrand rentrent à Paris et se régalent professionnellement. En juin, Paco, le frère aîné d’Ugo, qui a repris près de Rouen les rênes du fief familial de Grand-Quevilly, est de passage à Paris pour accompagner un élève à l’Insep. «Allez, viens, passe une tête !» exhorte-t-il, encore redevable à son surdoué de frangin d’être venu en 2017 en Sardaigne le coacher sur le circuit vétéran.

Rare défi

Sur place, les quelques combats «pour le fun» du fils prodige réveillent Audrey Tcheuméo. Caustique, la multimédaillée planétaire et continentale chambre Dany Fernandes, coach historique de Legrand. «Eh ben tu vois, tu l’as trouvé ton -73 kg pour les Jeux.» La phrase fait allusion au manque de leadership clair dans une catégorie qui s’avère cruciale également lors de l’épreuve par équipe mixte. A quoi Fernandes répond : «Ça, c’est à lui seul d’en décider.» Cette phrase du mentor de ses belles années fait gamberger Legrand pendant quarante-huit heures.

Paris 2024 est dans moins de 400 jours. En tant que pays hôte, il y a une place garantie dans chaque catégorie. Le défi est de taille, et rare. En 2014, Annabelle Euranie avait retrouvé l’équipe de France après deux maternités et huit ans de break. En 2022, la néo-Américaine Maria Célia Laborde a renoué à l’international huit ans après son exil de Cuba. Record absolu : Lee Won-hee, champion olympique 2004, s’est présenté en juin 2023 en Grand Chelem à 41 ans, seize ans après sa retraite, «pour inciter les jeunes Coréens à rester “fit”». Legrand sonde quelques proches, s’assure de ne pas se mettre en porte-à-faux avec le staff fédéral, caste sa garde rapprochée, et se lance.

Los Angeles 2028 en ligne de mire ?

L’effet de levier est chavirant. Pour sa fédération, en manque de visibilité et de têtes de gondole masculines, cette opération commando est une aubaine de storytelling. Réathlétisation estivale, stages à Vichy, Madrid, Valence ou Turin pour se dé(ver)rouiller les freins mentaux, et deux tournois de rodage à Prague et Malaga lui tiennent lieu autant de madeleines de Proust que de cahiers d’un retour au pays natal. Les championnats de France de ce 18 novembre à Caen, où son visage domine tous les autres façon mont Rushmore sur les affiches promotionnelles 4x3, sont son meilleur viatique vers l’international… même s’il a l’intelligence de se ménager un plan B de tournois annexes au cas où. «Après c’est à moi d’assumer et de performer au moment où ça compte» – sa marque de fabrique depuis toujours.

Le défi est immense, mais Radio Vestiaires est formelle : le judo n’est la voie de la souplesse que loin du haut niveau. «La compète, c’est rude», s’inquiètent nombre de connaisseurs. Dans la dernière ligne droite, l’épaule d’Ugo Legrand le lâche. Trop d’attentes à porter en trop peu de temps. Voici son rêve de retour de flamme olympique décalé de quelques semaines… ou de quelques années. «Ugo a vécu huit ans en Californie, rappelle son frère Paco, et il a désormais la double nationalité franco-américaine. Les Jeux de Los Angeles en 2028 ? Je ne mettrais pas ma main à couper qu’il se contente de les regarder à la télé…»