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Santé

Le fart au fluor, un poison «éternel» dans le ski nordique

Dans une enquête, «l’Equipe Explore» révèle ce mercredi les dangers pour la santé des perfluorés utilisés sans protection pendant des années par des techniciens du matériel de ski de fond.
L'Equipe révèle l'extrême dangerosité pour la santé d’un produit utilisé pour le fartage, par des professionnels mais également par des amateurs : les perfluorés (PFAS) (Lahalle/PRESSE SPORTS) (Lahalle/PRESSE SPORTS)
publié le 11 novembre 2021 à 14h39

Dans le monde du ski de compétition, le fart, qui consiste notamment à rendre les spatules plus glissantes, est un procédé essentiel dans la performance. On farte ses skis comme on les chausse. Et plus encore en biathlon et en ski de fond, où l’on parcourt plusieurs kilomètres pendant les courses. L’Equipe Explore, la déclinaison documentaire du journal sportif, révèle dans une enquête ce mercredi l’extrême dangerosité pour la santé d’un produit utilisé pour le fartage, par des professionnels mais également par des amateurs : les perfluorés, souvent désignés sous le sigle PFAS, un «composé chimique [et] poison dit éternel puisque ni le corps, ni l’environnement ne savent comment s’en débarrasser».

Dans sa longue enquête, l’Equipe revient sur les origines de ces farts au fluor et décrit un univers où les techniciens deviennent de vrais chimistes. Où, durant des années, les sous-sols des hôtels de stations de skis lors des compétitions, comme les garages d’amateurs, s’embrument de vapeurs de farts, sans qu’aucune protection ne soit ni obligatoire ni même suggérée.

Le fart au fluor est apparu, via la marque Swix, dans le cirque blanc au milieu des années 80, et devient un produit miracle dans les mains de l’Italien Paolo Manfredini lors du championnat du monde d’Oberstdorf, en 1987, où les Italiens remportent des succès inattendus. Manfredini mourra d’un cancer du poumon en 2001. Son disciple Gianluca Marcolini, interrogé par l’Equipe, ne sait pas si un lien existe entre le fartage et le cancer de Manfredi, mais évoque l’absence de précautions aux débuts de l’utilisation de ce produit : «A l’époque, personne ne pensait que ça pouvait être dangereux. Tout le monde fartait sans protection, sans masque. Ça a duré comme ça au moins dix ans.» Stefano Vuerich, autre technicien italien, décrit les conditions de travail de l’époque : «Dans la cave de notre hôtel, ça fumait, on se croyait en enfer. On ne pouvait rien voir à l’intérieur de la pièce !»

«On va en crever de ça»

Daniel Drezet, ancien fondeur et entraîneur de l’équipe de France de ski de fond, a lui subi un AVC après une longue session de fartage en 1990. Il se rappelle : «Quelques mois avant mon accident, j’avais dit à un collègue : “On va en crever de ça”.» L’Equipe pose d’ailleurs cette question : «Combien sont les malades qui gardent le silence ?»

En 2020, la Fédération internationale de ski a pris la décision d’interdire le fart fluoré, afin de suivre une recommandation de l’Union européenne concernant les PFAS, une mesure reportée pour cause de pandémie d’absence de développement complet d’outils pour le contrôle. Depuis de nombreuses années déjà, la Fédération française de ski invitait de son côté les clubs à éviter son utilisation et équipait ses techniciens d’un masque à gaz.

L’année dernière, dans une enquête, Libé révélait que si les perfluorés, substances présentes entre autres dans des mousses, revêtements ou cosmétiques, ont été signalés comme dangereux dès 2009, aucune action n’est menée en France pour limiter la contamination de la population ainsi que des grandes rivières françaises.