En publiant ces témoignages, Libération poursuit son aventure éditoriale avec la Zone d’expression prioritaire, média participatif qui donne à entendre la parole des jeunes dans toute leur diversité et sur tous les sujets qui les concernent. Ces récits, à découvrir aussi sur Zep.media, dressent un panorama inédit des jeunes en France. Retrouvez les précédentes publications.
«Le foot, c’est partout»
Bakary, 14 ans, collégien, Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis)
«Le foot, c’est partout. Je peux jouer en bas de mon bâtiment avec mon petit frère. Je peux construire le terrain avec des branches d’arbre, des cailloux que je ramasse par terre ou des habits pour faire les poteaux. Je fais ça souvent quand j’ai la flemme d’aller jusqu’au terrain. Je mets soit mon manteau soit mes chaussures (je joue pieds nus), et tout le monde fait pareil. Les gens qui ne veulent pas mettre leurs vêtements, je leur interdis de jouer. Comme on dit : “Tout le monde pose.” J’ai abîmé beaucoup d’habits en faisant ça. Pour les dimensions du but, je compte cinq pas. Des fois, je triche, je rétrécis mes cages.
«Du foot, j’en fais aussi dans le couloir de ma maison. J’ouvre la porte de la chambre au fond et je me mets à l’autre bout. J’essaie de tirer la balle pour qu’elle rentre dans la chambre. Ça, je le fais quand il fait trop froid dehors. Je l’ai fait aussi pendant le confinement, même si ma mère me criait dessus parce qu’elle avait peur que je casse des choses. Elle me disait que si je cassais, c’était moi qui allais repayer ou qu’elle allait me taper. Mais c’était juste des menaces. Bon, c’est vrai que j’ai cassé le grand miroir accroché au mur du couloir. Ma mère était tellement en colère qu’elle voulait me frapper, mais mon père m’a protégé. Du coup, j’ai enlevé ce terrain de mon programme.
«Je joue aussi dans les parkings avec mes potes, comme dans le dessin animé Foot2Rue, surtout les aprems, avant de repartir à l’école, et parfois à la fin de la journée. Pour entrer, on attend qu’une voiture arrive et on la suit tout doucement. On passe derrière discrètement, sinon, si quelqu’un nous voit, il nous fait sortir. Au parking, on ne fait pas de match, juste des dribbles. Quand on joue, il n’y a pas de limite. Et ça se passe toujours mal, car on finit par casser des vitres ou des rétroviseurs. Souvent, on se fait sortir. Un jour, on a cassé une voiture. C’est un de mes potes qui a tiré sur la vitre. Après ça, on a tous couru. Je suis tombé et je me suis écorché le bras. Je joue aussi sur des terrains de foot. Juste en bas de chez moi, il y a le terrain bleu. A chaque fois que j’y suis, soit je vois des papas avec leurs enfants, soit des grands de la cité, soit mes potes qui y sont déjà. Quand je les rejoins, on fait des matchs, des vrais… ou alors on s’assoit et on parle.»
«De quoi de me tenir sur un pied d’égalité»
Sayeh, 22 ans, étudiant, Villeparisis (Seine-et-Marne)
«Lâcher le poignet, tirer et retenter. Ces gestes, je les ai répétés un nombre incalculable de fois. Mais, ce jour-là, c’était un match pas comme les autres. Dès la première période, j’ai rentré un trois points, un tir longue distance, ce que je ne fais pas d’habitude. Ça nous a donné l’avantage et ça m’a donné la confiance. J’ai aidé mes coéquipiers, j’ai fait quelques actions déterminantes avec des interceptions décisives, je me suis vraiment exprimé sur le terrain ! Je me souviens de ce premier match de basket avec mes potes, un après-midi d’été en 2017 sur le terrain de Sevran. J’étais en sueur mais heureux. Pour la première fois, je me sentais bon à un sport avec des valides alors que je suis né avec un handicap à la jambe gauche qui me fait boiter. Le syndrome de Little.
«Au départ, j’étais plutôt fan de foot. Mais ce sport me ramenait toujours à mon infériorité, car j’ai du mal à coordonner les mouvements de mes jambes. Au foot, j’ai l’impression de jouer comme un pantin désarticulé. J’ai découvert le basket en EPS au collège. Au début, je n’étais pas très bon, mais j’étais déjà meilleur qu’en foot. J’ai commencé à jouer tout seul, à tirer sans utiliser mes jambes mais plutôt la force de mes bras. J’ai regardé beaucoup de vidéos de coaching. Au bout de cinq mois, j’ai joué en équipe.
«Maintenant, je joue deux à trois fois par semaine avec mes amis ou ma famille sur un terrain près de chez moi. Vu que je n’ai pas les mêmes qualités physiques, je mise sur la stratégie, c’est-à-dire que je joue avec ma tête. J’analyse le terrain sans le ballon. Je fais des écrans pour empêcher le joueur adverse de passer et créer des occasions pour mon équipe. En jouant avec les valides, je montre mes capacités défensives et je prouve à mon équipe que je peux être fiable au-delà de mon handicap. Ce sport m’a permis d’avoir un meilleur contrôle de mon corps et de mes mouvements. De quoi de me tenir sur un pied d’égalité. Ça a fait évoluer ma vision du sport collectif en prenant en compte les particularités de chacun de mes coéquipiers. Mon handicap n’est plus une faiblesse, je le vois comme une autre manière d’appréhender le sport.»
«Un corps à sculpter»
Wallison, 17 ans, lycéen, Dammarie-les-Lys (Seine-et-Marne)
«Avant, j’étais mince et faible. Je n’aimais pas mon corps. Pour moi, un beau corps, c’est un corps avec plus de définition et peu de graisse. Alors un jour, il y a deux ans, je suis allé à la salle de sport avec mon oncle. Lui est musclé car il va à la salle cinq fois par semaine. Je savais que ma génétique était bonne et que j’obtiendrais des résultats rapides. Mon oncle m’a payé l’abonnement et il m’a donné des conseils. Il m’a appris à m’entraîner et à faire des exercices. J’en fais maintenant cinq fois par semaine. C’est beaucoup, mais nécessaire pour obtenir de bons résultats. Je préfère m’entraîner quand il n’y a pas beaucoup de monde. Moins il y a de gens, moins il y a de bruit, et mieux c’est. J’entraîne ma poitrine, mes bras et mes jambes. J’ai fait beaucoup d’entraînements pectoraux. Ce sont mes préférés. Je fais aussi mes séances de musculation à la maison, en faisant des exercices pour les bras et la poitrine. Je m’allonge sur le sol, je ramasse les haltères et je fais du développé couché.
«Mon alimentation a aussi changé. Mon menu : œufs, poulet, couscous, smoothie à la banane. Manger plus pour gagner plus de masse musculaire. Je bois aussi plus d’eau. C’est difficile au début mais, avec le temps, je me suis habitué. Certains de mes amis ont été inspirés par moi. Deux d’entre eux font de la musculation. Je leur ai appris quelques exercices notamment pour les biceps. Nous faisons des entraînements ensemble. Il y a de l’entraide entre nous. J’apprécie ces moments. C’est amusant, on rit beaucoup. Aujourd’hui, j’ai progressé en termes de prise de poids. J’ai pris 4 kg et je fais 52 kg. Je suis devenu plus fort. J’aime davantage mon corps, même s’il n’est pas toujours comme je le souhaite. Je veux toujours avoir plus de muscles et plus de définition. “N’arrête pas d’évoluer !” C’est le message que j’aimerais envoyer à mon corps.»
«Le city stade de mon enfance»
Assiatou, 18 ans, étudiante, Nanterre (Hauts-de-Seine)
«Le city stade de Nanterre, c’est le city de mon enfance. Quand j’y repense, plein de souvenirs remontent à la surface : l’odeur du béton et de la sueur, les cris des enfants, le bruit du ballon de basket, le contact du ballon de football et du crampon… C’est l’endroit où j’ai passé le plus de temps en été. J’ai commencé à y aller à 9 ans. Je m’éclatais autant avec les filles qu’avec les garçons. A cet âge, je me souciais moins du genre. Je voulais juste gagner. Je me souviens d’un vendredi où j’ai joué au football avec un groupe de jeunes garçons. Ils m’ont bien accueillie. Après que j’ai marqué un but, certains m’ont checkée. Un autre jour, j’ai rencontré un basketteur pro qui m’a enseigné des techniques de dribble. J’en étais tout excitée.
«A partir de 11 ans, les filles se sont faites rares. Mes copines ne voulaient plus y aller. Plus je jouais avec les garçons, plus je me blessais. Je rentrais avec des égratignures aux coudes et aux genoux, ou des bleus aux tibias. Parce que j’aimais jouer au city stade, je me demandais : est-ce que je suis un “garçon manqué” ? J’en arrivais à me dire que les city et le sport en général étaient pour les garçons.
«A 12 ans, mon attachement aux activités sportives m’a isolée des autres filles qui refusaient de jouer au ballon. Elles me tenaient à l’écart des discussions sur la féminité. Pourtant, ça m’intéressait. Pour elles, je ne pouvais pas aimer les deux. Comme je me sentais écartée de mon groupe de copines, je suis de moins en moins allée au city. Peu à peu, j’ai perdu le goût de jouer là-bas. A la place, je me suis inscrite dans l’équipe féminine de basket de mon collège.
«Cette séparation d’avec les garçons et le city m’a rassurée. Je me disais que je trouverais peut-être ma place en tant qu’adolescente. D’un autre côté, je me sentais un peu étrangère face à la mentalité d’une grande partie des filles de mon âge. Elles comparaient leurs physiques, leurs attitudes… Je préférais la vraie compétitivité que j’avais connue sur le terrain !
«L’été de mes 16 ans, je suis sortie faire une balade à vélo avec mon frère de 9 ans et ma sœur de 11 ans. Nous sommes passés devant le fameux city. Plein d’enfants jouaient. Leurs parents étaient assis sur des blocs de pierre. Mon petit frère voulait absolument y aller. Cet épisode a marqué mon retour au city stade de Nanterre.
«Aujourd’hui, j’ai 18 ans. Je continue à y aller avec mon frère et ma sœur pour m’amuser et passer du bon temps. Quand je garde des petits, j’y vais même pour jouer au foot avec eux. Je les regarde s’amuser : les filles, elles, font plutôt de la corde à sauter à côté, il n’y a pas vraiment de mixité. J’ai l’impression qu’il y en a moins que quand j’étais petite. Ou alors ce sont mes souvenirs d’enfant qui sont erronés car j’étais concentrée sur mon envie de jouer.»
«Je suis comme un montagnard de Paris»
Yasser, 19 ans, étudiant, Paris
«Un soir, en été, je me suis retrouvé en galère à Paris. Je cherchais une solution pour combler mon ennui et, d’un coup, un pote m’a proposé d’aller sur les toits. On est rentrés dans un immeuble, on est montés, on a activé une trappe d’accès pompiers et elle s’est ouverte. Arrivé là-haut, je suis resté bouche bée. Je voyais Paris du haut de mon promontoire, la nuit, pour la première fois. Ça me donnait des frissons. Je regardais le plus loin que je pouvais les bâtiments haussmanniens. Je regardais la rue, les lumières, et le ciel, bleu marine à la limite du rose clair. C’était tellement magnifique que j’ai versé une larme. Je suis resté jusqu’au lever du soleil. J’étais collé aux toits. Le début de ma passion pour l’urbex.
«L’urbex, c’est mon sport. C’est de l’exploration. C’est au jour le jour. A l’instinct. Je ne prends pas la peine de me préparer. C’est l’intuition qui me dit qu’il y a quelque chose à explorer. Je grimpe tout ce que je peux. Les petites maisons des enfants dans les parcs, les loges des gardiens, les grillages des parcs, les toits d’immeuble et le Lidl de mon quartier… je fais des parcours dans la dalle des Olympiades, où j’habite. Le truc le plus dingue, c’est de monter sur le toit d’un immeuble de ma cité qui fait 27 étages. Je ne fais pas de repérages. Je me balade, je vois le quartier tellement beau que je me dis qu’en haut il doit être encore meilleur. Je rentre dans un bâtiment derrière une personne et je monte sur les toits. C’est un mélange d’excitation, d’adrénaline et de passion pour la beauté des paysages. Les toits de Paris, j’en ai une obsession. Chaque toit est différent. Tout le monde peut grimper, mais il y a des choses à apprendre. Il faut savoir se réceptionner avec les jambes, sur les doigts de pied, pas sur les talons, bien orienter ses mains, gérer sa force, analyser la distance. Ce sport me fait dépasser mes limites.
«Je me suis souvent fait peur. Aller dans l’interdit, ça fait partie de l’excitation. Plein de fois, on m’a pris pour un voleur. Je me suis déjà fait attraper par des gardiens. Mais pour l’instant j’ai réussi à esquiver la police. Le sport, c’est fait pour libérer d’un poids intérieur. Là, je vais à la recherche. Je vais chercher l’endroit qui me permettra de voir l’horizon. Je suis comme un montagnard de Paris. Mais les prises ne sont pas les mêmes qu’à la montagne. D’ailleurs, j’ai envie de monter les Alpes. Je n’ai jamais été à la montagne.»
«Plutôt mentir que courir»
Khadija, 15 ans, collégienne, Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis)
«Comme tous les vendredis, je ne voulais pas aller au club de judo. J’étais fatiguée. J’avais travaillé toute la semaine. J’ai essayé de trouver un arrangement avec mes parents, mais ils n’ont rien voulu entendre. Alors, j’ai trouvé un accord avec ma sœur. Elle aussi avait la flemme d’y aller. Si j’avais menti toute seule, elle m’aurait balancée. En plus, elle aime bien mentir et elle est douée pour ça. Elle a donc commencé à me proposer des mensonges. Je l’ai payée, évidemment. Seulement 2 euros (elle est facile à acheter). Et on a trouvé un joli mensonge : on a dit que le club était fermé. Ce n’était pas la première fois qu’on rusait ensemble. A la séance d’après, on a dit que le coach avait le Covid. Finalement, on n’y est pas allées pendant trois semaines. Grâce aux idées de ma sœur. Mes parents ne pouvaient pas vérifier car ils n’avaient pas le numéro du prof. Petit à petit, ils ont oublié que j’avais judo. Ils avaient aussi compris qu’on n’aimait pas y aller. Je n’irais pas jusqu’à dire que je déteste le sport… seulement que je m’en passe sans difficulté.»