S’il fallait n’en retenir qu’un, parmi la foultitude de «match du siècle» que la boxe a produits, ce serait celui-ci devenu le mythique «Rumble in the Jungle», en 1974 à Kinshasa. Parce que l’un des protagonistes était Mohammed Ali. Parce que la «mise en scène» fut grandiose, orchestrée devant près de 100 000 personnes par le chef d’Etat à la toque en fourrure de léopard Mobutu Sese Seko. George Foreman en fut le perdant. Dominé sur le ring par Ali et humilié au-dehors par un adversaire alors en pleine renaissance pugilistique et au sommet de son charisme. Il est mort dans la nuit du 21 au 22 mars 2025 à 76 ans
Ce fameux «combat dans la jungle» démarra bien avant que les deux hommes croisent les poings sur le ring du Stade du 20-mai. Tout au long d’une préparation à rallonge Ali n’eut de cesse de se présenter comme «l’Africain» de ce combat contre un Foreman traître à ses origines. Ce soir-là, Foreman avait un adversaire entre les cordes, et des dizaines de milliers autour qui hurlaient, survoltés, «Ali, bomaye !» (Ali, tue-le). La mort fut lourdement symbolique. Foreman s’épuise à asséner de coups dans les cinq premiers rounds un opposant, qui, en maître tacticien, se réfugie dans les cordes pour mieux revenir en force et terrasser son adversaire mis KO 8e round. «Ça a anéanti ma vie, de haut en bas. Je n’arrivais même plus à dormir, je pensais que je n’étais même plus un homme», confiait Foreman des années après ce combat dont Leon Gast tira, en 1996, le formidable documentaire When we were kings et sur lequel Norman Mailer écrivit le Combat du siècle
C’est ainsi que s’arrêta dans la nuit zaïroise la première carrière du «bad boy» Foreman, né le 6 janvier 1949 dans une famille miséreuse. Sa mère l’élève quasi seule dans le Fifth Ward, le ghetto noir de Houston, avec un compagnon peu présent car employé des chemins de fer. George n’a aucun contact avec son père biologique, un militaire, et devient vite une terreur de cour d’école. Il n’échappe à la délinquance que grâce à un stage pour jeunes défavorisés qui lui fait rencontrer Doc Broadus, son premier coach, qui l’initie à la boxe à 15 ans.
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Du haut de son mètre 91, Foreman, parfait inconnu, devient champion olympique à seulement 19 ans, en expédiant le Soviétique Jonas Cepulis en finale des Jeux olympiques de Mexico de 1968 en seulement deux rounds. En 1973 il devient champion du monde des lourds, infligeant sa première défaite à Joe Frazier, pourtant tombeur d’Ali, au terme de deux rounds à sens unique. Avec sa garde éloignée, son allonge et surtout sa puissance inouïe de frappe, il envoie six fois son adversaire au tapis avant que l’arbitre n’arrête le combat.
C’est avec les mêmes ingrédients qu’il conserve son titre sans problème contre José Roman (KO au 1er round) et Ken Norton (au 2e round), l’autre tombeur d’Ali, avant… la chute à Kinshasa, dont il ne se remet pas. Il multiplie les aventures avec des femmes - dont naîtront de nombreux enfants - et dispute encore quelques combats, jusqu’à une deuxième défaite, contre Jimmy Young, qui le persuade de raccrocher les gants et d’entrer… en religion. Il n’a que 28 ans.
«Foreman regardait ses démons dans les yeux»
L’argent finit par manquer. Foreman, qui n’a plus combattu depuis dix ans, tente le pari fou de remonter sur le ring en 1987. Celui qui est désormais surnommé «Big George» pour son embonpoint impressionne en remportant 24 combats consécutifs. Il brigue une première fois le titre de champion du monde contre Evander Holyfield en avril 1991 et ne perd qu’aux points. Mais il est allé jusqu’au bout du combat, lui qui fut déchu à cause de son manque d’endurance. Même sort en juin 1993 contre Tommy Morrison.
Le 5 novembre 1994 à Las Vegas, à 45 ans, il parachève enfin son come-back fou. D’une droite précise au 10e round, il envoie au tapis Michael Moorer, 20 ans après sa défaite contre Ali. Point superstition : il portait le même short. «Il y avait là un homme qui affrontait son passé. Il ne fuyait pas ses vieux démons, il les regardait les yeux dans les yeux. J’étais effrayé», racontera l’entraîneur de Moorer, Teddy Atlas. Foreman devient alors le plus vieux boxeur champion du monde poids lourds. Il défend même sa ceinture IBF avec succès contre Axel Schulz, avant d’arrêter définitivement fin 1997, à 48 ans. Sa troisième carrière sera celle d’un homme d’affaires ayant fait fructifier son image en l’associant à des marques, notamment de grill, qui lui ont rapporté plus que tous ses combats.