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Libération
Vigilance blanche

«On est de la chair à canon» : «Miraculé», Cyprien Sarrazin veut plus de sécurité sur les pistes de ski

Le double vainqueur de la mythique Streif en 2024, ressorti sans séquelles d’une terrible chute il y a onze mois, ne sait toujours pas s’il reprendra un jour la compétition. Il interpelle les instances sur le manque de sécurisation des pistes.

Cyprien Sarrazin à Marseille, le 3 mars 2025. (Christophe Simon/AFP)
Publié le 03/10/2025 à 17h02, mis à jour le 03/10/2025 à 17h08

Comment rendre le ski à très haute vitesse plus sûr ? Cyprien Sarrazin, l’un des skieurs les plus rapides et casse-cou au monde, pose la question en convoquant son histoire récente. Encore en convalescence, onze mois après sa terrible chute sur la Stelvio, la piste de Bormio que dévaleront les athlètes lors des prochains Jeux de Milan-Cortina d’Ampezzo, Cyprien Sarrazin est revenu doucement sur cet accident qui aurait pu virer au drame - il s’en est tiré avec une grosse commotion cérébrale -, et alerte les officiels de son sport sur la dangerosité des pistes et le trop peu de précautions prises.

«On m’avait dit que j’étais miraculé… C’est un miracle que tu sois là, etc, etc.” C’est un mot qui sonne bien. Miracle, miracle, miracle… Je le dis tout le temps, mais en fait je n’avais pas compris», livre un Cyprien Sarrazin très ému, lors d’un entretien accordé à l’AFP jeudi 3 octobre et organisé chez son équipementier à Saint-Jean-de-Moirans (Isère).

Regard dans le vague, yeux embués, le double vainqueur de la mythique descente de Kitzbühel en janvier 2024 est encore loin de pouvoir envisager un retour à la compétition. Mais le Français va mieux : un temps gêné aux yeux, il ne garde plus aucune séquelle neurologique et a pu reprendre une vie normale qui lui permet d’envisager, à terme, un potentiel retour sur le circuit.

Seuls les genoux, qui l’ont déjà handicapé par le passé, restent un point critique. «Mais c’est très connecté à mon bien-être mental. Quand j’ai trop mal, je pars quasiment en dépression, et à l’inverse, quand je suis bien dans ma tête, ça va mieux physiquement», expose l’athlète du Devoluy. «Mais là, avec tout ce qu’il s’est passé, ça ne revient pas facilement.»

«Ça remue beaucoup de choses»

A 30 ans, Sarrazin assure qu’il rêve toujours «de vitesse, de compétition et d’adrénaline» et qu’il n’entend pas «cette petite voix» qui lui intimerait d’arrêter. Malgré tout, il admet aussi avoir pris une gifle en apprenant la mort mi-septembre au Chili de l’Italien Matteo Fransozo (25 ans), victime d’une commotion similaire à la sienne.

«Heureusement, je n’étais pas seul quand c’est arrivé», a réalisé le Français. «D’un coup, c’est comme si je ne pouvais plus parler, j’ai été débordé par les émotions. Rien que d’en reparler, j’ai les larmes qui montent et la gorge qui se serre.» Il poursuit : «Ça m’a mis devant le fait accompli. J’ai pris conscience que moi, j’ai eu une bonne étoile. C’était exactement la même situation que lui, mais lui ne s’en est pas sorti.»

La mort de Fransozo «m’a vraiment impacté plus que ce que je pensais, ça remue beaucoup de choses en moi», admet Sarrazin. «Il y a eu de la colère aussi. Je dis que je n’ai pas de séquelles post-traumatiques, mais ça montre bien qu’il y a quand même quelque chose qui bloque.»

Remises en question

Le drame a aussi relancé le sujet déjà brûlant de la sécurité sur le circuit, de nombreux athlètes appelant la Fédération internationale (FIS) à prendre des mesures pour prévenir les accidents graves, fréquents dans un sport qui va toujours plus vite. «On est de la chair à canon», souffle Cyprien Sarrazin. «Et on n’a pas envie d’être le prochain qui fera avancer les choses. On aimerait que ça avance avant qu’on soit les prochains.»

La FIS a assuré vouloir «intensifier le dialogue» sur la sécurité tandis que la Fédération italienne a proposé de limiter le nombre de pistes d’entraînement dans le monde afin que les pistes choisies soient sécurisées par la FIS. De son côté, Sarrazin sait que les solutions ne sont pas toutes évidentes, mais regrette l’absence «d’échanges» et de «remises en question».

«Si déjà ils étaient venus me demander : Comment ça va ? Qu’est-ce que tu penses de ta chute ? Comment tu l’as vécu ?”… Ce serait peut-être pas mal de venir demander aux mecs qui ont vécu ces problèmes comment ils voient les choses. Mais ça n’a pas été le cas, pas directement en tout cas», a regretté le natif de Gap. «Je ne blâme personne, tempère-t-il. Nous aussi les athlètes, on a longtemps laissé traîner. Mais il y a mieux à faire. On parle de vies humaines et il n’y a plus de procrastination à avoir.»