Assez scrupuleusement respecté depuis le début de l’épreuve, le protocole de la Coupe du monde de rugby veut que le coach et le capitaine de l’équipe qui vient de perdre le match se présentent en premier en conférence de presse (avant de laisser ensuite la place à leurs homologues adverses), trente minutes après le coup de sifflet final. Or, il aura fallu poireauter quasiment une heure pour que Fabien Galthié et Antoine Dupont ne daignent s’asseoir sur l’estrade, dimanche soir après l’élimination des Bleus face à l’Afrique du Sud, afin de répondre aux questions des journalistes. Pour la première fois, les deux hommes, habitués à commenter les victoires, se retrouvaient ainsi à débuter une autre épreuve, médiatique celle-là, dont nul ne doute qu’elle devait tenir à leurs yeux de la corvée, du supplice peut-être même. Car c’était aussi la dernière fois qu’on les entendait s’exprimer, en qualité de participants d’une compétition qu’ils s’étaient fixé comme objectif de remporter – une épiphanie qui, de facto, les aurait transformés, eux et leurs comparses, en héros éternels d’un rugby français toujours en quête d’un sacre planétaire.
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Le rêve semblait parfaitement réaliste, au vu des performances tricolores depuis quatre ans (rappelons qu’au coup d’envoi, les Bleus occupaient la deuxième place du classement mondial et que la veille, au même endroit, l’Irlande, en pole position, s’était faite brutalement éjecter par la Nouvelle-Zélande) et de l’extrême minutie avec laquelle le groupe avait préparé un parcours qui, dans son esprit, devait se poursuivre jusqu’au 28 octobre, date de la finale. Seulement voilà, il fallait pour cela se débarrasser d’abord de l’Afrique du Sud, tenante du titre (et déjà triplement couronnée), dont le retour en grâce avait néanmoins été douché en poule par une défaite face à l’Irlande.
«Dur et excitant à la fois»
Première du groupe A, face au deuxième du groupe B, la France (à savoir, l’équipe, mais aussi tout ce public) se doutait bien que le match ne serait pas une sinécure. S’imaginait-elle pour autant plier bagage dès ce quart de finale ? Assurément pas. A 28-29, on peut estimer la défaite méritoire, elle n’en est surtout que plus cruelle quand on se repasse le film. La confrontation aurait pu basculer d’un côté ou de l’autre, mais, contrairement à plusieurs matches tricolores très indécis ces dernières années, n’a pas souri aux Bleus habitués d’avoir la baraka.
Absolument héroïque dès le coup d’envoi, le talonneur toulousain, Peato Mauvaka, remplacé à la 64e minute, raconte la dernière action : «C’était dur et excitant à la fois. On essaie de remonter tout le terrain. Il y a beaucoup de temps de jeu. Nous parvenons à garder le ballon, en espérant sans doute que l’arbitre va finir par pénaliser l’équipe adverse [et ainsi donner une pénalité à la France, qui, réussie, aurait été synonyme de victoire à l’arraché, ndlr]… Et ça ne s’est pas fait.» Game over.
L’arbitrage incriminé par Dupont
Eparpillés sur la pelouse, les joueurs français sont restés prostrés. La défaite était certes possible, mais pas autant qu’impensable. D’où cette gigantesque désillusion, qu’aucuns mots – pas même évidemment ceux du président de la République, qui tentera d’embaumer le vestiaire dévasté – ne sauraient panser. «Il faut garder en tête l’état d’esprit d’un groupe ayant décidé de ne rien lâcher jusqu’à la fin, mais ça n’a pas suffi», modulera, fataliste, Grégory Alldritt, parmi les rares gladiateurs, dans les entrailles d’un Stade de France prestement déserté, à concéder l’ultime effort d’une réaction post mortem.
Avec plus d’élégance, en tout cas, qu’Antoine Dupont. Avant le troisième ligne du Stade Rochelais, le capitaine courage, bien qu’à peine remis de cette fracture à la pommette, qui avait généré mille et une spéculations, avait, peut-être sous le coup de l’émotion, incriminé explicitement l’arbitrage (une marotte française, qui néanmoins épargne souvent le rugby) du Néo-Zélandais Ben O’Keeffe, tout en saluant la performance sud-africaine : «Je pense que certaines choses claires et évidentes à siffler ne l’ont pas été.»
«Respect et fair-play»
Une voie que Fabien Galthié, élégant dans son analyse, a veillé à ne pas emprunter, précisant même qu’avec la vidéo, il y a désormais tout un pool d’officiels aptes à prendre des décisions en toute connaissance de cause : «Je n’irai pas sur ce terrain-là. Je comprends la position des joueurs car il y a beaucoup d’émotions qui ne sont pas faciles à digérer. Mais surtout bravo à l’Afrique du Sud et à leur staff. Respect et fair-play.»
Hormis ce point éclairci, comme il évoquera les fameux «faits de jeu» (très nombreux dans cette rencontre de haut niveau riche en péripéties, rebondissements et coups d’éclat) qui parfois scellent un destin, le sélectionneur – qui a précisé être toujours sous contrat avec la Fédération française de rugby jusqu’en juin 2028 – avait commencé son oraison de la manière suivante : «Je pense d’abord à nos supporteurs, à nos familles et à ces gens qui croient en nous au quotidien, au staff, aux joueurs.» Un présent de l’indicatif pour la narration d’un mythe que, dorénavant, ce XV de France ne pourra désormais accorder qu’au passé composé.