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Dysfonctionnements

Coupe du monde de rugby 2023 : des «défaillances majeures» pointées par la Cour des comptes et une Fédération exsangue

Coupe du monde de rugby 2023 en Francedossier
Un rapport de la juridiction financière publié ce mardi 8 avril dénonce un manque de contrôle de la part de l’Etat, notamment auprès du comité d’organisation, ainsi que des pertes financières préjudiciables à la Fédération de rugby.
Un ballon de la Coupe du Monde Rugby 2023, lors du match Japon-Chili à Toulouse, le 10 septembre 2023. (Photo /ABACA)
publié le 8 avril 2025 à 11h41
(mis à jour le 8 avril 2025 à 20h03)

La Coupe du monde 2023 a été un succès populaire, la chose fait consensus. Mais en coulisse, l’organisation a souvent été critiquée pour ses failles dans la gouvernance et la gestion financière du rendez-vous. Des dysfonctionnements synthétisés dans un rapport partagé ce mardi 8 avril par la Cour des comptes, un an et demi après la fin des hostilités.

«Tout le monde a gagné, sauf les organisateurs», résume ce mardi Pierre Moscovici, président de la juridiction. Contrôle quasi inexistant de la part de l’Etat, bilan financier catastrophique aux répercussions qui le sont tout autant pour la Fédération française de rugby (FFR)… Le document long de 99 pages liste tout ce que la France ne doit plus faire à l’avenir si elle souhaite candidater à de nouveaux grands événements sportifs. Voici ce qu’il faut en retenir.

Un bilan financier «bien loin de la réalité» de départ

68 millions. C’était, en euros dans le dossier de candidature initial paraphé en 2017, l’objectif de recette budgétaire affiché par le comité d’organisation «France 2023», constitué sous forme de groupement d’intérêt public (GIP) : 476,9 millions de recettes, 408,9 millions de dépenses. A l’arrivée, le bénéfice se chiffre à 55 millions d’euros… pour l’instant. A l’arrivée, et alors que World Rugby «a réalisé le meilleur résultat financier de son histoire» (500 millions), le résultat financier global «serait au mieux, de 18,5 millions d’euros et, dans le cas contraire, négatif à hauteur de -13,9 millions d’euros», en fonction de la résolution de certains litiges commerciaux et fiscaux. Quoi qu’il arrive, un déficit d’exploitation d’a minima 36 millions.

Les magistrats financiers pointent qu’avant même l’obtention de l’événement, la France se trouvait déjà en péril budgétaire. Le mal originel : certains engagements financiers disproportionnés pris par la FFR auprès de World Rugby afin de l’emporter en novembre 2017, «à la surprise générale», face à l’Angleterre et l’Afrique du Sud. Parmi ces conditions, l’acquisition par la FFR, «pour un montant excessif» (81,3 millions), des droits de commercialisation des prestations d’hospitalités et de voyages (grosso modo des packages pour VIP). Le rapport note que cette négociation a «dès l’origine mis en cause l’équilibre économique de l’opération», évoquant des «prévisions initiales erronées». Dans les grandes largeurs, puisque selon les conclusions des magistrats, ces droits pourraient déboucher sur un déficit de 53 millions. Des «choix stratégiques» effectués dans l’espoir de restaurer l’équilibre se sont en outre révélés «désastreux», cingle le rapport. Dit autrement, les représentants français ont été de bien piètres négociateurs.

S’ajoutent à cela des initiatives dispendieuses, comme Campus 2023, ce programme de formation des apprentis piloté par le comité d’organisation, à hauteur de 80 millions, soit 62 838 euros par apprenti formé. Présenté comme équilibré budgétairement, le projet a terminé en déficit de près de 16 millions. Le tout, pour un bilan en termes d’insertion dans l’emploi sportif «incertain».

Un laxisme de l’Etat dans le contrôle de l’événement

Selon les «sages» de la rue Cambon, un tel cauchemar financier a été rendu possible par un délaissement de l’Etat, dont le soutien a été apporté «sans expertise préalable sérieuse sur la soutenabilité et la cohérence du budget de candidature […] et en méconnaissance d’éléments essentiels à la candidature», selon Pierre Moscovici.

Malgré nombre de signaux avant-coureurs, l’Etat ne s’est réellement intéressé à l’organisation qu’après une crise de gouvernance à l’été 2022, en raison d’accusations de harcèlement contre le directeur général, Claude Atcher, ayant mené à des enquêtes plus globales sur «France 2023» et à son départ en octobre 2022. Dans son droit de réponse au rapport, ce dernier affirme que «la gestion catastrophique de l’événement après [son] départ a privé le rugby français d’environ 50 millions d’euros de résultat», en raison du «manque de compétence et d’expérience» de la direction qui lui a succédé.

Et maintenant, qui pour «sauver le soldat rugby» ?

Nommé au pied levé après l’affaire Laporte à l’été 2023, juste avant le Mondial, Florian Grill a réagi ce mardi. «Nous sommes satisfaits que toute la lumière soit faite sur les réelles responsabilités et le manque de contrôle qui ont amené aux difficultés financières auxquelles nous faisons face aujourd’hui», a écrit le président de la FFR dans sa réponse à la cour.

Reste que le trou financier béant est toujours là et met en danger la FFR. «Les ressources laissées pour l’héritage du rugby sont quasi nulles», déplore Pierre Moscovici. Un vrai problème, d’autant qu’en décembre 2024, le Groupement d’intérêt économique (GIE) en charge de l’organisation s’est vu notifier un redressement fiscal et des pénalités de 20,7 millions d’euros. L’administration fiscale reproche ainsi au GIE l’application d’une TVA sous-évaluée pour les fameux packages voyages-hospitalités.

Si ce redressement est confirmé, les conséquences seraient encore plus lourdes pour la FFR, qui se serre déjà la ceinture. Florian Grill alertait en fin d’année 2024 : le paiement de cette somme mènerait l’institution dans une situation de «cessation de paiements». La ministre des Sports, Marie Barsacq, saluait dans la Tribune du Dimanche, mi-février, «un effort important» de la FFR pour remettre ses comptes à niveau. «On suit ce sujet avec beaucoup d’attention», assurait-elle. «J’ai beaucoup de déclarations d’amour, mais j’attends des preuves d’amour, un accompagnement concret. Est-ce qu’on veut sauver le soldat rugby ou pas ?» questionnait alors Florian Grill dans les colonnes du Figaro fin février. Depuis, toujours pas de réponse. Sollicité, le ministère des Sports n’a, pour l’heure, pas fait suite à notre demande.

Mis à jour : à 19 h 45, avec les points à retenir après consultation du rapport.