Pas impossible qu’il flotte encore une «odeur de sang» dans les couloirs du Groupama Stadium ce dimanche soir. Du sang d’Australien couleur rouge gallois. La même émanation funeste que celle évoquée par le sélectionneur des Wallabies, Eddie Jones, en conférence de presse d’avant match. A ce moment, l’Australie n’était encore qu’une bête blessée, condamnée à remporter une rencontre aux allures de huitièmes de finale, contre des Gallois invaincus en deux matchs mais sans impressionner, pour rester en vie dans la compétition.
Quatre-vingts minutes et une humiliation plus tard, voilà Eddie Jones et ses hommes un pied trois quarts dans le vide, quasiment éliminés de cette Coupe du monde. Il faut bien mesurer la portée historique de la débâcle australienne (6-40). Jamais, depuis la création de la Coupe du monde, le pays deux fois titré (1991 et 1999) n’avait encore été évincé dès les phases de groupe. A moins d’un énorme miracle, et c’est peu de le dire, c’est pourtant bien un retour direction Sydney qui se profile avant même les quarts de finale.
Si l’intrigue et son dénouement étaient difficiles à pronostiquer, au moins savait-on où la rencontre allait se jouer : dans la capacité des Australiens à gérer ces maudites zones de ruck. Dans ce secteur, le Pays de Galles avait dominé les Fidji en ouverture du groupe C. Fidji qui avaient, à leur tour, étouffé les Australiens lors du match suivant. Le groupe océanien n’a jamais été en mesure d’offrir le répondant physique nécessaire dans les rucks, pliant sous les coups de boutoir adverses, et concédant bien trop de pénalités.
Anscombe remplaçant de luxe
Ça, le sélectionneur et homme providentiel des Gallois Warren Gatland, acclamé comme un capitaine lors de la présentation des équipes, l’avait bien noté. D’autant qu’avec le demi d’ouverture Dan Biggar dans ses rangs, le XV du Poireau tient là l’un des meilleurs jeux au pied de la planète. Problème : l’épaule dudit Dan Biggar n’a pas tenu dix minutes sur le pré du Groupama Stadium, contraignant le maestro de Toulon à sortir très tôt.
Un beau cadeau dont Eddie Jones et ses joueurs auraient pu profiter. Contraint de modifier sa copie après la débâcle de Saint-Etienne, l’ex-sélectionneur de l’Angleterre, à court d’idées depuis qu’il a repris l’équipe en crise en fin d’année 2022, avait décidé de la jouer all-in. C’est-à-dire donner le poste clé de l’ouverture à Ben Donaldson, arrière de métier. Replacé en numéro 10 en cours de jeu face aux Fidji, il avait bien mieux animé les offensives des Océaniens que le très jeune Carter Gordon, seul demi d’ouverture du groupe, mais consumé par l’enjeu jusqu’ici.
Dans son sillage, les Australiens ont tenté de bouleverser leurs habitudes. Avec un Donaldson auteur d’une première mi-temps plutôt correcte, les Wallabies ont essayé d’être plus aériens. Ils ont eu plusieurs bonnes séquences, où le ballon circulait bien. En première mi-temps du moins. Mais pas assez pour casser le cadenas gallois. Surtout, ils se sont encore trop fait punir dans les phases arrêtées. L’arbitre Wayne Barnes a été intransigeant. Dès les premières secondes au sol les «Aussies» se sont immédiatement retrouvés pénalisés. La première d’une interminable série en forme de supplice. Mauvaise nouvelle en sus : le remplaçant de Biggar, Gareth Anscombe, paraît presque aussi létal lorsqu’il s’agit de concrétiser en point les fautes adverses (6 pénalités, une transformation).
Au-delà de cette indiscipline criante, les jeunes pousses australiennes ont été dépassées dans à peu près tous les secteurs de jeu - touche, mêlée - par des Gallois autant appliqués que survoltés. A la dérive en début d’année, au point de rappeler illico le Néo-Zélandais Warren Gatland, déjà sur le banc de 2007 à 2019, les Gallois semblent renaître au meilleur des moments. Comme aux meilleures heures des années Gatland, justement. Les voilà presque assurés d’être en quart de finale. Vu leur partie de tableau, il n’est pas impossible de les revoir, dans le dernier carré. Comme en 2019.