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Libération
Désillusion

Coupe du monde de rugby: France-Afrique du Sud, un point, c’est le trou

Coupe du monde de rugby 2023 en Francedossier
Battus 29-28, les Bleus n’ont pas réussi à renverser les champions du monde en titre et sortent de «leur» Mondial en quart de finale. Les Springboks rencontreront les Anglais en demi.
Cheslin Kolbe échappe au plaquage de Damian Penaud et s'en va marquer un essai pour l'Afrique du Sud. (Hannah Peters/Getty Images via AFP)
publié le 15 octobre 2023 à 22h56
(mis à jour le 15 octobre 2023 à 23h57)

Un champ de ruines, un naufrage, un drame… Quel terme exact faudra-t-il prioriser pour qualifier l’insondable désarroi qui s’est abattu peu avant 23 heures, ce dimanche 15 octobre, sur le Stade de France quand, au terme d’une ultime charge, Wardi s’est fait arracher le ballon des mains par l’étincelant Cheslin Kolbe qui, tapant en touche, envoyait par le fond le rêve d’un sacre français dans cette 10e Coupe du monde qu’un pays espérait depuis si longtemps maintenant. 29-28. La messe est dite? Place au requiem.

«On va bien sûr saluer l’équipe de France qui quitte la compétition ce soir», a bien tenté le speaker, ne récoltant en retour que des applaudissements polis quand, ensuite, les Bleus faisaient peut-être le plus triste tour d’honneur de leur histoire, chez eux, devant un public qui les avait pourtant portés de bout en bout, pour ne plus concéder que des bravos quasi inaudibles.

Pack destructeur

«Il est 21 heures. La tension est à son comble. Dans le stade, personne ne respire normalement. Ni dans la tribune, ni sur le terrain.» C’est ainsi, selon les termes employés par Daniel Herrero, dans son récent Dictionnaire amoureux du rugby des temps modernes (Plon), que la France et l’Afrique du Sud s’étaient retrouvés, mi-novembre 2022 à Marseille, dans le cadre d’un affrontement d’une intensité si terrible que, quatre vingt minutes plus tard, le même Herrero s’enflammait pour une victoire signalant «au monde de l’ovalie que ce XV de France possède toutes les qualités physiques et morales pour pratiquer un rugby empanaché de brio et soulever la Coupe du monde». Las.

Onze mois plus tard, la revanche prenait la forme d’un couperet, entre le champion du monde en titre et son principal outsider, animé d’une ambition dont il ne faisait plus mystère depuis maintenant quatre ans, les Bleus pouvant se targuer au passage de vingt-sept victoires sur les vingt-huit derniers matches joués dans l’Hexagone. Mais, une stat’ chassant l’autre, des huit précédentes confrontations entre ces deux nations insatiables, les Boks étaient sortis vainqueurs à sept reprises. Cette série de victoires sud-africaines étourdissante s’était donc achevée l’an passé au Stade vélodrome. Mais cette défaite, les Springboks, encore convalescents voici quelques mois, ne l’avaient fatalement pas digérée.

Au coup d’envoi, tout le monde se souvenait donc du match épique de Marseille qui, côté tricolore, avait laissé sur le carreau des colosses comme Uini Atonio, Thibaut Flament ou Jonathan Danty. Tous titulaires, ce 15 octobre, au même titre que l’icône Antoine Dupont, remis en quatrième vitesse de cette fracture maxillo-zygomatique qui, depuis trois semaines, alimentait toutes les conversations (extra-) sportives. Or, en lieu et place du remake marseillais pressenti, les deux équipes offraient en première mi-temps un spectacle d’une rare intensité, parfois virtuose, l’une et l’autre se rendant coup pour coup, mais dans les règles, hormis le carton jaune reçu en toute fin de première période par le deuxième ligne bok, Eben Etzebeth.

A trois essais de chaque côté, la fête était à nouveau totale, vingt quatre heures après la soirée sur les nuages offertes par les Blacks et l’Irlande. Mais la surprise était néanmoins au rendez-vous, la France brillant avec ses avants, à commencer par le talonneur Peato Mauvaka, littéralement intenable et de tous les bons coups, son compère toulousain Cyrille Baille, qui inscrivait deux essais, ou l’increvable Charles Ollivon, quand l’Afrique du Sud, parfois caricaturalement résumée à son pack destructeur, faisait crépiter ses trois-quarts pour rester collée au score, voire passer devant.

Pas de solution

A 22-19 les Bleus viraient en tête mais tout ou presque restait à faire. Plus fermée, la deuxième mi-temps ne permettait à aucune équipe de creuser l’écart et pourtant, malgré les deux tiers du temps passés dans le camp sud africain, les Bleus ne trouvaient pas de solution face à une équipe solide, solidaire, réaliste, plutôt disciplinée, qui inscrivait le seul essai de cette deuxième période et, grâce à la botte d’Handré Pollard, parvenait à glaner ce point supplémentaire qui fera toute la différence à l’arrivée, malgré l’incroyable abnégation des Bleurs refusant jusqu’au bout de se rendre à l’évidence que, pour une fois, la chance ne leur sourirait plus dans le money time (préalablement compliqué par quelques maladresses au pied, preuves d’une extrême fébrilité, de la part de Matthieu Jalibert, puis de Thomas Ramos qui, au lieu de dégager leur camp, contribuaient involontairement à engluer le jeu dans les vingt-deux mètres tricolores – et que dire, situation insensée, de cette transformation d’essai contrée par Kolbe, qui coûtera aussi deux points fatidiques aux Bleus ?)… Jusqu’à ce que le sifflet de Ben O’Keefe ne vienne sonner la fin des illusions.

Nouvelle-Zélande-Argentine et Afrique du Sud-Angleterre constitueront donc les deux demi-finales d’une Coupe du monde qu’on promettait enfin à l’Europe, sinon à la France, enterrant manifestement trop tôt un hémisphère Sud qui aura attendu le moment le plus cruel (vu du Stade de France, du moins) pour renaître de ses cendres.