C’est comme si la Suicide Squad avait envahi le Stade de France. D’un côté, nos rivaux historiques. Les Anglais au jeu poussif, avec Owen Farrell, tricheur parmi les tricheurs, à la baguette. En face, nos bourreaux du tour précédent. L’Afrique du Sud, ses déboires avec l’Agence mondiale antidopage, Cheslin Kolbe et ses sprints irritants, tout comme la crinière toujours impeccable de Faf de Klerk. Et au milieu, notre pire cauchemar : Ben O’Keeffe, l’arbitre qui, si l’on en croit les analyses accoudées au comptoir, nous a privés de notre demi-finale dans notre Coupe du monde à nous. Le public français a d’ailleurs passé la partie à siffler toutes les décisions du Néo-Zélandais ainsi que les joueurs sud-africains, faisant passer notre pays – et Thomas Pesquet – pour le plus mauvais perdant de l’histoire.
Passons. Comme les Anglais seront bientôt en train de passer dans le tunnel sous la Manche. Sous le «soleil liquide» – drôle d’expression choisie par le speaker pour parler de cette météo très british – une Afrique du Sud poussive s’est qualifiée pour la finale de la Coupe du monde en battant 16 à 15 des Anglais sérieux mais qui ont lâché à la toute fin.
L’Afrique du Sud méconnaissable
Mais ce soir, toutes les premières fois ont été anglaises. La première pénalité d’Owen Farrell après avoir récupéré le coup d’envoi. La première touche volée par un sauteur en blanc. En face, les Sud-Africains abusent des hautes chandelles, stratégie qui a fait si mal à la France en quart de finale. Sauf que les Anglais, eux, ont la bonne idée d’attraper la savonnette dans les airs. Et après une nouvelle touche mal négociée par les Springboks, Owen Farrell ajoute trois points et on se demande si les Anglais n’ont pas décidé de devenir bons après plusieurs années de dépression. Symbole de la frustration sud-africaine, au quart d’heure de jeu, après une nouvelle sanction de l’arbitre sur un ballon porté, le géant Franco Mostert empoigne le petit Alex Mitchell par le col avant que tous les gros ne viennent se frotter les pectoraux comme pour compenser leur impuissance dans le jeu.
Ce n’est pas la même équipe que l’on a vu éliminer l’équipe de France. Battue sur les fondamentaux, inefficace au pied et faisant rarement les bons choix, l’Afrique du Sud paraît perdue dans les 20 premières minutes. Heureusement qu’Owen Farrell et sa langue toujours déliée permettent à Manie Libbok de taper une pénalité dans l’axe aux 40 mètres et de débloquer le compteur sudaf. Mais l’ouvreur anglais que l’on aime détester en remet trois dans la foulée, toujours sous les huées d’un Stade de France connaisseur.
Sorte d’aveu d’échec tactique, le staff sud-africain sort à la demi-heure de jeu son ouvreur, remplacé par Handre Pollard. Une rareté au très haut niveau. Après une dernière pénalité, le XV de la Rose rentre se réchauffer dans les vestiaires avec six points d’avance et la certitude que, contrairement à ce qu’on leur avait annoncé, il y a la place ce soir.
L’évolution du jeu Anglais
Alors que la première demi-finale opposant la Nouvelle-Zélande et l’Argentine avait des airs de phase de poule avec un match sans suspense et deux équipes boxant dans des catégories très éloignées, cette rencontre entre l’Angleterre et l’Afrique du Sud, remake de la finale de 2019, se voulait déjà plus sexy. Et, si les Anglais avaient remporté trois de leurs cinq dernières oppositions face aux Sud-Africains, les Springboks avaient déjà terrassé le XV de la Rose à quatre reprises en Coupe du monde, sur cinq rencontres. Mais pas de quoi émouvoir l’impressionnant talonneur des Boks, Bongi Mbonambi, à la tête froide comme le glaçon qu’on écrase parfois avec le front pour faire rire les copains. «Les gens disent que [les Anglais] veulent prendre leur revanche. Ils sont libres de voir le match comme ils veulent. On ne joue pas trop sur les émotions. Les émotions, ça fait tenir 20 minutes et après on s’effondre.»
Le staff sud-africain avait quant à lui tenu à saluer l’évolution du jeu anglais, moins monotone et moche aujourd’hui qu’il y a quatre ans. «Ils ont beaucoup changé dans leur manière de faire, notait l’entraîneur de l’attaque Mzandile Stick. Si on regarde le jeu au pied, ils tapent presque autant que l’équipe de France. On a étudié leurs matchs, et même face à des équipes comme le Chili, ils ont tapé environ 40 coups de pied. Ça illustre les ajustements qu’ils ont apportés à leur jeu.» Analyse validée par la première mi-temps.
Et le début de deuxième acte est du même acabit, les Anglais abusant d’un jeu au pied désormais moins précis, jusqu’au drop de mammouth quasiment sur la ligne médiane d’un Owen Farrell en feu. Quelques secondes auparavant, Willie Le Roux ne courait pas assez vite pour rattraper le ballon et aplatir dans l’en-but anglais. D’autres secondes plus tard, un en-avant est commis sur la ligne des cinq mètres sud-africains. Tout ce que les Springboks réussissaient contre la France, ils le ratent contre l’Angleterre. Même si la mêlée qui suit voit les Anglais de nouveau pénalisés. Un énième pétard mouillé dans un match haché.
Handre Pollard, évidemment
Mais le chrono file en faveur des Britanniques. Ceux-là s’attendaient à «un match physique», ils l’ont eu. Le visage ensanglanté et la démarche blessée de Tom Curry en témoignent. Pas brillants mais sérieux, les Anglais mènent 15 à 6. Jusqu’à l’essai de RG Snyman. L’imposant seconde ligne, qui était entré peu après la mi-temps, s’écroule – enfin – dans l’en–but adverse et offre cinq points qui en deviennent sept à son équipe et, par la même occasion, un immense suspense aux 78 000 spectateurs du Stade de France. Le tableau d’affichage note 15 à 13 à sept minutes du coup de sifflet final. Encore une rencontre qui se joue à un cheveu pour les Sud-Africains sauf que, cette fois, ils sont derrière.
Mais Handre Pollard, sacré homme du match, a la balle de la victoire au bout du pied, sous la bronca du Stade de France. Et les mollets restent fermes à presque 50 mètres. C’est la 78e minute et l’Afrique du Sud mène pour la première fois du match. La suite, on la connait. Le mur sud-africain, les larmes d’un Joe Marler que l’on préfère rigolard, une dernière tension au centre du terrain. L’Afrique du Sud est en finale de la Coupe du monde. Elle affrontera la Nouvelle-Zélande le 28 octobre. L’Angleterre n’aura pas démérité et y aura cru jusqu’au bout. Même le rival français, qui n’a toujours pas digéré sa propre élimination, ne pourra se moquer des larmes anglaises. Les deux nations sont désormais liées par le chagrin.