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Boks vs Blacks

Coupe du monde de rugby : sacrés, les Sud-Africains bouleversent l’ordre mondial

Dans un match serré, magnifique, l’Afrique du Sud a battu 12-11 la Nouvelle-Zélande longtemps en infériorité numérique en finale. Avec quatre titres, les Springboks sont désormais les plus titrés de l’histoire.
La joie des Sud-Africains au coup de sifflet final. (Pavel Golovkin/AP)
publié le 28 octobre 2023 à 23h03
(mis à jour le 28 octobre 2023 à 23h33)

C’était la finale des géants. Les plus grands, les plus forts, les plus historiques. La finale du bandeau noir de Scott Barrett, porteur increvable de ballon. Celle des bras irréels d’Eben Etzebeth, à la force herculéenne. Un duel mythologique entre la fantaisie du Choc des Titans et le mauvais goût des Expendables. L’Afrique du Sud face à la Nouvelle-Zélande. Peut-être l’affiche la plus emblématique d’un rugby qui ne s’ouvrira donc jamais, entre les deux meilleures équipes du monde, qui s’affrontaient ce samedi soir pour la 106e fois depuis 1921, la sixième fois en Coupe du monde.

Dans un Stade de France vexé du règne implacable de l’hémisphère sud, l’Afrique du Sud a remporté ce duel sans marquer d’essai, 12-11, et repart une quatrième fois de son histoire avec le trophée Webb Ellis. Et l’on pourra débattre pendant des heures, râler encore longtemps après un quart de finale toujours pas digéré, mais les faits sont là et ils sont têtus : l’Afrique du Sud est la meilleure équipe de tous les temps.

Après les huées - encore - du public français pour la composition sud-africaine, après la présentation du légendaire trophée Webb Ellis dans une vulgaire malle Louis Vuitton, après le concert d’un Mika à paillettes aussi décalé que peut l’être un concert de Mika à paillettes avant un match de rugby, une Marseillaise pleine d’orgueil a précédé le haka des All Blacks, qui n’a pas fait sourciller un seul Sud-Africain.

Une histoire de cartons

Comme attendu, il fut immédiatement question de combat. Après un immense tampon d’Eben Etzebeth, c’est le troisième ligne néo-zélandais Shannon Frettzel qui est sanctionné d’un carton jaune que l’on pourrait qualifier de sévère par l’arbitre anglais, Wayne Barnes, pour jeu déloyal sur le talonneur Bongi Mbonambi. La pénalité d’Handre Pollard passe et les Springboks mènent rapidement 3 à 0. Loin de la douceur de la cérémonie d’ouverture, de l’insouciance d’une fin d’été et d’une crête-de-coq bizarrement réalisée par un drôle d’acteur avec la main sur la tête, les conditions ne sont pas dantesques - 14 degrés, des averses et des rafales de vent - mais elles valorisent le bourrin et moins le poète du jeu. Nous voilà donc devant un remake de la demi-finale entre l’Afrique du Sud et l’Angleterre. Du jeu au pied, en veux-tu en voilà. Puis on espère la cagade.

A ce jeu, les Sud-Africains sont les plus forts. La zone dangereuse est souvent trouvée, les frissons traversent les tribunes à chaque ballon botté. Et si les Springboks ne récupèrent que peu la possession ensuite, les vagues vertes viennent irrémédiablement s’abattre sur des relanceurs All Blacks maladroits, à l’image d’Aaron Smith qui ne trouve pas la touche. Dans la foulée, Cheslin Kolbe balance une transversale du droit. Logiquement, l’Afrique du Sud est récompensée d’une nouvelle pénalité et mène 6 à 0 à la 13e minute. C’est également au pied, toujours, que Jordie Barett envoie Ardie Savea presque sur orbite dans l’en-but sud-africain. Mais le ballon, qui n’a pas le sens de l’histoire, en décide autrement. Richie Mo’Unga plante les premiers points néo-zélandais. D’un cheveu, son homologue sud-africain, remet les siens six points devant.

Quand même. Depuis quelques minutes, ce n’est plus la même limonade. Désormais imprécis, les coups de pied sud-africains ne permettent plus de s’incruster chez les All Blacks qui, eux, ne sont pas capables de faire une touche propre. Trois échecs consécutifs font mal à la tête. Et on pense à celle de Jesse Kriel, amochée après un violent contact de l’épaule directement à la tête de la part de Sam Cane, qui écope d’un carton jaune… qui deviendra logiquement rouge. C’est le scénario catastrophe pour la Nouvelle-Zélande, désormais privée de son capitaine et à 14 jusqu’à la fin du match. Les Néo-Zélandais n’auront joué qu’un petit quart d’heure de cette finale à armes égales.

Le public sud africain exulte, le Stade de France, qui avait choisi son camp, est abasourdi. Sur le terrain, les All Blacks jouent avec l’honneur entre les dents. Rieko Ioane est à deux doigts d’aplatir en coin mais il laisse échapper le ballon. Wayne Barnes revient à l’avantage après une faute d’un Eben Etzebeth plus loubard que maladroit. A la mi-temps, l’Afrique du Sud mène 12 à 6.

Les All Blacks, à l’orgueil

Depuis le début de la compétition, la machine sud-africaine avait semblé fonctionner au diesel, démarrant difficilement ses matchs contre les grosses équipes - l’Irlande, la France, l’Angleterre - mais écrasant en partie l’adversaire en seconde période, grâce à son banc et au génie d’adaptabilité dont est capable son staff. Le sélectionneur Jacques Nienaber se félicitait après cette demi-finale laborieuse contre des Anglais courageux mais limités d’avoir «un groupe où il n’y a pas beaucoup de différence entre titulaires et remplaçants. Quand on compose notre banc, les gens se concentrent sur le nombre d’avants mais l’important, c’est le groupe et sa qualité. […] On n’a pas d’équipe A ou d’équipe B. On ne marche pas comme ça».

En face, la terrifiante Nouvelle-Zélande n’avait jamais paru aussi prenable avant la compétition. Un taux de défaites historique (30 %) depuis plusieurs mois et des déculottées humiliantes contre l’Argentine à la maison et surtout contre ces mêmes Sud-Africains à Twickenham. Ebranlé, le monument All Blacks l’est également dans sa propre maison, où le rugby reste le sport roi mais où le nombre de licenciés baisse quand l’équipe nationale traverse des turbulences inhabituelles. Mais depuis la défaite en ouverture contre la France, les All Blacks ont enchaîné les grandes performances et détenaient avant le coup d’envoi le record de points (325), d’essais (48) et de transformations (35).

On pouvait alors espérer un choc, un vrai. Et 46 secondes après le coup d’envoi de la deuxième mi-temps, une énième chandelle mal gérée par le receveur en noir met le feu sur la ligne d’en-but néo-zélandaise. Avertissement sans frais. Puis un autre, Kurt-Lee Arendse oublie d’aplatir. L’héroïque Siya Kolisi est à son tour sanctionné d’un carton jaune après un choc tête contre tête et voilà les deux équipes à 14, privées de leurs capitaines respectifs.

La Nouvelle-Zélande pousse, sans succès. Jusqu’à l’éclair de l’ouvreur Richie Mo’Unga, qui transperce toute la défense sud-africaine avant de servir le copain Aaron Smith. Le Stade de France explose. Mais il est écrit que rien ne passera ce soir pour les All Blacks. La vidéo appelle Wayne Barnes. Un en-avant avait été commis après une touche au début de l’action. Les pintes sud-africaines viennent caresser le ciel. Le capitaine Kolosi fait son retour sous la bronca et le public français confirme qu’il est probablement le plus mauvais de l’histoire des Coupes du monde.

Le thermomètre Cheslin Kolbe

Perturbés, bougés physiquement, les Sud-Africains ont la tête sous l’eau. L’orage néo-zélandais n’en finit plus et, logiquement, Beauden Barett inscrit son premier essai de la compétition. 12 à 11. C’est à se demander qui joue à 14. Le match devient brouillon. Dans la tribune médias, on estime que c’est «la foire à la saucisse». Une fine analyse qui reflète bien la réalité du terrain. Le temps file et, comme d’habitude, l’Afrique du Sud nous offre un match qui sera serré jusqu’au bout. Qui se jouera à 14 contre 14, enfin. Cheslin Kolbe sort sur carton jaune et l’écran affiche sept minutes à jouer. Jordie Barett loupe la pénalité de la gagne, à 45 mètres à droite. Le final de ce duel ne pouvait pas être plus tendu. Dans un match pas toujours juste techniquement, les faits de jeu se seront multipliés et il est impossible de savoir de quel côté la pièce va tomber. Cruelle sera la défaite.

Et les All Blacks repartent de leurs 22 mètres. Il reste 80 mètres et quatre minutes. Bloqués, ils tapent au loin. L’Afrique du Sud se loupe, mêlée. Les écrans géants affichent la détresse de Cheslin Kolbe, la tête dans les mains. Dans un bazar complet, dans l’épuisement d’une longue Coupe du Monde, d’un interminable match. La dernière mêlée est sud-africaine. Dans 23 secondes, les Springboks marqueront l’histoire de leur empreinte. L’ordre mondial est renversé. Ils n’auront pas été magnifiques mais il n’est jamais question de cela. A la fin, ce sont eux que l’on retiendra.

Sept secondes. Une poussée. Une mêlée qui tourne. Un coup de sifflet. Cheslin Kolbe a levé la tête. L’Afrique du Sud est championne du monde.