Le XV de France a-t-il raté «sa» Coupe du monde, celle qui, comme jamais aucune autre auparavant, lui tendait les anses ? Oui, fatalement. Doit-on lui en vouloir pour autant ? A peine. La faute à pas de chance, voudra-t-on philosopher, quand plus d’un clouera au pilori Ben O’Keeffe, l’arbitre néo-zélandais du quart de finale, responsable, selon la vindicte patriotique, d’avoir déclenché la malédiction d’une élimination prématurée – et ce faisant, attestant la menace d’une dérive «footbalistique» du rugby, avec un public de plus en plus vindicatif au premier rebond défavorable. Le vrai coupable restant à nos yeux – l’indignation datant d’avant l’ouverture de l’épreuve – World Rugby, l’instance organisatrice, honteusement fautive en ayant condamné mécaniquement trois des cinq meilleures équipes mondiales à une disparition anticipée, en raison d’un tirage au sort des poules foireux, car effectué presque trois ans à l’avance (ayons ici une pensée compatissante pour les malheureux qui ont claqué 500 euros pour se retrouver avec une demi-finale aussi faisandée que Nouvelle-Zélande–Argentine).
Poulet sans tête
Ce lamento fredonné, se pose désormais la question de la reconstruction, comme on dit au lendemain des traumatismes. Deux heures à peine après le coup de sifflet final de France–Afrique du Sud (28-29, pour qui, ce 15 octobre las, était parti voyager dans l’espace), il y avait quelque chose de lunaire – mais aussi, à la réflexion, de poignant – à écouter Grégory Alldritt, le visage marqué par cette douleur sans doute plus morale que physique consécutive à la défaite fatidique. Comment, en effet, ne pas avoir songé au poulet qui continue de courir alors qu’on vient de lui couper la tête, en consignant les propos du troisième ligne rochelais ? «Nous avons la chance d’avoir le Tournoi [des six nations] dans trois mois. Cela va nous aider à digérer et à passer à autre chose, en retrouvant ce public fabuleux, avec qui nous aurions tant aimé passer quinze jours de plus. D’autant que cette fois, nos trois matchs en France se joueront en province», à Marseille, Lille et Lyon, le Stade de France faisant une toilette en vue des JO.
Esprit conquérant
Ainsi va la vie du sportif de haut niveau, irrévocablement condamné à regarder devant lui. Reste maintenant à imaginer à quoi ressembleront les Bleus du jour d’après. Sur le terrain, il y a aura bien sûr du changement. Mais pas forcément tant que ça non plus. Du moins à court terme. Seuls Uini Atonio et Romain Taofifénua ont annoncé leur retraite internationale. Pour les autres, tout reste envisageable. Du moins en théorie car, si on fixe le cap sur 2027, où la onzième Coupe du monde aura pour cadre l’Australie, plusieurs éléments clés du dispositif tricolore flirteront alors avec la limite d’âge (certes variable selon les choix stratégiques, l’endurance, et les postes) : où en seront le corps et la tête des Jonathan Danty, Charles Ollivon, Gaël Fickou ou Cyril Baille ? Ils pourront toujours se dire qu’à 34 ans et 35 ans, les Néo-Zélandais Aaron Smith et Sam Whitelock convoitent encore un nouveau titre planétaire ; mais, d’ici quatre ans, n’en croiseront pas moins bien des daguets dont les ramures auront entre-temps poussé (les Emmanuel Meafou, Sipili Falatea ou Emilien Gailleton, déjà dans l’antichambre) ?
Une interrogation qui, jusqu’à nouvel ordre, n’affecte pas l’encadrement. Sitôt les Bleus crucifiés, Fabien Galthié a posément précisé que son contrat courait jusqu’en 2028. Au demeurant, s’il a perdu le match le plus important depuis sa prise de fonction (le premier, aussi, à élimination directe) fin 2019, le sélectionneur préserve un bilan paradoxalement positif, personne ne contestant son action sur une équipe à qui il a su redonner un esprit conquérant, évanoui une dizaine d’années durant. Pour autant, du ménage sera fait autour de lui : exit les Laurent Labit, Karim Ghezal ou Thibaut Giroud, qui repartent en clubs (c’était prévu). Et seront remplacés. Contrairement à d’autres collègues : avec un déficit dans les caisses d’environ 20 millions d’euros, la FFR est dans le rouge et les besoins d’une préparation à la Coupe du monde, où se bousculaient pléthore d’experts (techniques, médicaux, scientifiques…), ne sont pas ceux d’une saison lambda. Où, dès l’ouverture du Tournoi, le 2 février, on saura qui de la France ou de l’Irlande sera sacré champion de la résilience.