La dernière fois qu’on avait vu un ballon ovale rebondir dans ce stade plutôt habitué à ce que ça tourne rond (en théorie, du moins), ça n’était pas jour de fête, mais presque. Une date historique, en tout cas, d’un pur point de vue comptable. Car, en ce 21 septembre 2023, la France venait de pulvériser la Namibie, 96-0, signant, par la même occasion, le plus large écart de points pour une victoire de la sélection nationale. On était alors encore en phase de poule de la Coupe du monde, et tout le monde ou presque saluait la performance, pourtant aussi extravagante que vaine, face à une équipe de peintres. Seule ombre de taille au tableau, le capitaine, Antoine Dupont, était sorti sur blessure, permettant au public français de découvrir qu’on ne plaisantait pas avec une fracture maxillo-zygomatique.
Analyse
Mais, ce fait de jeu excepté, tout le monde convenait du fait que le XV de France kiffe Marseille, le sélectionneur, Fabien Galthié, ne laissant jamais passer la moindre occasion de répéter à quel point il n’avait que des bons souvenirs dans la deuxième plus grande ville du pays, qui répond toujours présent dès lors qu’il s’agit d’apporter à ces Bleus-là un soutien inconditionnel, le capitaine, Grégory Alldritt ne prenant lui-même pas trop de risques en saluant «l’ambiance très bruyante» de l’écrin. Le décor ainsi planté, on comprend pourquoi la France, encore traumatisée par son élimination en quart de finale de la dite Coupe du monde, a eu envie de débuter l’édition 2024 du Tournoi des 6 nations, à Marseille – à défaut de pouvoir squatter comme d’hab le Stade de France, fermé jusqu’aux Jeux olympiques. Du reste, dès l’annonce des compositions, c’est une immense clameur qui saluait le nom de chacun des joueurs appelés à écrire le premier chapitre de la reconquête escomptée.
Bon, après, naturellement on n’attendait pas non plus un nouveau match à quatorze essais, mais juste une victoire face à l’Irlande, qui espérait tout autant se refaire la cerise, après avoir également chuté cet automne, au même stade d’une épreuve où (avec les Bleus) elle faisait figure de favorite. Bilan ce vendredi soir : 17-38 et un terrible coup au moral, quand bien même s’incliner face au numéro 2 mondial, qui sortait d’un Grand Chelem lors du précédent Tournoi, n’aurait rien d’intrinsèquement honteux. Reste la manière, qui pose question. Beaucoup, même…
Jeu au pied assez stérile
Dès l’entame, la France s’est trouvée en effet mal embarquée, pêchant autant par manque de discipline que d’adresse, entre des fautes récurrentes conduisant à l’expulsion de Paul Willemse, doublement fautif dans des circonstances peu ou prou identiques (ce qui ne lui laisse guère de circonstances atténuantes), à un jeu au pied assez stérile, face à des Irlandais, eux, sans trop d’états d’âme, à la fois plus agressifs et ne laissant passer aucune occasion de châtier les Bleus (cf le plaquage raté de Jonathan Danty aboutissant au deuxième essai adverse). Seul un essai à la sirène de l’indispensable Damian Penaud, son 36e en bleu, ce qui ne le situe plus qu’à deux unités du record de Serge Blanco, autorisant in extremis le XV de France à rentrer au vestiaire avec l’illusion que rien n’était plié.
Une chimère entretenue en début de deuxième mi-temps où une combativité retrouvée permettait à la France de ne pas totalement perdre pied… Mais pas non plus de faire douter une équipe d’Irlande dominatrice, en définitive, dans absolument tous les secteurs, comme allait le confirmer une fin de match où un cinquième et dernier essai finissait de corser l’addition. Une défaite, plus très loin de la déroute, sur le gazon, que les tribunes traduisaient à leur façon quand, aux chants irlandais (entonnés par un parterre de supporteurs pourtant bien moins fourni que durant la Coupe du monde), le public marseillais ne parvenait à opposer que de misérables sifflets traduisant l’impuissance ambiante à contrecarrer la force et la sérénité adverses.
Le point du bonus offensif pour le XV du Trèfle
Une 104e confrontation France-Irlande qui laisse donc un goût amer et va continuer de semer le doute dans des esprits tricolores sans doute toujours pas remis de l’élimination en Coupe du monde. Pis, ces vingt et un points d’écart scellent la plus large défaite face à l’Irlande sur le territoire national. Le XV du Trèfle enfonçant le clou en repartant même avec le point du bonus offensif, quand les Bleus, eux, vont devoir sérieusement se retrousser les manches pour espérer se distinguer dans un Tournoi des 6 nations à peine commencé que, possiblement, déjà perdu. Avec seulement huit jours pour réviser quasiment de fond en comble une copie proche du gribouillage (à l’image de la charnière bordelaise Jalibert /Lucu, jamais vraiment capable d’indiquer à ses partenaires la bonne direction), avant d’aller défier l’Ecosse, dont on sait, depuis maintenant deux ou trois ans, qu’elle est à nouveau parfois capable du meilleur…