A une poignée de secondes près, le Stade Rochelais aurait entretenu à l’insu de son plein gré une réputation de serial loser qui, après deux finales perdues l’an dernier (Champions Cup, Top 14), plus une troisième en 2019 (Challenge européen), commençait à lui coller dangereusement aux crampons. Mais c’était compter sans la superbe abnégation de tout un groupe qui, à rebours des pronostics, a cru en sa bonne étoile jusqu’au bout, pour terrasser l’ogre irlandais du Leinster, en finale de la coupe d’Europe, jouée ce samedi après-midi dans un Stade Vélodrome de Marseille quasi plein (21-24).
Un exploit certes authentique, mais qui, au vu des 80 minutes disputées, répond à une vraie logique sportive, tant, malgré un nombre de fautes commises plus élevé que la moyenne (au point qu’il aurait pu se révéler rédhibitoire), les Maritimes ont plié, mais jamais rompu, dans une récitation aussi posée que méthodique de la fable du Lièvre et de la tortue qui vient donc de les mener sur le toit ovale du continent, eux et leur coach... irlandais, l’ex-fine gâchette du Munster et du XV du Trèfle, Ronan O’Gara.
Leinster toujours contrée, peu inspirée
24-21 au gong final avec trois essais inscrits, contre une province irlandaise toujours contrée et peu inspirée, réduite à capitaliser sur la réussite au pied de ses buteurs. Un formidable boulot des avants a permis aux Charentais-maritimes de ne jamais céder, hormis durant les dix premières minutes, à Jonathan Sexton et ses partenaires, galvanisés par une impressionnante victoire contre Toulouse en demi-finales, qui s’imaginaient sans doute déjà en train de broder sur leur maillot bleu la sixième étoile qui, précisément, allait en faire l’équipe la plus titrée du continent. Bernique !, car c’était sans compter sur l’envie irrépressible de commuer ce que l’on n’aurait pas manqué d’appeler «frustration», ou «guigne», en panache, à l’instar du choix, en deuxième mi-temps et alors que le score leur était défavorable, de chercher à marquer un essai, coûte que coûte, plutôt que de grignoter le retard pris dès l’entame, en prenant les points au pied. Pourtant, La Rochelle évoluait en infériorité numérique, suite à une faute d’anti-jeu (un croche-pied du deuxième ligne, Thomas Lavault) qu’un dénouement fatal nous aurait autorisé à qualifier d’impardonnable à ce niveau.
Mais l’indiscipline, pourtant réelle, n’a pas annihilé pour autant l’esprit de conquête d’un groupe qui, à l’instar d’Ihaia West, son ouvreur/buteur si souvent raillé pour avoir naguère failli dans ce genre de contexte, avait décidément envie de démontrer que, désormais régulièrement présent dans le cénacle français et européen, il méritait bien, et cette fois pour les meilleures raisons du monde, d’«aller sur le port se mettre la tête à l’envers», comme le clamera avec toute l’ingénuité de ses 24 ans, le demi de mêlée, Thomas Berjon, entre autre symbole d’une jeunesse à l’enthousiasme irrépressible qu’il a fini par envoyer par le fond un squad irlandais imaginant que l’expérience lui suffirait à se sortir du guêpier.
A quinze mois de la Coupe de monde
De sorte que la 27e finale européenne revient à La Rochelle et que plus personne ne songe à débiner une compétition qui, née en pleine pandémie, avait fait l’objet de toutes les critiques avec sa formule inédite où, dans la phase de poules, plusieurs matches avaient dû être annulés, certains déclarés perdus sur tapis vert par l’équipe «contaminée» et d’autres décrétés «nuls» selon des critères si opaques que de nombreuses voix avaient même jugé l’épreuve dénaturée, sinon décrédibilisée. Mais de tout cela, il n’est heureusement plus question au moment de saluer un vainqueur qui, doit-on le rappeler, avait déjà l’an dernier battu (chez lui, à Marcel Deflandre), le Leinster qui aura donc eu la mémoire courte.
Profil
La Rochelle championne d’Europe (quand bien même, en rugby la concurrence internationale ne reposerait que sur une petite demi-douzaine d’adversaires, provinces irlandaises et clubs anglais confondus), dans le sillage de Toulouse, en 2021 (et, jadis de Toulon et de Brive), la domination du rugby tricolore ne souffre cette année aucune contestation, après, vendredi soir au même endroit, la finale franco-française du Challenge européen (la «petite» épreuve) qui, autre surprise, a permis à Lyon de dominer Toulon (30-12), et bien, sûr, le sacre du XV de France remportant à la fin de l’hiver, au terme de douze années de disette, le Tournoi des 6 nations avec un Grand chelem à la clé. De la à conclure que les planètes continuent de s’aligner à quinze mois de la prochaine Coupe du monde organisée sur le sol français...