Débutée le 8 septembre, la Coupe du monde de rugby vient de mettre un terme à la phase de poules, laissant douze équipes sur le carreau, quand les huit autres s’apprêtent à disputer la phase finale sous forme de matchs à élimination directe. L’occasion de revenir sur un mois de compétition riche en émotions, avant de vibrer plus fort dès le week-end prochain pour les quarts de finale, qui verront les Bleus de Fabien Galthié «prêts à tout donner» face à l’Afrique du Sud dimanche.
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Les trois mousquetaires
Trois nations, l’Irlande, l’Afrique du Sud et la France, par ordre d’entrée au classement mondial avant l’ouverture de la compétition, dominaient déjà largement le rugby début septembre. Chacune a tenu son rang, se qualifiant sans trembler avec, dans l’ensemble, un niveau de jeu si élevé qu’on voit moins que jamais qui pourrait créer la surprise, sinon les All Blacks, légendes transgénérationnelles du rugby, déchues au rang d’outsiders, qui, obligatoirement mortifiées, ne tomberont (contre l’Irlande, en quart de finale) que les armes à la main. Chez elle, la France a maîtrisé son sujet, sans se créer de frayeur, avec des Ollivon, Penaud, Alldritt ou Ramos à la hauteur de l’événement. Un sourire au beau fixe… jusqu’à la grimace consécutive à la blessure du boss Antoine Dupont, qui a plongé tout le monde dans un abîme de conjectures.
Fidji, tube de l’automne ?
Dans un sport où, historiquement, une demi-douzaine de nations ne laissent aux autres que les miettes du festin, chaque (demi) surprise est la bienvenue. Début septembre, on misait une pièce sur la Géorgie et Fidji. Si les premiers ont déçu, les seconds, en revanche, ont apporté cette brise de fraîcheur salutaire, en faisant quasiment jeu égal avec le pays de Galles et, surtout, en dominant l’Australie, certes en mode zombie. Qualifiés archi-probables (sous réserve d’avoir pris au moins un point contre le Portugal, dimanche soir, après le bouclage de ce journal) pour la troisième fois de leur histoire en quart de finale, les Fidjiens, qui n’ont pas de psy mais un révérend dans leur staff, vont défier l’Angleterre. Une nation miraculée, au vu de ses piètres résultats depuis deux ans, dont il nous tarde de savoir si elle a vraiment repris des couleurs ou juste bénéficié d’un tirage au sort absurde (car effectué trois ans à l’avance !) qui l’a catapultée dans une des deux poules les plus faibles de l’épreuve.
La principale surprise de ce premier mois de joutes rugbystiques, c’est la très probable élimination de l’Australie (une première à ce stade en Coupe du monde)… sauf spectaculaire raté fidjien. Doubles vainqueurs de l’épreuve, les Wallabies n’ont jamais paru aussi faibles. Recruté après avoir entraîné l’Angleterre dans une impasse, Eddie Jones se retrouve derechef sur la sellette : honni par les médias, le sélectionneur avait choisi (par défaut ?) de miser sur la jeunesse. Un fiasco, à l’image de l’ouvreur Carter Gordon, un bêtisier à lui tout seul, qui a raté tout ce qu’il a tenté – à savoir, presque rien.
Ecarts de titans
Le constat ne date pas d’hier (cf. un Australie-Namibie soldé en 2003 à 142-0, ou un All Blacks-Japon à 145-17 en 1995 !) : un gouffre sépare les stars de l’ovalie des soutiers, qui viennent faire de la figuration – et se prendre des roustes. D’une lucidité cruellement ironique, le sélectionneur du Chili, Pablo Lemoine, parle lui de «clowns» et de «grands propriétaires». Résultat, des matchs déjà pliés avant le coup d’envoi, où l’avalanche d’essais, souvent spectaculaires car propices aux chevauchées, peine à masquer le manque d’adrénaline.
Des 40 matchs de poules, moins d’un quart se sont conclus avec un bonus défensif (synonyme de sept points d’écart au plus) pour le perdant, traduction irréfutable d’une différence de niveau abyssale qui finit par nuire à la crédibilité de l’épreuve – du moins dans la phase de poule. Pourquoi ne pas imaginer une épreuve resserrée à douze ou quinze nations, qui durerait aussi moins longtemps ? A l’exact inverse, World Rugby réfléchit pourtant à une prochaine coupe du monde à 24 équipes, au motif (hypocrite, fallacieux et mercantile – plus de pays, donc plus de diffuseurs, donc plus de… ) qu’il s’agit du seul contexte dans lequel les va-nu-pieds peuvent se frotter aux titans. Ce qui, à raison d’une leçon de rugby tous les quatre ans, ne fait bien évidemment pas avancer le schmilblick.
Dis, quand reviendras-tu ?
Promu héros national avant même le début de l’épreuve – et tête de gondole d’un sport qui vit désormais pleinement avec son époque, aux sens publicité, com et marketing du terme –, Antoine Dupont a quitté précipitamment ses partenaires à la 45e minute de France-Namibie, le 21 septembre à Marseille. Depuis, sans avoir fait médecine, tout le pays a un avis sur la manière de soigner une fracture maxillo-zygomatique qui ne fait rire personne. En 1972, Gotlib et Jacques Lob avaient imaginé Superdupont, un héros de bande dessinée capable de défendre les valeurs de l’Hexagone. Un demi-siècle plus tard, son quasi-homonyme est espéré comme le messie face à l’Afrique du Sud, champion du monde en titre, en quart de finale. Première étape de ce retour quasi-miraculeux, le feu vert donné ce lundi 9 octobre par le médecin qui l’a opéré pour son retour à l’entraînement.
Réussite logistique
Comme espéré et prévu, la Coupe du monde est bien une grande célébration, cordiale et bruyante, où, même au seuil du coma éthylique, le plus bourrin des supporteurs sait – une fois essorés les Pena Baiona, le Chasseur et autres Dans les yeux d’Emilie – ne pas dépasser le seuil de la chanson paillarde beuglée à l’unisson dans le métro ou le tram. L’organisation a été dans l’ensemble à la hauteur, les couacs des débuts ont été vite réglés, et les forces de sécurité, déployées massivement, se sont tourné les pouces (on a même vu des CRS en uniforme occupés à filmer les foules joyeuses avec leurs smartphones ou faire des mots fléchés entre deux camions garés).
Presque tous les stades ont fait le plein, de Lille à Toulouse, jusqu’à un Uruguay-Namibie sans aucun enjeu, à Lyon, où les protagonistes (parfois amateurs) ne devaient pas en croire leurs yeux de se retrouver devant quasiment 50 000 personnes. Revers de la médaille, le matraquage des «limonadiers» qui, à 12 euros la pinte autour du Stade de France (contre 8 à Lille), aimeraient sans doute que la Coupe reste pleine très longtemps. Côté télé, les audiences ont grimpé haut, TF1 dépassant les 15 millions pour le match d’ouverture, France-Nouvelle Zélande.
Le bunker, place forte de l’arbitrage
Apport technologique, l’assistance vidéo à l’arbitrage (apparue au début du XXIe siècle) s’accorde dorénavant huit minutes pour analyser à distance, dans un «bunker», des fautes qui, après re-re-re-re-visionnage, peuvent, sur le principe de la comparution immédiate, valoir à un joueur, d’abord exclu temporairement, de voir son carton passer du jaune au rouge. Cela évite que les rencontres soient trop hachées et, a priori, garantit une certaine équité.
A signaler aussi, dans un sport réputé violent, qu’il n’y a eu aucune bataille rangée – à peine une ou deux chamailleries «à l’ancienne» – ni geste délibérément agressif, les fautes les plus graves relevant toujours de l’erreur technique, du mauvais réflexe ou du «fait de jeu» fatidique. Ce qui ne les rend pas moins potentiellement dangereuses.
Coiffés aux poteaux
Si tous les joueurs n’excellent pas sur les ailes ou au cœur des rucks, il existe une autre manière de crever l’écran : la coiffure. Ainsi, chaque grande compétition internationale apporte-t-elle son lot de looks très hasardeux. A la longue, on a fini par se faire à la petite crête blonde et déplumée du pilier anglais Joe Marler, figure familière des joutes continentales. Voire aux singulières dreadlocks en couettes sautillantes du Japonais Shota Horie.
Mais, puisque leurs équipes ont quitté l’épreuve, c’est ici le moment ou jamais d’adresser un salut compassionnel à la calvitie contrariée par de longs cheveux qui pendouillent dans la nuque du pilier chilien Esteban Inostroza, à l’impossible mulet blond (ah ce mulet, qui anéantirait le pouvoir de séduction de Timothée Chalamet ou de Louis Garrel, mais continue de faire des ravages dans le sport et ailleurs) du demi de mêlée samoan, Jonathan Taumateine, ou à la grosse touffe peroxydée, juste à l’arrière du crâne, du pilier tongien Siegfried Fisi’ihoi. Entre autres cas perdus, jusqu’à nouvel ordre, pour la cause capillaire.
Le bobo jeu
Qu’on se blesse en match ou à l’entraînement, cela s’appelle les risques du métier (élevés, au rugby). Mais qu’un joueur chute dans l’escalier ou qu’une morsure d’araignée vous prive de terrain paraît plus insolite. Telle est pourtant la déveine qu’a connue le talonneur écossais David Cherry (qui venait de fêter sa première sélection, en jouant vingt-quatre minutes face à l’Afrique du Sud) tombé en plein jour de repos dans son hôtel à Nice, ou du deuxième ligne namibien, Johan Retief, 1m90, 110 kilos, sauvagement agressé au plexus (d’où, selon son coach, «gros abcès» et «petite opération»), à Aix-les-Bains, par une créature de quelques grammes et centimètres (dont la culpabilité n’a toutefois pas pu être formellement établie).
Actualisé le lundi 9 octobre avec la qualification des Fidji et le retour d’Antoine Dupont à l’entraînement