Un «management par la terreur». C’est l’expression qui revient le plus pour décrire ce qui se trame dans les bureaux du Groupement d’intérêt public France 2023, dit GIP 2023. L’organisme a été créé en 2018, avec pour mission de livrer en cinq ans la prochaine Coupe du monde de rugby organisée en France. Mission qui tourne au calvaire pour les 70 employés œuvrant sur le projet, à en croire une enquête de l’Equipe publiée dans son édition du mercredi et à la suite de laquelle le ministère des Sport a saisi l’inspection du travail, évoquant des «éléments préoccupants» liés au «climat social» au sein du comité.
La ministre des Sports et des JO, Amélie Oudéa-Castéra, a également saisi «le comité d’éthique du Groupement d’intérêt public» (GIP) du Mondial (8 septembre-28 octobre 2023), a ajouté son ministère dans un communiqué. «La ministre des Sports a pris connaissance des éléments préoccupants rapportés ce jour par le journal L’Equipe relatifs au climat social, aux relations de travail et à la gestion des équipes du GIP France 2023, en charge de l’organisation de la Coupe du monde de rugby», écrit la nouvelle ministre.
Le quotidien sportif a recueilli les témoignages, édifiants, d’une quinzaine de salariés. Plusieurs d’entre eux ont souffert du syndrome d’épuisement professionnel, d’autres de burn-out. «En ce moment, au moins six d’entre elles sont en arrêt de travail, la plupart pour surmenage, état anxio-dépressif…» précise le journal. Sur ces 70 employés, «une vingtaine» ont quitté leur poste et «au moins quatre autres» pourraient faire de même. Les démissions, départs négociés et arrêts maladies en série font que «des services entiers» se retrouveraient en sous-effectif. «La charge de travail pour ceux qui restent devient de plus en plus dingue, explique quelqu’un qui a jeté l’éponge. C’est le cercle vicieux», glisse un salarié sous couvert d’anonymat.
La ministre des Sports et des JO a saisi l’inspection du travail «pour faire toute la lumière sur cette situation». Elle veut que les conclusions de «ces investigations lui soient transmises le plus rapidement possible». «Les partenaires sociaux seront réunis dès demain (jeudi) par la direction générale du GIP et pleinement associés à cette démarche d’enquête et d’analyse.» Dans la foulée, la Fédération française de rugby (FFR), dirigée par Bernard Laporte, a annoncé convoquer le comité économique et social de France-2023 «afin que soit diligentée dans les meilleurs délais une enquête sociale». «La FFR s’associe à l’Etat dans sa volonté de faire toute la lumière sur la situation interne», a-t-elle ajouté.
«T’es qu’une sale petite conne»
En cause, notamment : «les accès de violence verbale» de Claude Atcher, 66 ans, ex-joueur de rugby reconverti directeur du GIP, et de sa cheffe de cabinet, Marie Houzot. «T’es qu’une sale petite conne», «pauvre merde», «t’arriveras à rien si tu ne te sors pas les doigts du cul» figurent parmi les insultes quotidiennes. «Un jour, un salarié a été tellement malmené et choqué qu’il s’est fait pipi dessus», rapporte l’Equipe.
A cela, il faut ajouter «les horaires de malade» (les bureaux, situés dans les locaux de la Maison de la Mutualité, dans le Ve arrondissement de Paris sont encore pleins à 23 heures), «les mails à pas d’heure, les coups de fil le week-end… Et si vous ne répondez pas, on saura vous faire culpabiliser. Le droit à la déconnexion n’est pas du tout respecté», raconte une victime. Claude Atcher aurait «perdu le sens des réalités» et se sentirait «tout-puissant, comme intouchable».
A l’Equipe, un salarié compare Atcher à Maximilien de Robespierre : «Chaque matin, on se demande qui il va décapiter.» Une autre personne avertit : «On sait que ça devient de pire en pire là-bas. […] Je suis persuadé que si ça continue, on aura un drame. […] Si on laisse faire, il y aura un mort.» Autre témoignage, non moins glaçant : «Je suis étonné que personne ne se soit jeté par-dessus la passerelle. Je n’ai jamais connu une ambiance comme celle-là… Des gens pleurent dans les toilettes.»
Où est la médecine du travail ?
Qui plus est, l’Equipe ajoute qu’il n’existe plus de médecine du travail au sein du GIP depuis le mois de janvier. Une absence de prestataire contraire à ce que prévoit le code du travail. Plusieurs salariés n’ont donc pas pu consulter ces derniers jours voire dernières semaines.
Ce n’est pas la première fois que le nom de Claude Atcher apparaît dans l’actualité. Début juin, l’Equipe révélait que le directeur général de la Coupe du monde de rugby 2023 serait jugé en septembre, avec Mohed Altrad et Bernard Laporte, dans le cadre des soupçons de favoritisme autour du sponsoring du XV de France. Il comparaîtra pour «recel d’abus de confiance», «abus de biens sociaux» et «travail dissimulé par dissimulation d’activité».
Selon une source proche de l’enquête, la justice soupçonne Claude Atcher d’avoir notamment bénéficié, entre 2017 et 2018 via des prestations inexistantes payées à sa société Score XV, d’environ 80 000 euros que Bernard Laporte aurait détournés au préjudice de la FFR.
Mis à jour à 21h40 : la ministre des Sports saisit l’inspection du travail.