Mine de rien, cela commençait à faire un bail qu’on n’avait plus parlé rugby à propos du XV de France. Une incongruité que les traditionnelles joutes internationales de novembre, désormais baptisées «Autumn Nations Series», s’évertueront à dissiper. Trois rencontres, séparées chacune d’une semaine, mais toutes au Stade de France – qui, les Jeux olympiques rangés sur l’étagère des souvenirs heureux, redevient le fief de la sélection nationale – figurent ainsi au dîner des Bleus, en formule entrée-plat-dessert : Japon (9 novembre), Nouvelle-Zélande (16 novembre) et Argentine (22 novembre).
Outsider et poil à gratter
Au chapitre sportif, le topo 2024 donnera à peu près ceci : 14e au classement mondial, le Japon a vu son étoile pâlir ces dernières années, devenant à l’hémisphère sud ce que l’Italie est à l’hémisphère nord : au mieux, un gros outsider rêvant de fric-frac, au pire, un faire-valoir souvent susceptible d’exploser en vol. Ce qui s’est encore vérifié le 26 octobre, quand, à domicile, il a encaissé dix essais (19-64) face à des All Blacks en démonstration. Ponctuellement capables d’initiatives endiablées, les (certes) Brave Blossoms ont un effectif trop juste – sur le plan technique et, plus encore, physique –, et le fait d’être coachés par le has been Eddie Jones nous conforte dans l’intuition que la soirée francilienne pourrait leur sembler longue si la France fait le job correctement.
Longtemps regardée comme une montagne quasi impossible à gravir, la Nouvelle-Zélande, elle, n’est plus «que» une équipe majeure, qu’une demi-douzaine d’adversaires, dont la France bien sûr, espèrent à chaque fois scalper. Après un Rugby Championship (le Tournoi des antipodes) très moyen (3 victoires, 3 défaites), les frères Barrett, Jordan, Savea et compagnie, viennent de retrouver le sourire en Europe, à l’issue d’un scénario miraculeux d’un succès (22-24) à Twickenham face à l’Angleterre. A Saint-Denis, les Bleus n’en resteront pas moins (légèrement) favoris.
Quant à l’Argentine, elle voudra tenir le rôle du poil à gratter si l’on se réfère au même Championship austral où, bien que 3e au classement final, les Pumas se sont accordé le droit de rêver (d’un premier sacre), jusqu’au dénouement, en allant défier l’Afrique du Sud chez elle. Toutefois, la sélection sud-américaine devra se passer de plusieurs éléments de valeur (Santiago Chocobares, Marcos Kremer…)
Impérieuse nécessité de redorer le blason
Reste maintenant la question essentielle de savoir où en est le XV de France, un an après le rêve évanoui d’une Coupe du monde perdue à la maison. Depuis, sur le terrain, les choses sont d’abord allées couci-couça, avec un Tournoi des six nations 2024 conclu sur une chanceuse (vu le jeu pratiqué) deuxième place, qui a au moins permis au staff de s’épargner une crise. Laquelle est cependant survenue début juillet, en coulisses, dans le cadre de cette tournée apocalyptique en Argentine qui a vu un joueur aviné (Melvyn Jaminet, suspendu depuis) se vautrer dans des propos racistes ; tandis que deux autres (Hugo Auradou et Oscar Jégou, aujourd’hui dans l’espoir d’un non-lieu, avec une audience fixée au 25 novembre) héritaient d’une accusation de viol aggravé.
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Une cata en termes d’image, aggravée au centuple début août par la noyade, lors d’une tournée en Afrique du Sud cette fois, du jeune Toulousain Medhi Narjissi, dans des circonstances où la responsabilité de l’encadrement paraît fortement engagée. Ajoutons la récente (et confortable) réélection du président de la FFR, Florian Grill, dans un contexte tendu (polémiques internes, gros trou dans les caisses…) et l’on comprend l’impérieuse nécessité du rugby tricolore de redorer son blason.
Retour du capitaine star
Point de vue discipline, une nouvelle charte a été établie. Dite «plan de performance renforcé», celle-ci égrène tout une série d’actions et de mesures dominées par le bon sens voulant que le haut niveau sportif ne tolère guère les écarts (a fortiori quand ceux-ci basculent dans le fait divers). Bonne nouvelle, les Bleus retrouvent après un an sans qu’il ait porté le maillot du XV de France, leur capitaine star, Antoine Dupont, qui, entre autres traits vertueux, arrondissait encore ses fins de mois, voici peu, en faisant de la pub pour une eau minérale.
Ce retour attendu acté, la feuille de match n’est pas dénuée d’enseignements, avec un petit tiers de noms qui ne faisaient pas partie du groupe de la Coupe du monde. Ainsi, d’Alexandre Roumat, Emilien Gailleton ou Emmanuel Meafou, laissant entendre que les regards commencent doucement à se tourner vers le prochain sommet mondial de 2027, en Australie – d’autant que d’autres valeurs montantes, comme Posolo Tuilagi ou Nicolas Depoortère, blessés, manquent à l’appel.
Une orientation qui, quoiqu’en dise le sélectionneur, Fabien Galthié («il y a une grande émulation», «c’est l’équipe la plus en forme du moment»… jusqu’au truisme ultime : «L’équipe de France est un projet collectif»), ressemble bien aux fondations d’une nouvelle ère. Laquelle comporte fatalement son lot de victimes collatérales, des oubliés Matthieu Jalibert et Baptiste Couilloud (qui vu leurs performances en clubs, sont en droit de déchanter), ou Charles Ollivon, ex-capitaine d’une indéfectible abnégation, invités à regarder le match à la télé (TF1, 21 h 10), au remplaçant, Gaël Fickou (90 sélections) qui, pour la première fois depuis presque cinq ans, perd sa place de titulaire. «Pas une rupture, mais une évolution naturelle», tranche Galthié, plus darwiniste que jamais.