Au parc de Bagatelle, dans la partie nord du bois de Boulogne, c’est l’affluence des grands jours, en ce dimanche de mars 1892. Deux mille personnes ont profité de l’arrivée du printemps pour se mettre au vert et assister à un après-midi sportif. Sur le pré, le Racing Club de France défie le Stade français pour la première finale du championnat de France de rugby. La foule est au rendez-vous. Les organisateurs veillent à ce que les spectateurs restent derrière les barrières en bois construites pour l’occasion. Les plus malins profitent de la cacophonie pour gagner une bâtisse qui borde le terrain, histoire de se hisser sur le toit et mieux apprécier le spectacle. Sur le rectangle vert, les joueurs du Racing, qui arborent déjà leur célèbre tunique aux rayures ciel et blanc, écoutent attentivement les consignes de l’arbitre du jour, le baron Pierre de Coubertin. La rencontre est âpre, serrée, entre les trente acteurs. Les joueurs des Hauts-de-Seine l’emportent finalement 4 à 3, et soulèvent, pour la première fois, le bouclier de Brennus. Le coup d’envoi de la rivalité entre les deux clubs majeurs de la région parisienne est donné.
129 années se sont écoulées et ce trophée, fixé sur une épaisse planche de bois, consacre encore le vainqueur du championnat de France de rugby. Un objet convoité dans tout l’hexagone, qui cristallise la rivalité entre les deux formations franciliennes dont l’histoire récente est émaillée de tensions.
Retour des derbys franciliens
Alors que la professionnalisation du rugby pointe le bout de son nez au milieu des années 90, les nuages commencent à recouvrir le ciel de Colombes. Le Racing, club historique encore champion en 1990, entame son inexorable descente. Les résultats sportifs sont décevants. En 1996, l’équipe est reléguée en deuxième division. Malgré une remontée express parmi l’élite, les désillusions s’enchaînent sur la pelouse du stade Yves-du-Manoir. Au printemps 2000, la formation des Hauts-de-Seine est de nouveau rétrogradée. Le club peine à retrouver son lustre d’antan. Son principal rival est sur une dynamique bien plus positive.
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Au tournant des années 2000, en quelques saisons, le Stade français du président Max Guazzini s’impose comme l’une des équipes incontournables de l’élite. Une période faste, ponctuée par plusieurs titres de champions de France (1998, 2000, 2003, 2004, entre autres). De l’autre côté du périphérique, le Racing 92 tente de se reconstruire. L’arrivée de Jacky Lorenzetti à la tête du club en 2006 marque un changement de dynamique, avec un budget bien plus conséquent. En 2009, le Racing remonte en Top 14. C’est le retour des derbys franciliens.
Les ciel et blanc parviennent à se hisser dans les hauteurs du classement. Encore mieux, le club glane un titre de champion en 2016. Mais l’histoire ne s’arrête pas là entre les deux mastodontes du rugby francilien, dont les routes se croisent à nouveau régulièrement. Deux épisodes récents ravivent la rivalité : l’échec du projet de fusion et le transfert récent de Gaël Fickou au Racing 92, officialisé en cours de saison.
La fusion avortée
Le 13 mars 2017, main dans la main, les deux présidents franciliens – Jacky Lorenzetti et Thomas Savare – organisent une conférence de presse pour une annonce importante. La raison ? Un projet de fusion est en cours d’élaboration entre les deux clubs d’Ile-de-France. Dans la foulée, le vice-capitaine des Stadistes, l’international Pascal Papé indique que «99,8% des joueurs ont déposé un préavis de grève illimité». Nombre de supporteurs du Stade français fustigent également l’initiative, croyant déceler un rachat déguisé en fusion. Le comité des anciens joueurs du Stade français démonte l’entreprise : «On ne jette pas l’anathème sur 135 ans d’histoire et 14 boucliers de Brennus. Personne n’a aujourd’hui le pouvoir de refermer un livre que tant d’hommes ont contribué à écrire.» Pour calmer la fronde, Jacky Lorenzetti, le président du Racing, s’empresse d’envoyer un courrier à tous les abonnés pour justifier son choix. Sans grand succès.
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Sous la pression populaire ainsi que d’anciens et actuels joueurs, les deux présidents décident de faire machine arrière. «Je ne m’attendais pas à une telle résistance, surtout en interne, indique alors Jacky Lorenzetti. En tout état de cause, les conditions sociales, politiques, culturelles, humaines, sportives ne sont pas remplies.» Même discours du côté de Thomas Savare, le président du Stade français, qui préfère lui aussi reculer. Impossible de balayer plus d’un siècle de rivalité d’un revers de la main. Interrogé par l’Equipe il y a une semaine, le Stadiste Jonathan Danty n’hésitait d’ailleurs pas à qualifier l’échec de ce projet de sa «plus belle victoire pour le club».
Le transfert qui irrite
La flamme est de nouveau ravivée en mars 2021. Alors que la saison bat son plein, Gaël Fickou, trois-quart centre du Stade français et des Bleus, est transféré chez les rivaux du Racing 92. Le transfert est rendu possible par l’allongement de la période de mutation jusqu’en avril, décidé par la Ligue nationale de rugby en raison du contexte sanitaire.
Interrogé par RMC Sport au mois de mai, Gaël Fickou est revenu sur cet épisode. Si le centre comprend la déception des supporteurs, il rappelle que son avenir a été entériné par les deux parties. Avant d’ajouter sur les conditions de son départ, et le rapport qu’il entretient avec ses anciens coéquipiers : «Le plus dur pour eux, c’était que je parte chez l’ennemi. Et c’est compréhensible.» Les retrouvailles, ce vendredi soir sur le terrain de l’Arena 92 en barrages pour les demi-finales du Top 14, promettent d’être musclées. Coup d’envoi à 20h45.