Peut-on imaginer le XV de France remporter un match avec quarante points d’écart et huit essais inscrits, tout en faisant la fine bouche ? Pas trop sans doute, quoique un peu quand même. Samedi 9 novembre, dans un Stade de France qui, faute d’afficher complet, avait carrément fermé la partie haute de ses tribunes, les Bleus recevaient donc le Japon. Un adversaire dorénavant sans grand relief (d’où les vides dans les travées), mais, justement, idéal pour emmagasiner de la confiance, car à la fois joueur (aucune pénalité tentée au pied), pas trop compliqué à canaliser et surtout toujours bon perdant (moralité : tout le monde aime le Japon, dont le tour d’honneur fut encore un modèle de déférence).
Rien, en somme, qui puisse inquiéter sérieusement les nations premium, supérieures dans tous les secteurs. Ce qui, à 52-12 TTC, fut donc, comme prévu, le cas pour le XV tricolore, de retour à Saint-Denis un an après ce terrible quart de finale de Coupe du monde perdu contre l’Afrique du Sud, dont il faudra bien quelques générations pour se remettre.
Victime expiatoire
La suite a déjà été maintes fois évoquée : un Tournoi des six nations en trompe-l’œil avec une place sur le podium (2e) guère conforme au jeu pratiqué. Puis cet enchaînement de désastres estivaux (joueurs accusés de viol et de propos racistes en tournée en Argentine, mort tragique d’un jeune espoir en Afrique du Sud), couronné par de fortes dissensions au sein de la Fédération française de rugby lors de la réélection, mi-octobre, de Florian Grill à la présidence.
On pouvait donc imaginer climat plus serein au moment, pour les Bleus, de rechausser les crampons dans le cadre des Autumn Nations Series, ces test-matchs de novembre qui, chaque année, voient les nations de l’hémisphère Sud venir se frotter à celles du Nord. Servi en amuse-bouche, le Japon avait dans ce contexte tout de la victime expiatoire. Un rôle qu’il tint assez consciencieusement, en permettant à ses hôtes de ne jamais éprouver la moindre inquiétude, après deux essais inscrits (le premier étant même offert) dans les dix premières minutes et, ce faisant, la certitude qu’à peine commencée, la rencontre était déjà pliée.
Difficile en ce sens de tirer des enseignements fiables, sinon que les Bleus, avec un score final qui taira les travers brouillons, ont su se montrer aussi solides en défense (aidés, il faut bien l’admettre, par un adversaire péchant trop souvent par maladresse) que réalistes en attaque, en profitant des espaces qu’ils parvenaient à se créer sans grande difficulté, comme de leur puissance. Symbole de cette crânerie, l’ailier de Bordeaux Louis Bielle-Biarrey a inscrit deux essais et, avec déjà douze sélections à 21 ans, semble indiquer la marche à suivre aux Théo Attissogbe (remplaçant de dernière minute de Damian Penaud, l’encore plus jeune Palois de 19 ans a su se montrer entreprenant, avant de devoir sortir sur blessure), le centre de Pau Emilien Gailleton (21 ans, très impliqué en défense et auteur d’un essai) ou Emmanuel Meafou (26 ans, le 2e ligne de Toulouse en Kevlar). Entre autres quasi néophytes pour qui le maillot frappé du coq a déjà un goût de reviens-y, au côté des cadres toulousains Antoine Dupont, Thomas Ramos ou Peato Mauvaka, également à leur avantage samedi, dans ce que Fabien Galthié qualifiera sans hyperbole de «bon match de préparation».
«Consistant et cohérent»
Tout en concédant «du déchet», le sélectionneur a ainsi précisé qu’après seulement «deux semaines» de travail en commun, son groupe avait su se montrer «consistant et cohérent». «Mais, a ajouté Galthié, avec un réalisme mâtiné d’une pointe d’humour, je ne suis pas sûr qu’on marquera à nouveau huit essais dans les matchs à venir.» Une référence même pas voilée au prochain adversaire des Bleus, samedi prochain, même endroit même heure : la Nouvelle-Zélande qui, après avoir laminé elle aussi le Japon sur l’air du «à vaincre sans peine…» (19-64), vient de dominer l’Angleterre (22-24) et, surtout, l’Irlande, à Dublin (13-23). «Les Blacks sont complets, homogènes et, après six mois de compétition, ils finissent fort leur saison», a analysé le sélectionneur tricolore, conscient qu’il faudra resserrer les boulons face à des hôtes d’une tout autre trempe que le Japon.