«Chaque match a son histoire», philosophait Laurent Labit, entraîneur des arrières, à quelques jours d’Ecosse-France, afin de minimiser la défaite assez sèche (32-19) des Bleus en Irlande, deux semaines auparavant. En clair, il fallait lire ceci : une (relative) contre-performance, a fortiori chez le leader du classement mondial, n’est pas la fin des haricots, surtout après quatorze succès consécutifs ; et l’idée phare était sans ambage de repartir de l’avant, à la manière du cavalier qui, tombé de sa monture, remonte aussitôt en selle. Mais, le truisme formulé, bien malin qui aurait été capable de prédire le scénario dominical, tant «faits de jeu» et hardiesse proverbiale de l’adversaire conjugués, on avait à peu près pour seule certitude celle de ne pas s’ennuyer.
Car l’équipe d’Ecosse qui entrait sur la pelouse du Stade de France ce dimanche glacial de février, en clôture de la troisième journée du Tournoi des 6 nations, n’était pas du tout celle qui, un an auparavant, à Murrayfield, n’avait pas fait le poids face au même adversaire (17-36). Longtemps à la traîne sur l’échiquier européen, le XV du Chardon est enfin redevenu durablement piquant. L’Angleterre battue en ouverture du Tournoi à domicile, ou Galles, balayé lors de la deuxième journée, en savent quelque chose. La France, moins, qui, consciente de la menace et soucieuse de redresser la barre, a surmonté l’écueil, cependant d’une façon limite paradoxale, en remportant une victoire bonifiée (cinq points de plus au classement), tout en s’étant fait des frayeurs jusqu’à la sirène.
De la promenade de santé au parcours du combattant
A 32-21, le score traduit d’un point de vue arithmétique le constat que les Bleus se sont «relevés» et que, d’après le sélectionneur, Fabien Galthié, ils n’ont «pas encore lâché un trophée» gagné l’an dernier avec brio, mais où ils restent cet hiver en ballottage défavorable (4e place, à égalité de points avec l’Angleterre et l’Ecosse). Il dit aussi que les Bleus ont retrouvé une petite ferveur offensive, tintée d’opportunisme, mais pas qu’ils ont souffert tout le match en conquête. Ni qu’ils n’ont jamais trouvé la solution dans ces ballons portés où l’Ecosse les a constamment surclassés. Ni que la discipline, secteur où l’on était naguère enclin à les imaginer au-dessus de tout soupçon, continue dorénavant de leur jouer des tours, suite, cette fois, à l’expulsion du Montpelliérain Mohamed Haouas qui, désireux de reconquérir un poste de pilier que Uini Atonio (suspendu) lui a chipé, a peut-être perdu en à peine un quart d’heure ses rêves internationaux, trois ans après un geste stupide aux conséquences similaires, face à ces mêmes Ecossais.
Juste avant, les Bleus avaient profité du surnombre après un premier carton rouge récolté par le Calédonien Grant Gilchrist. Si bien qu’à 19-0 au bout de vingt minutes pleines d’allant, une promenade de santé se dessinait qui, pourtant, se transformera inexorablement en parcours du combattant, soulagé en définitive de se sortir du guêpier sans autre piqûre que celle du rappel à l’ordre que c’est bien à la fin de la foire (d’empoigne) que l’on compte les bouses. Foire d’empoigne qui accouchera d’une sérieuse blessure pour l’inoxydable troisième ligne Anthony Jelonch, sorti à la 25e minute, faisant craindre une rupture du ligament croisé.
«Il y a du mieux, nous n’avons rien lâché dans l’intensité, ni le combat», a commenté à chaud Gaël Fickou, bien placé pour savoir de quoi il parlait car auteur, au terme d’une ultime charge, du quatrième et dernier essai qui vaut aux Bleus de gratter un point supplémentaire au classement. «Il y a eu beaucoup de points positifs dans le jeu, l’envie, les attitudes», a corroboré son capitaine, Antoine Dupont. Certes, mais de là à remettre les pendules à leur place, comme aurait dit Johnny… Seule certitude, pour l’heure : le Tournoi des six nations 2023 continue de fournir des moments exaltants avec, sur neuf rencontres déjà disputées, une seule indigente : celle qui a vu samedi l’Angleterre dominer Galles à Cardiff, 20-10. Largement de quoi apporter de l’eau au moulin des observateurs, inquiets du faible niveau du XV de la Rose, toujours capable pourtant d’exercer son pouvoir de nuisance face aux ennemis intimes tricolores qui, justement, se rendront à Twickenham dans deux semaines. Tandis que l’Ecosse, elle, mettra tout son cœur pour tenter de ruiner les espoirs de Grand Chelem de l’Irlande, seule équipe dorénavant capable de signer un sans-faute dans une compétition plus que jamais disséquée, à un peu plus de six mois de la Coupe du monde.