C’était il y a un an et six jours, précisément. Ce soir-là, l’équipe d’Angleterre coulait à pic, s’enfonçant si loin dans les abysses que les joueurs présents sur la pelouse vivaient un cauchemar éveillé comme on en connaît rarement dans une carrière. Défait 53-10 sur sa pelouse mythique de Twickenham, le XV de la Rose avait paru fané comme jamais, encaissant au passage sept essais, inscrits par un adversaire, la France en l’occurrence, qui, lui, semblait maîtriser son rugby avec une facilité si insolente qu’on lui promettait la lune.
On connaît la suite. A la faveur d’une Coupe du monde sans anicroche, conclue à une flatteuse troisième place, les Blancs ont repris des couleurs, le regain de vitalité culminant dans une récente victoire arrachée à l’Irlande, grandissime favorite du Tournoi des six nations. Quant aux Bleus, couverts d’ecchymoses, ils ont significativement perdu de leur superbe, jusqu’à frôler la banqueroute pure et simple en échappant miraculeusement à deux défaites qu’ils auraient pu concéder face à l’Ecosse, puis à l’Italie, avant de retrouver un sourire un peu forcé contre une équipe galloise en perdition.
Vitesse, l’audace et la solidarité tricolores
Ce préambule pour expliquer que le rapport de force semblait avoir significativement évolué, ce samedi 16 mars au Groupama Stadium de Lyon-Décines, à l’heure du coup d’envoi du 111e France-Angleterre de l’histoire du rugby. Un crunch en conclusion de l’édition 2024 du Tournoi des six nations qui, à défaut de couronner le vainqueur, allait au moins lui permettre de devenir le dauphin de l’Irlande qui, en fin d’après midi, s’était péniblement consolée face à l’Ecosse, 17-13, en remportant pour la deuxième année consécutive le Tournoi, mais sans Grand Chelem à cause de sa défaite une semaine auparavant en Angleterre.
Une indécision, sur le papier, qu’on pensait pendant toute la première mi-temps dissipée sur le gazon, avant que la tendance ne s’inverse, pour finalement sourire à la France grâce à une ultime pénalité de Ramos, sur la ligne médiane. A 33-31, et même en n’ayant planté «que» trois essais, contre quatre pour les Anglais, la France gagnait le droit de s’offrir un tour d’honneur, finissant le Tournoi a une avantageuse deuxième place, après avoir galéré durant ses cinq rencontres disputées, pour tantôt perdre lamentablement (contre l’Irlande), tantôt gagner dans la souffrance – un deuxième cas de figure qui, cela n’aura pas échappé aux amateurs de rugby, n’en est que plus savoureux quand le vaincu marri est l’Angleterre, contrainte de traduire en VF le fameux «Sorry Good Game».
Un dénouement rhodanien, en définitive, qui résume bien la situation actuelle des Bleus, capables de gros trous d’air (trois essais encaissés en quelques minutes, alors qu’ils dominaient aisément leur sujet), comme de séquences pleines de panache où, additionnées le temps de séquences fulgurantes, la vitesse, l’audace et la solidarité tricolores restent en mesure de faire sauter tous les verrous – et se lever les foules. «Nous avons su réagir dans les moments importants, même si tout n’a pas été parfait, mais on s’est fait peur», a admis Thomas Ramos au coup de sifflet final, sur France 2, l’ouvreur toulousain (habituellement arrière) condensant à lui seul le talent et les carences françaises, puisque signant dix-huit points au pied (y compris, donc, la pénalité de la gagne), tout ayant joué un rôle coupable dans les béances d’un système défensif pris à défaut pour la deuxième semaine de suite.
«Moments gravés à jamais»
Même si, à chaud, il demeure difficile de tirer des enseignements durables, on notera en outre que les deux derniers matches français du Tournoi qui, malgré d’évidentes imperfections, ont aussi été les plus revigorants, ont correspondu à l’intégration un rien «forcée» de vingtenaires qui, au début de la compétition, ne collaient pas à la priorité stratégique du sélectionneur. Ainsi, parmi les jeunes pousses ayant su tirer leur épingle du jeu, il faudra se souvenir du deuxième bon match consécutif comme titulaire du demi de mêlée du Racing 92, Nolann Le Garrec, ainsi que de la bonne performance à l’arrière du Parisien, Léo Barré, récompensé par un premier essai personnel, après avoir déjà signé une énorme percée qui permettra d’envoyer Le Garrec également sur un nuage. «Des moments gravés à jamais», savourera le joueur du Stade Français qui a donc su incarner cette relève sur laquelle – en sus des retours d’Antoine Dupont ou Romain Ntamack – la France devra forcément compter, à mesure que se profilera la prochaine échéance mondiale, en Australie, en 2027. En espérant bien sûr que d’ici là, l’armoire à trophée se remplisse un peu car, si la France stationne depuis cinq ans dans les deux premières places du Tournoi, elle ne l’a pour autant remporté qu’une fois (en 2022) depuis que Fabien Galthié a pris les rênes en clamant d’emblée (en 2019) l’ambition de «gagner des titres».
«Ça n’est pas la fin du Tournoi, mais le début de quelque chose d’autre», a conclu le sélectionneur, critiqué depuis que la Coupe du monde made in France a tourné en eau de boudin, mais qui, à la faveur d’une compétition européenne ayant carrément souri à ses troupes dans les nombreux moments critiques, où tout (ou presque) a failli être remis en question, a gagné du répit, à défaut d’une nouvelle épreuve.