Quand bien même n’accorderait-on qu’une valeur symbolique à un classement établi après une seule journée de compétition, il faut bien admettre que le 0 pointé de la France faisait tache au soir du lancement de l’édition 2024 du Tournoi des six nations. Même l’Italie et le Pays de Galles, qui avaient grappillé des points de bonus se retrouvaient ainsi à devancer le XV tricolore, sèchement battu en ouverture, à Marseille, par une équipe d’Irlande qui, en vérité, jamais ne trembla devant un adversaire aussi inopinément pâlichon.
La suite, on la connaît : une semaine passée à tenter de désamorcer les signes avant-coureurs d’un psychodrame avec un encadrement affirmant qu’il ne fallait rien changer pour autant, sinon à la marge, tout en concédant cependant la nécessité absolue de redresser la barre au plus vite, sous réserve de vivre le premier avis de tempête depuis que Fabien Galthié et son staff – ce dernier ayant été en bonne partie remanié après la Coupe du monde – se sont mis à nouveau à rêver tout haut d’une Arcadie dont on aura en définitive jamais aperçu que le rivage, cet automne de toutes les désillusions.
L’essentiel est sauf
Place donc à l’épisode 2 et cette traversée vers Edimbourg qui, si elle ne s’annonçait pas de tout repos – les locaux ayant remporté trois des sept précédentes oppositions –, devait pourtant relancer les promesses de jours heureux. «Proposer du jeu et défendre», suggérait avant le coup d’envoi le capitaine français (né de père écossais), Grégory Alldritt. Au lieu de quoi, écrire que les Bleus ont gagné dans la douleur relèvera du pur euphémisme : à 16-20, l’essentiel est sauf. Mais, pour une fois, on ne devrait pas trop entendre l’antienne chauvine, hurlant au complot anglo-saxon du corps arbitral contre la France, s’agissant d’une victoire qui se sera jouée sur l’ultime action où, au terme d’un interminable suspense vidéo, l’essai que croyaient bien avoir inscrit les Ecossais après plusieurs charges XXL sera refusé… Sans que quiconque puisse affirmer à 100 % si cette décision était la bonne, ou pas. Incrédules, les Ecossais, qui n’auront pas su concrétiser leurs deux énormes temps forts en fin de première et de deuxième mi-temps, n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer ; tandis que les bonds de joie des Bleus révélaient un soulagement à la hauteur des frayeurs qu’ils se seront faits quasiment quatre-vingts minutes durant.
Faut il dès lors parler d’un miracle à Murrayfield ? Oui, carrément, puisque, menés soixante-dix minutes durant, la France n’aura dû en définitive qu’à un exploit du jeune ailier Louis Bielle-Biarrey et, aussi, un coaching plutôt inspiré – avec notamment l’entrée du demi de mêlée du Racing 92 Nolann Le Garrec, apportant enfin de la fraîcheur et du culot, à la place d’un Maxime Lucu, transparent pour la deuxième semaine consécutive – d’échapper à l’humiliation d’une nouvelle défaite, qui, à coup sûr, aurait généré la première crise de l’ère Galthié entamée voici maintenant quatre ans.
«Rester humble»
Un sélectionneur, qu’on s’étonnait par exemple d’entendre à la mi-temps se déclarer «très satisfait» de ses joueurs, qu’on avait pourtant bien cru voir fébriles, approximatifs, maladroits, alors qu’en face, l’Ecosse, conduite par un Finn Russell des grands jours, confirmait qu’elle entendait jouer crânement toutes les opportunités qui s’offraient à elle de signer une deuxième victoire de suite dans un Tournoi qu’elle n’a jamais remporté depuis le début du XXIe siècle.
Il faut «rester humble» a, au coup de sifflet final, admis le capitaine tricolore, Grégory Alldritt, sorti en début de deuxième mi-temps en raison d’une plaie à la cuisse. Trop souvent pénalisés (cf le carton jaune du pilier rochelais, Uini Atonio), nettement dominés en touche (pour le deuxième match consécutif), commettant trop de fautes de main, englués dans un jeu d’occupation stérile finissant par faire planer un soupçon d’impuissance, toujours orphelins d’une charnière toulousaine que son homologue bordelaise fait un peu plus regretter à chaque sortie, les Tricolores ont donc sauvé l’essentiel. Dans deux semaines, la France pourra se défouler à Lille, contre l’Italie, et ainsi tâcher d’offrir de nouveaux signes d’embellie, en attendant d’aller vraiment mieux. Quant à l’arbitre australien, Nic Berry, et ses collègues retranchés dans le bien nommé bunker, contrairement à certains de leurs homologues, ils pourront toujours envisager, si ça leur chante, de venir passer des vacances dans l’Hexagone, sans craindre la moindre représaille.