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Ski en Algérie : à Chréa, un cirque blanc pour pieds-noirs

RetroNews Sportsdossier
Dans les années 1920 et 1930, on skiait en Algérie à quelques dizaines de kilomètres d’Alger. Sur les pistes, on participait même à des compétions où s’affrontaient le Ski-Club d’Alger et celui de Tikjad.
Carte postale non datée de skieurs à Chréa.
publié le 1er mai 2021 à 14h16

Tous les quinze jours avec RétroNews, le site de presse de la BNF, retour sur une histoire de sports telle que l’a racontée la presse de l’époque. Ce samedi, visite d’une station de ski algérienne très populaire dans la première moitie du XXe siècle.

Et si le comble du snobisme n’était pas d’aller skier à Chamonix, Gstaad (Suisse), Glencoe (Ecosse) ou Mauna Kea (Hawaï), mais à Chréa, en Algérie ? Qui peut revendiquer le titre de première – historiquement parlant – station sur le continent africain ? Elle est sise à une dizaine de kilomètres de Blida, «la ville des roses». Le Matin l’évoque le 25 février 1911. «La pratique du ski, sport autant gracieux qu’audacieux, paraissait ne devoir jamais s’implanter en Algérie, non point que la neige ne tombe en abondance chaque hiver sur l’Atlas, mais parce que, habitués à la température tempérée du climat algérien, les gens du pays ne voulaient affronter la froidure.» On y organise même des compétitions, raconte le journal : «Le deuxième concours de ski organisé par le “Ski Club” et le comité d’initiative de Blida a eu lieu (…) au col de Chréa, à 1 455 mètres d’altitude (…), dans la magnifique forêt de cèdres qui couronne l’Atlas blidéen. Il a été très réussi et suivi avec un vif intérêt paru une foule nombreuse de touristes venus d’Alger.»

L’Echo d’Alger du 22 juin 1912 annonce une «Excursion à Chréa-Station» organisée par le Touring Club d’Algérie pour le dimanche suivant. Si le trajet d’Alger à Blida s’effectue en train, l’ascension s’effectuera, elle, à dos de mulet.

A l’hiver 1923, la saison de ski bat son plein, raconte l’Echo d’Alger du 17 février. «Bientôt, Chréa comptera parmi les stations de ski les plus fréquentées. Rien d’étonnant à cela quand on saura qu’il y a actuellement plus de deux de neige (il y en a eu près de 5 mètres). » De quoi faire saliver les stations alpines. «Dans les plus courues de la métropole, la couche est beaucoup moins importante: 0,50 mètre à Chamonix, 0,50 à Cauterets... [...] Que ceux qui veulent aller respirer un air des plus vivifiants, passer une journée des plus agréables au milieu de paysages grandioses n’hésitent pas. Ils trouveront à l’hôtel des Cèdres et du col de Chréa, l’accueil le plus charmant, l’hospitalité la plus française et une table des mieux garnies qui font honneur au sympathique Gély, qui consacre toute son activité, malgré de nombreuses blessures de guerre, au lancement de Chréa comme station de sports d’hiver de l’Afrique du Nord.»

Le blog Blida Nostalgie situe qui est Gelly : «Après la guerre de 14-18, un Blidéen, Gabriel Gelly, ayant été gravement gazé, se voit recommander la montagne, l’air pur, en un mot, l’altitude. Ne pouvant aller vivre en France, il a l’idée de planter sa tente à Chréa. Ce, au sens propre du terme. Il vit sous une guitoune. De nombreux chasseurs viennent à Chréa dont les alentours sont très giboyeux et Gabriel Gelly a alors l’idée de tenir une sorte de cantine. Puis, quelques skieurs se risquent à monter, sac et skis sur le dos, car la route carrossable s’arrête aux Glacières, pour le plaisir de glissades bien modestes. Gabriel Gelly, connu de tous sous le nom amical de Père Gelly, fait construire le premier hôtel restaurant, le seul à l’époque, l’Hôtel des Cèdres. Dans le même temps, vers la fin des années 1920, on construit également le Ski-Club. Dans les années 1930, la station se couvre de villas et chalets : elle est lancée.»

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L’hebdomadaire l’Afrique du nord illustrée du 9 mars 1923 affiche en une une photo qu’on pourrait penser avoir été prise dans le Tyrol. Non, c’est Chréa. «L’Afrique du Nord pittoresque, légende le journal. Tandis que les capitales bénéficient d’une température des plus douces, sur les hauteurs de Chréa, à 50 kilomètres d’Alger, les amateurs de ski peuvent donner libre cours à leur sport favori.» «La station a failli être victime de son succès, relate le journal en pages intérieures. Sous l’impulsion de son dévoué et sympathique président, le docteur Granger, le Ski-Club d’Alger a pris ces dernières années un essor étonnant. A tel point que l’installation établie au col de Chréa devint bientôt insuffisante et que la création d’un nouveau refuge, pourvu de tous les aménagements et du confort désirables, fut décidée. Il a été inauguré dimanche en présence de M. J. Causeret, secrétaire général du gouvernement et d’une nombreuse affluence de sportsmen et sportswomen.»


«C’est, lorsque la neige s’étale aux pieds des cèdres en une couche épaisse, un plaisir d’autant plus grand qu’il donne pour un instant, aux Algérois, l’illusion des Vosges ou de la Suisse.»

—  «L'Echo d'Alger» du 7 novembre 1923

«Certes, ce n’est qu’un début, un début timide de l’hiver, mais il a suffi pour faire entrevoir aux nombreux amateurs de sports d’hiver que compte Alger la possibilité proche des courses de ski et des descentes en luge sur les pentes de Chréa, se réjouit l’Echo d’Alger, le 7 novembre 1923. Chréa, c’est à proximité d’Alger, à deux petites heures d’auto, une journée d’alpinisme facile, d’altitude, d’air pur et frais ; c’est, lorsque la neige s’étale aux pieds des cèdres en une couche épaisse, un plaisir d’autant plus grand qu’il donne pour un instant, aux Algérois, l’illusion des Vosges ou de la Suisse. J’ai pensé aux beaux dimanches clairs et reposants que nous pourrons avoir, cet hiver, là-haut, autour de ce Chalet des cèdres, coquet et confortable, que construisit seul, – à la fois maçon, menuisier et ébéniste – le sympathique restaurateur Gély.»

«Pénurie de moyens de transports»

En Algérie, on ne skie pas qu’à Chréa dans les années 1930. L’Echo d’Alger du 10 janvier 1935 informe que «la saison des sports d’hiver est ouverte dans le Djurdjura» : «Les deux pistes de Tizi-Djemaâ et d’Aït-Larbi situées à 1 200 mètres d’altitude, sont ouvertes par le Ski-Club.» C’est le président de l’association qui assure la promotion de la station, carte des pistes à l’appui, fournissant moult détails pour y accéder. «Les amateurs d’excursions dans les montagnes recouvertes de neige pourront, de la route nationale n°15, se rendre au col de Tirourda et de là, en suivant sur 4 kilomètres 500 le chemin des crêtes, en direction du col de Chellata, se rapprocher du pic de l’Azerou N’Tohor ; les plus hardis pourront même atteindre le marabout qui se trouve construit à son sommet. Leurs efforts seront récompensés par la vue magnifique qu’ils auront de cet endroit sur la plaine du Sébaou et les montagnes des Beni Djennad longeant la mer.»

Les pistes algériennes n’accueillent pas seulement des vacanciers. Des compétitions y sont organisées, comme le rapporte l’Echo d’Alger du 21 février 1938. Elles sont le théâtre de la rivalité entre le Ski-Club de Tikjda (dans le massif du Djurdjura) et le Ski-Club algérien. «Vingt-quatre concurrents s’alignèrent au départ. Les équipiers du SCT, mieux entraînés et peut-être aussi plus audacieux sans négliger le style, confirmèrent sur ceux du SCA la supériorité montrée lors des récentes épreuves similaires.»

L’année suivante, le SCA s’impose grâce à Saurat. «Le sympathique champion a pris une belle revanche des championnats de l’Afrique du Nord et confirmé son succès aux championnats du Maroc, relate l’Echo d’Alger du 24 avril. Il enleva hier avec brio la course de descente dont le départ fut donné au sommet du pic N’Cennad, soit à 2 150 m d’altitude.» Même pendant la guerre, les skieurs algériens ne désarment pas. «Un concours de slalom ouvert à tous les licenciés de la Fédération de ski se dispute dimanche à Chréa, titre l’Echo du 6 février 1941. Malgré la pénurie absolue des moyens de transport, les courageux skieurs algérois organisent dimanche une épreuve intéressante individuelle dotée par le sympathique mécène des sports d’hiver, M. Chamoux.»

Suite de l’histoire. En 2018, à l’occasion des JO d’hiver à Pyeongchang (Corée du Sud), le Point s’en était allé à Chréa à la rencontre des skieurs algériens. «La Fédération algérienne de ski et des sports de montagne (FASSM, 1500 licenciés) a été créée immédiatement après l’indépendance et le ski connaît son apogée dans les années 1970 et 1980, se souvient Amar Kadouche, son actuel président», renseigne l’hebdo. Qui poursuit : «Tous les week-ends pourtant, une longue file de voitures, venues de toute l’Algérie, serpente sur les 19 km de lacets de l’étroite RN 37 qui mène à Chréa, nichée au milieu de forêts de cèdres. Sur l’unique “piste”, la multitude de luges en bois chevauchées en tous sens par adolescents et familles ont relégué au sommet de la pente les rares skieurs. Ils slaloment entre quelques piquets avant de remonter à pied, skis sur l’épaule, longeant le tire-fesses à l’arrêt depuis près de vingt-cinq ans, comme le télésiège menant à un autre massif.» Dans un article récent (12 janvier), le site Tout sur l’Algérie (TSA) retrace son histoire et raconte la station contemporaine : «La pratique du ski se poursuit aujourd’hui. Mais elle ne dure que quelques jours, conséquence des changements climatiques dans le monde. Qu’à cela ne tienne ! Dès l’apparition des premiers flocons, les pratiquants courent vers les remises et greniers pour récupérer leurs skis et les nettoyer. Une fois cette tâche accomplie, on grimpe dare-dare vers les pistes des cimes de Chréa.»