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Grogne

«Certains sont là pour foutre le bordel» ou «ça amène du piment» : le public parisien divise Roland-Garros

Roland-Garros 2024dossier
Chahutés parfois jusqu’à la limite de l’acceptable, plusieurs joueurs se plaignent de la ferveur excessive de certains supporteurs français. Les organisateurs ont rappelé le public à l’ordre ce jeudi 30 mai, et décidé d’interdire l’alcool en tribunes.
Bon nombre de joueurs plébiscitent une ambiance plus chaude, dans un sport parfois jugé trop feutré. (Valentin Izzo/Hans Lucas. AFP)
publié le 30 mai 2024 à 19h39

Dans les coursives de Roland, on l’appelle «l’affaire Goffin». Du nom de David Goffin, tennisman belge difficile vainqueur mardi 28 mai du Français Giovanni Mpetshi Perricard au 1er tour. La rencontre se déroulait sur le court 14, à la réputation de chaudron prêt à déborder, qui plus est lorsqu’un Français est au programme. Autant dire que l’ambiance de ce mardi soir était incandescente. Trop, pour Goffin. A la fin du match, l’ex-top 10 a porté la main à son oreille, histoire de signifier son mécontentement au public. «Quand on se fait insulter pendant trois heures et demie, il faut bien charrier un peu le public. Clairement, ça va trop loin, c’est de l’irrespect total. Ça devient du foot, bientôt il y aura des fumigènes, des hooligans et ça se battra dans les tribunes. Certains sont plus là pour foutre le bordel que pour mettre l’ambiance», fulminait le Belge en conférence de presse. «Quelqu’un [m’]a craché son chewing-gum», a-t-il ajouté. «Je n’aimerais pas être confronté à pareille situation, a soufflé le Grec Stéfanos Tsitsipás. C’est vraiment surprenant la manière dont les gens peuvent se conduire dans un sport de gentleman comme le tennis.»

L’alcool interdit en tribunes

Dans la soirée de mercredi, c’était au tour d’Iga Swiatek, patronne du circuit et reine incontestée de la terre battue, de remettre en place certains irrespectueux présents sur le Philippe-Chatrier. «C’est sérieux pour nous. […] Les enjeux sont importants, nous jouons pour beaucoup d’argent. Soutenez-nous avant les échanges mais pas pendant», a demandé posément la Polonaise au micro. D’autres moments chauds avaient eu lieu lors des qualifications. Adversaire de Quentin Halys, l’Argentin Diego Schwartzman avait ainsi été chahuté par des spectateurs. Au point que l’arbitre avait appelé la sécurité.

De l’excédent de ferveur, alimentée par les humeurs éruptives de certains indisciplinés, c’est monnaie courante Porte d’Auteuil. L’an passé, l’Américain Taylor Fritz n’avait même pas pu faire son interview d’après match sur le Central tant sa voix était recouverte par les huées descendant des travées. Conspué pendant toute la rencontre de night session face au Français Arthur Rinderknech, il avait fini par poser un doigt sur sa bouche juste après avoir remporté la balle de match.

Cette fois, le coup du chewing-gum a quand même dû échauder les organisateurs. Le lendemain, la direction du tournoi a rappelé les règles de bienséance les spectateurs. Ce jeudi 30 mai, sa directrice, Amélie Mauresmo, a assuré que «s’il y a le moindre comportement au-delà de la limite, ça sera la sortie». Chaque débordement sera jugé au cas par cas. «Jeter quelque chose sur un joueur, c’est out, on sort. S’exprimer en cours de point, c’est non, on va essayer de limiter ça au maximum. Les arbitres, ils ont des consignes encore plus serrées, encore plus précises.» L’ex-numéro 1 française admet néanmoins que réussir «à identifier la personne, ce n’est pas toujours évident». Pour se prémunir de nouveaux charivaris incontrôlés, la consommation d’alcool en tribunes est désormais interdite. Des messages seront également diffusés sur les écrans des courts, puis rappelés par les arbitres avant le début des parties.

«Ambiance malsaine»

«Beaucoup de gens se plaignent, beaucoup d’arbitres estiment qu’il y a beaucoup d’irrespect. C’est l’écho qu’il y a dans les vestiaires et dans les instances de l’ATP», ne décolérait pas David Goffin, pour qui «ça ne se passe qu’en France […] Ici, c’est vraiment une ambiance malsaine». Vraiment ? Si le public londonien cultive une réputation de bon élève, pas certain que ce soit le cas sur les deux autres tournois du Grand Chelem. A l’Open d’Australie 2022, Arthur Rinderknech avait dû surmonter l’hostilité des aficionados locaux pour venir à bout de Alexei Popyrin.

Pour beaucoup, la palme du public le plus hostile revient à celui de l’US Open, chaque année coutumier des polémiques. Lors de l’édition 2022, Anett Kontaveit avait quitté le court Arthur-Ashe en larmes après sa défaite contre Serena Williams, poussée comme jamais pour sa dernière danse. En 2022, Laura Siegemund avait les yeux embués après avoir été malmenée par le public lors de sa confrontation avec la locale Coco Gauff. «Le public n’a eu aucun respect pour moi, aucun respect pour ma façon de jouer, pour la joueuse que je suis. Je n’ai jamais vu ça dans aucun autre pays», s’était émue l’Allemande.

Rien à voir non plus, pour Lucas Pouille, avec les ambiances de Coupe Davis. «Quand vous jouez un Argentin en Argentine, un Chilien au Chili… Contre les Italiens en Coupe Davis, on prenait des doigts d’honneur. Je les trouve plutôt calmes ici», assuré le tricolore au micro d’Eurosport, pour qui «ça amène du piment à un sport qui parfois peut être plat».

«Rien à faire sur un court de tennis»

Bon nombre de joueurs plébiscitent d’ailleurs ce genre d’ambiance, dans un sport parfois jugé trop feutré. L’Américain Ben Shelton a plutôt apprécié la passion des gradins lors de son succès lundi contre Hugo Gaston. «Honnêtement, cela me motive et me donne une énergie incroyable. Je sais que si je joue en France contre un Français, l’ambiance sera dingue et ça me plaît beaucoup.» Côté Bleus, forcément, on a tendance à se réjouir de ces soutiens parfois salvateurs. «Ça galvanise, ça te porte et ça tape sur le système de l’adversaire. Quand tu as des moments un peu durs, c’est important de les avoir», acquiesce Richard Gasquet.

Corentin Moutet note que «le public commence à être différent, plus jeune», estime lui «que plus il y a de l’ambiance, mieux c’est pour le tennis». A Roland, où les rencontres se déroulent au rythme des mini-fanfares, deux nouveaux groupes de supporteurs se distinguent. Le «Koc», qui s’est fait connaître en janvier à l’Open d’Australie, à fond derrière Arthur Cazaux jusqu’en huitième de finale. Et la «Tribune Bleue», dont Chloé Paquet a salué l’exaltation maîtrisée cette semaine : «C’est un groupe de supporteurs incroyables, hyperproches des joueurs.»

Les enthousiastes de la «Tribune bleue» étaient d’ailleurs là, sur le court 14, pour soutenir le Français Mpetshi Perricard. «Choqué» par le comportement de certains qu’il «désapprouve», le groupe a publié un communiqué pour démentir toute forme de responsabilité. «Nous rappelons constamment aux nouveaux arrivants les règles à respecter. Certains individus irresponsables n’ont rien à faire sur un court de tennis. […] Respecter les adversaires, les arbitres et les règles est au cœur de notre projet et de nos valeurs, ont-ils pu écrire dans ce message relayé sur les réseaux sociaux. Nous espérons que ce message contribuera à changer le comportement des quelques individus irresponsables.» Nul doute que Goffin et le reste du circuit l’espèrent aussi.