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Corentin Moutet, dernier Français en lice à Roland-Garros : un «magicien» des courts et des coups de gueule

Roland-Garros 2024dossier
Longtemps blessé, boycotté depuis 2022 par la Fédération française pour son comportement parfois excessif, le 79e joueur mondial jouera ce dimanche 2 juin, contre toute attente, les huitièmes de finale du tournoi parisien. Il est le dernier Français dans la compétition côté homme.
Corentin Moutet face à Alexander Shevchenko le 30 mai 2024. Amorties, lobs, revers chopés, accélérations, grandes cloches : son jeu est probablement le plus varié du circuit. ( Anne-Christine Poujoulat/AFP)
publié le 1er juin 2024 à 16h15
(mis à jour le 1er juin 2024 à 20h44)

C’est devenu un rituel. Une petite phrase que les fans attendent comme des enfants à qui on a promis une sucrerie. A chaque fin de match depuis le début de Roland-Garros, Corentin Moutet commence ses interviews sur le court par le même gimmick, emprunté au combattant de MMA Cédric Doumbè : «J’avais dit quoiiii ?» A chaque fois, le public explose et un grand sourire se dessine sur le visage du tennisman de 25 ans. Corentin Moutet, premier Français qualifié pour un huitième de finale à Paris depuis quatre ans après sa victoire vendredi soir contre Sebastian Ofner, est ainsi : mi-joueur de tennis mi-showman.

Porte d’Auteuil, les supporteurs le lui rendent bien. Quand le Français est sur le court, les tribunes tremblent et le public gronde. Son nom est scandé entre les points, on l’acclame comme un dictateur. Il faut dire que son jeu, probablement le plus varié du circuit, se prête aux enflammades. Amorties, lobs, revers chopés, accélérations, grandes cloches : tout y passe. Jusqu’aux services à la cuillère, sa spécialité. Face à Sebastian Ofner, il en a tenté douze (pour neuf points gagnés). Personne sur le circuit ne fait mieux. «Sur le court, c’est un magicien. Son service à la cuillère est probablement le meilleur de tous les temps, s’enflammait vendredi soir auprès de Libé son coach, le Serbe Petar Popović. Il en fait des dizaines à chaque entraînement, à chaque fois ça tombe juste derrière le filet et il ne rate presque jamais.»

Affronter Corentin Moutet est un énorme casse-tête. Ses rencontres ressemblent à des longues parties d’échecs durant lesquelles il avance petit à petit ses pions. Sur le court, on prend un malin plaisir à le voir user ses adversaires, qui se débattent longtemps avant d’abdiquer. Quand ils ne craquent pas physiquement, épuisés d’avoir à courir dans tous les sens, c’est mentalement qu’ils lâchent. Voir la balle revenir en permanence peut rendre fou. Le Kazakh Alexander Shevchenko, qui a éclaté en deux sa raquette de rage jeudi soir face au Français, peut en témoigner.

Une «tempête» traversée en 2023

Reste que malgré son répertoire ultra-complet, Corentin Moutet ne pointait avant le début de Roland-Garros qu’à la 79e place au classement ATP. La faute, notamment, à une blessure au poignet droit qui l’a séché dans sa progression, lui qui avait rallié les huitièmes de finale à l’US Open en 2022. Opéré début 2023, le gaucher au revers à deux mains a été contraint pendant une saison de les taper à une seule. Amputé de toute une partie de son répertoire tennistique, le Français avait dégringolé au 173e rang mondial en fin d’année dernière.

«C’était une longue période, un moment compliqué, une tempête qu’on a traversée tous ensemble avec mon équipe. Mais ça m’a forgé», racontait-il vendredi soir après son match. «L’année dernière était vraiment difficile, confirme son entraîneur. Il n’a recommencé à jouer des revers que depuis deux mois, d’abord tout doucement. Ça revient petit à petit.»

Sur le court, le gamin de Neuilly-sur-Seine doit aussi lutter contre ses démons. S’il se transcende quand il est porté par le public – «Je vis pour ces moments-là qui sont rares dans une saison» –, il peine à trouver la motivation lorsqu’il s’aligne sur des plus petits tournois. Les gradins clairsemés, voire totalement vides, ce n’est pas pour lui.

Joueur intense sur les terrains, Corentin Moutet peut aussi être dépassé par ses émotions. Il suffit de quelques coups ratés ou d’une décision arbitrale en sa défaveur pour qu’il s’enferme dans une spirale négative. Jusqu’à se saborder. «Au quotidien, il est hypergentil, c’est vraiment un mec super simple. Mais sur le terrain, en match, il peut être un peu plus compliqué», reconnaît Petar Popović.

La FFT n’en voulait plus

Il arrive même à celui qui trouve un exutoire dans la littérature et le rap (il a sorti un EP en 2020) d’aller carrément trop loin. Dernier exemple en date ce vendredi, quand il s’est mis à hurler sur un juge de ligne qui ne s’était pas assez décalé, selon lui, pendant un point. Dans sa jeunesse, ses excès de colère ont failli lui valoir une suspension du circuit international junior. A l’automne 2022, c’est carrément la Fédération française de tennis qui lui claque la porte au nez, en l’évinçant de l’ensemble des structures fédérales. Il y a perdu son coach et de précieuses aides financières. Raison invoquée par la fédé : Corentin Moutet «ne correspond pas aux valeurs que la FFT veut transmettre». Le Français s’était cette année-là tristement distingué pour avoir insulté un arbitre en Australie, avant, quelques mois plus tard, de tenter d’en venir aux mains avec son adversaire après une défaite à Orléans.

Vendredi soir, la fédération semblait étonnamment moins remontée contre lui. On a vu Amélie Mauresmo, la directrice du tournoi, et Gilles Moretton, le patron de la FFT, aux premières loges pour l’applaudir après sa victoire. Mieux vaut qu’il en soit ainsi : en se qualifiant pour les huitièmes de finale, Corentin Moutet a pratiquement composté son billet pour les Jeux olympiques (à condition qu’Adrian Mannarino, mieux classé, confirme qu’il ne souhaite pas y participer).

Avant de penser à porter le maillot bleu en juillet porte d’Auteuil – «le rêve d’une vie», dit-il –, il lui reste un match à jouer dimanche soir à partir de 20h15 face à la pépite italienne Jannik Sinner. Un adversaire d’un autre calibre que ceux qu’il a croisés jusque-là. Mais porté par son public, Corentin Moutet est capable de tout. Et s’il sort le numéro 2 mondial, tout le monde sait déjà ce qu’il hurlera dans le micro : «J’avais dit quoiiii ?»

Mise à jour : samedi à 20 h 40 avec l’heure du match dimanche 2 juin face à Jannik Sinner en night session (à partir de 20 h 15).