Les loges du court Philippe-Chatrier ont leur propre code vestimentaire. La majorité des hommes s’y pointent en chemise et veste de costume, quand les femmes optent généralement pour des tailleurs ou des robes. Mercredi soir, au milieu de cette ambiance guindée, quand Jannik Sinner et Richard Gasquet s’affrontent sur la terre battue, quatre types détonnent. Leurs habits orange attirent le regard. Qu’ils soient déguisés en carottes plus encore.
Some familiar faces have arrived to watch @janniksin 🥕#RolandGarros @CarotaBoys pic.twitter.com/wTDLyD8rIr
— Roland-Garros (@rolandgarros) May 27, 2024
Voilà un an qu’à chaque fois ou presque que l’Italien, solide deuxième joueur mondial et vainqueur de l’Open d’Australie en janvier, se déplace, les carottes le suivent. En tribunes, on les repère de loin. Et dans les allées des tournois, le public les arrête pour prendre des photos. Derrière les costumes, six amis d’enfance originaires de Revello, petite ville (4 000 habitants) du nord de l’Italie. «Tout est parti d’une blague, retrace Lorenzo, 29 ans, habillé en orange de la tête aux pieds. On adore le tennis et comme chaque année, en 2023, on avait acheté des tickets pour le tournoi de Rome. Mais on voulait trouver une manière différente d’encourager Jannik. Comme il avait mangé une carotte en plein match il y a quelques années, on a décidé d’acheter des costumes de carottes sur internet et d’aller à Rome avec. C’est aussi simple que ça.»
Au Foro Italico de Rome, les légumes surprennent. A la télévision, la réalisation ne manque pas de les filmer entre les points. Des médias viennent ensuite les interviewer. «C’était vraiment bizarre, on n’avait jamais fait d’interview avant, et d’un coup on nous demande de répondre à des questions, on était un peu dépassés», s’amuse Alessandro, carotte numéro 2.
Invitations sur tous les Grand Chelem
Ensuite, tout va très vite. L’entreprise spécialisée dans le café Lavazza, partenaire de plusieurs tournois de tennis et de Jannik Sinner, leur propose de venir assister à quelques rencontres de leur poulain à Roland-Garros. La marque répète l’opération à Wimbledon et à l’US Open, et les incite à créer une page Instagram pour qu’ils y partagent leurs aventures – et qu’ils mettent évidemment en avant l’entreprise. Ils sont aujourd’hui suivis par plus de 135 000 personnes.
En janvier 2024, c’est carrément l’organisation de l’Open d’Australie qui leur propose de venir, tous frais payés. «Avant tout ça, on n’avait jamais assisté à un Grand Chelem, reprend Alessandro. Et en un an, on les a tous faits. C’est fou ! On vit un rêve. A chaque fois, on se dit que ça ne peut pas aller plus loin, et à chaque fois, on nous propose un truc qui va encore plus loin.»
Jannik Sinner a évidemment remarqué ces fans orange qui le suivent partout. Il leur a d’abord fait une dédicace au micro après un match gagné. Puis s’est adonné après une autre victoire à une séance photos en bord de terrain. Avant qu’enfin une rencontre de deux heures entre Sinner et ses fans soit organisée en septembre à Milan. Le graal pour les carottes qui décrivent leur héros comme «un mec humble, fun, normal et accessible», avec qui elles échangent désormais de temps en temps via un groupe WhatsApp. Parfois, c’est même leur idole qui leur dégote des places pour ses matchs – sur chaque tournoi les joueurs ont droit à plusieurs invitations. «Pour être honnête, je crois qu’ils sont encore plus connus que moi», rigolait Sinner en fin d’année dernière.
Un livre et des produits dérivés
Parfois, le costume des six Italiens est trop grand pour leurs épaules. Sur les gros tournois, ils donnent des interviews à la pelle, au point qu’à Roland-Garros une représentante de chez Lavazza fait désormais l’intermédiaire. «Il y a aussi beaucoup de marques qui nous contactent. On essaye de trouver une sorte de manager car on n’arrive pas à tout gérer. D’autant plus qu’on a tous un travail à côté, explique Lorenzo, responsable recherche et développement dans une entreprise. D’ailleurs, deux d’entre nous n’ont pas pu venir à Paris car ils travaillaient.» Pour cause d’obligations professionnelles, les quatre carottes ne pourront d’ailleurs pas assister en tribunes au huitième de finale entre Jannik Sinner et Corentin Moutet ce dimanche soir.
Ces derniers mois, sentant le bon filon, la bande de copains a commencé à capitaliser sur son audience. Il est aujourd’hui possible d’acheter des tee-shirts, sacs, bobs ou tasses à l’effigie des «Carota Boys», qui ont même sorti un livre en avril dernier dans lequel ils racontent leur histoire. «L’idée c’est que les tribunes soient orange pour soutenir Jannik, et l’argent nous sert à financer les déplacements sur les tournois quand nous ne sommes pas invités», promet Alessandro.
Les six amis peuvent se féliciter d’avoir misé sur le bon cheval : poussé par ses carottes, Jannik Sinner est tout simplement en 2024 le meilleur joueur du circuit. Il pourrait devenir le premier Italien à prendre la tête du classement ATP d’ici la fin de Roland-Garros. De quoi générer de l’autre côté des Alpes une Sinner-mania. Alessandro assure qu’en Italie, «beaucoup de monde commence à s’intéresser au tennis, on en parle dans tous les journaux, à la TV… Depuis l’Open d’Australie, sa cote de popularité a vraiment explosé». Et celles de ses fans carotte avec.